Ce jour-là, à Chuao, huit hommes ont été arrêtés. Parmi eux, les sergents Airan Berry et Luke Denman, qui ont servi dans les forces spéciales américaines connues sous le nom de bérets verts. Les deux hommes ont participé aux opérations en Irak, en tant que troupes d’élite de l’armée la plus puissante du monde. Ils faisaient même partie du cercle de sécurité du président Donald Trump, comme l’attestent des vidéos et des photos de 2018. Ils travaillent maintenant pour la société de sécurité privée Silvercorp, propriété de l’ancien officier militaire américain Jordan Goudreau, qui a signé un contrat avec le leader de l’opposition vénézuélienne Juan Guaidó pour exécuter l’opération Gedeón. Le conseiller de Guaidó, Juan José Rendón, qui a également signé le contrat, a démissionné le lundi 11 mai.
Ce que les envahisseurs ne pouvaient imaginer, c’est que l’opération se terminerait par cette scène, confie Reinaldo Chávez, un habitant de Chuao. « S’ils avaient su la surprise qui les attendait ici ! Ils peuvent se prendre pour des « Rambos » et nous sommes un peuple humble, mais avec notre vérité, nous finirons toujours par gagner« , a-t-il déclaré à Telesur.
Julio Moreno, porte-parole du Conseil des pêcheurs de Chuao, a raconté comment ils ont agi. Alertés quelques jours avant par les services de renseignement, ils ont mis en place une stratégie de défense populaire. Quelques jeunes se sont dispersés dans les montagnes près de la côte pour observer et détecter une éventuelle approche par des navires inconnus dans le secteur.
« Nos hommes depuis la montagne ont vu lorsqu’ils ont scié le toit du bateau et l’ont jeté à la mer pour rendre l’identification difficile. Nous avons prévenu les autorités, l’hélicoptère militaire est arrivé rapidement. Nous avons mis en place un plan pour défendre la plage« , explique Julio Moreno.
Dans le village, il n’y avait que cinq policiers. L’aide des pêcheurs locaux a donc été fondamentale pour arrêter les mercenaires. En mer, ils ont bénéficié de l’aide d’un hélicoptère de l’armée et d’un bateau de la marine vénézuélienne, ce qui a permis d’empêcher toute tentative de fuite, mais une fois à terre, ce sont les policiers avec des fusils et des pistolets, ainsi que les pêcheurs, qui ont obtenu la reddition des suspects jusqu’à l’arrivée des renforts.
« Les militaires dans l’hélicoptère ont tiré quelques coups de semonce dans l’eau pour qu’ils éteignent le moteur du bateau. Une fois qu’ils sont arrivés dans la baie, nous leur avons ordonné de descendre du bateau, nous les avons ligotés et quand ils ont été maîtrisés, nous les avons remis à la police et au commando de la Garde nationale bolivarienne qui étaient présents » explique le délégué du Conseil des pêcheurs de Chuao.
Andrés Jesus, le chef du poste de police de Chuao, dit qu’en 19 ans d’existence de la coopérative, il n’aurait jamais pensé voir quelque chose comme ça dans ce paisible village de pêcheurs. « La population a eu peur, on n’a jamais rien vu de tel. Mais nos policiers se sont sentis soutenus par les pêcheurs et la population locale. Nous avons dû attacher les terroristes avec des lignes de pêche en nylon parce que c’était la seule chose que nous avions à ce moment-là, nous avons improvisé. Les pêcheurs eux-mêmes ont contribué à immobiliser les terroristes« .
Un des policiers a dû sortir pour aller chercher les militaires qui sont arrivés en hélicoptère et ont atterri loin du centre du village. Une fois de plus, ce sont les pêcheurs qui ont aidé à surveiller les envahisseurs. José André Bolívar, un habitant du village, nous raconte : « Ici, on produit du poisson et du cacao, rien d’autre. Nous ne sommes pas habitués à la violence, alors nous avons peur et nous nous mettons à courir pour aider la police et les attraper [les mercenaires]« .
Selon le chef de la police, la population locale était en état d’alerte depuis des mois. Le commandement de la police nationale bolivarienne avait déjà envoyé des affiches avec des visages de mercenaires qui pouvaient tenter une invasion à tout moment. « C’est pourquoi, lorsque les habitants ont vu les visages, ils ont rapidement reconnu le fils de Baduel » explique le policier Andres Jésus.
Josnars Adolfo Baduel, arrêté à Chuao, est connu parce qu’il a participé à d’autres tentatives de coup d’État, mais aussi parce qu’il est le fils du général Raúl Isaías Baduel qui fut un temps ministre de la défense de l’ancien président Hugo Chávez, emprisonné depuis 2009 pour corruption.
Chuao était connue pour ses beautés naturelles et surtout pour ses exploitations de cacao, reconnues par l’industrie du chocolat comme l’une des plus sophistiquées au monde. Aujourd’hui, ce petit village est aussi une référence de la résistance révolutionnaire.
Le village n’a pas d’accès terrestre, il faut donc prendre un bateau et se rendre à environ 20 minutes depuis Choroni, la municipalité la plus proche. Ce paradis naturel a dû s’adapter à la nouvelle réalité, face aux menaces d’invasion militaire.
La population s’est organisée pour protéger la communauté, dit Julio Moreno. « Depuis que tout cela est passé, nous avons pris conscience de la dimension de l’action que nous avons organisée ce jour-là. Mais nous n’avons pas baissé la garde. Nous avons redoublé d’efforts pour assurer la sécurité de Chuao et des autres communautés qui font partie de l’axe côtier vénézuélien.
Il affirme également que la population a été formée pour être capable d’identifier les situations et les personnes suspectes. « Nous avons conformé un groupe d’agents de renseignements populaires, et nous avons réussi à capturer un autre mercenaire dans la communauté voisine, au Cepe. Nous agissons en tant que citoyens armés pour défendre leur pays« , a déclaré le pêcheur.
Ces entraînements font partie de la routine de la milice nationale bolivarienne, une armée populaire de civils avec une formation militaire créée par le Président Maduro dans la ligne de l’unité civico-militaire de Hugo Chavez. Actuellement, environ 4 millions de Vénézuéliens sont engagés dans ces contingents qui font partie du système de sécurité officiel du Venezuela. En plus de la milice bolivarienne, des groupes de défense des pêcheurs sont créés sur la côte, comme celui-ci formé par les habitants de Chuao.
Dans les jours qui ont suivi, la population d’autres communautés a contribué à la capture de plusieurs groupes de mercenaires. C’est ainsi que dans le village de pêcheurs de Cepe et la communauté de El Junquito, les paysans ont identifié deux d’entre eux et ont fait appel aux militaires. Plus de 40 suspects ont déjà été arrêtés et huit abattus lors des affrontements du premier jour. Le pays maintient l’alerte de sécurité maximale, établie ce 3 mai, lorsque les premiers mercenaires ont été interceptés dans le port de La Guaira, dans l’État de Vargas.
Fania RODRIGUES