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Des guerres peuvent-elle être de religion ?

Un article signé caleb irri paraissait hier sous le titre : « Les guerres ne sont jamais de religion. » (*)

Parmi les commentaires , on pouvait lire cette objection intéressante : « ... celle qui a sévi en France entre Catholiques et Protestants, était bel et bien une guerre de religion. »

Nous reprendrons dans cet article quelques-unes des idées déjà relevées dans deux de nos articles précédents : « Religion et lutte des classes, d’après F. Engels ».

Quelques réflexions préalables

Les tenants des guerres dites de religion pensent nécessairement qu’en dernière analyse c’est le conflit des idées religieuses qui est la cause la plus profonde de ces guerres.

Sinon ils ne s’opposeraient pas farouchement à ceux pour lesquels la religion n’est jamais que l’étendard sous lequel, éventuellement, se mènent les guerres, - guerres civiles dans le cas présent.

Si les gens de cette époque avaient seulement pu s’entendre au sujet des choses célestes, ils n’auraient eu aucune raison de se disputer sur les choses de ce monde. Tel est le fond nécessaire de leur position qui prend le prétexte du conflit, sa cause immédiate, pour la vraie cause ; et les étendards idéologiques et politiques sous lesquels les partis s’affrontent pour son moteur.

Il pourrait leur être très généralement opposé qu’ils sont assez crédules pour prendre pour argent comptant toutes les illusions qu’une époque se fait sur elle-même, ou que les historiens d’une époque ultérieure, se font ou veulent se faire sur elle. C’est ce que nous allons tenter d’établir.

D’où venait donc la France du XVIe siècle ?

Elle sortait du moyen-âge dont il n’est pas inutile de rappeler quelques traits.

Le moyen-âge était parti des tous premiers éléments. De l’ancienne civilisation, de la philosophie, de la politique, de la jurisprudence antiques, il avait fait table rase, pour tout recommencer par le début.

Il n’avait repris du vieux monde que le christianisme, ainsi qu’un certain nombre de villes à moitié détruites, dépouillées de leur civilisation.

Le résultat fut que, de même qu’à toutes les étapes primitives de développement, les prêtres reçurent le monopole de la culture intellectuelle, et la culture elle-même prit un caractère essentiellement théologique

Entre les mains de prêtres, la politique et la jurisprudence restèrent, comme toutes les autres sciences, de simples branches de la théologie, et furent traitées d’après les principes en vigueur dans celle-ci.

Les dogmes de l’Église étaient en même temps des axiomes politiques, et les passages de la Bible avaient force de loi devant tous les tribunaux.

Même lorsque se constitua une classe indépendante de juristes, la jurisprudence resta encore longtemps sous la tutelle de le théologie.

Et cette souveraineté de la théologie dans tous les domaines de l’activité intellectuelle était, en même temps, la conséquence nécessaire de la situation de l’Église, synthèse la plus générale et sanction de la domination féodale.

Il est donc clair que que toutes les attaques dirigées en général contre le féodalisme devaient être avant tout des attaques contre l’église, toutes les doctrines révolutionnaires, sociales et politiques, devaient être, en même temps et principalement, des hérésies théologiques. Pour pouvoir toucher aux conditions sociales existantes, il fallait leur enlever leur caractère sacré.

L’opposition révolutionnaire se poursuit pendant tout le moyen-âge. Elle apparaît, selon les circonstances, tantôt sous forme de mystique, tantôt sous forme d’hérésie ouverte, tantôt sous forme d’insurrection armée.

Parmi les mouvements les plus marqués qui précédèrent les guerres de religion en France on peut noter la révolte des Vaudois, celle des Albigeois , la rébellion d’Arnold de Brescia en Italie, les révoltes anglaises (John Ball), celle des Picards (cousins des hérétiques anglais, les bégards et les lollards), etc.

Réforme et révolutions

A partir du 16e siècle et de l’apparition du capitalisme (pré-industriel), le climat idéologique et culturel se modifie, en connexion intime avec la modification radicale de la vie quotidienne et des mentalités des populations urbaines.

Comme nous l’avons déjà dit, ce sont les dogmes religieux qui sont les premiers soumis à révision, sous l’effet combiné des acquis des sciences naturelles, de l’extension de l’esprit critique et des révoltes contre les abus, les privilèges et la corruption du clergé. C’est ainsi que se développent côte à côte l’humanisme quasi-athée, la Réforme (luthéranisme, anglicanisme, calvinisme, puritanisme) et la philosophie rationaliste-naturaliste (Galilée, Descartes, Spinoza un peu plus tard).

Ces mouvements idéologiques expriment les aspirations des nouvelles classes urbaines et rurales qui se développent et qui conduisent à une vraie lutte de classes, comme en témoignent les grands combats sociaux et politiques auxquels aboutissent ces conflits religieux, combats qui vont jusqu’a des guerres civiles et de véritables révolutions : révolte des Hussites en Bohème au 15e siècle ; guerre des paysans en Allemagne, révolution des Pays-Bas, insurrections de la Commune de Gand et de la Commune de Munster (mouvement des Anabaptistes) au 16e siècle ; guerres de religion en France aux 16e et 17e siècles ; le tout aboutissant à la révolution anglaise de 1640-1688.

Par conséquent, lorsque apparut la bourgeoisie, l’hérésie protestante se développa, en opposition au catholicisme féodal. L’indestructibilité de l’hérésie protestante correspondait à l’invincibilité de la bourgeoisie montante ; lorsque celle-ci fut devenue suffisamment forte, sa lutte contre la noblesse féodale, de caractère jusque-là presque uniquement local, commença à prendre des proportions nationales.

La première grande action eut lieu en Allemagne, on l’appela la Réforme. Elle conduisit l’Allemagne à la stagnation car le luthérianisme consentit à devenir un instrument docile entre les mains des petits princes allemands, après que les bourgeois des villes eurent renoncé à maintenir l’alliance avec les paysans insurgés.

En France, la réforme fut calviniste et servit de drapeau aux républicains à Genève, en Hollande, en Écosse, libéra la hollande du joug de l’Espagne et de l’Empire allemand et fournit au deuxième acte de la Révolution bourgeoise qui se déroulait en Angleterre, son costume idéologique.

Il est intéressant de noter que la doctrine de la prédestination de Calvin était l’expression religieuse du fait que, dans le monde commercial de la concurrence, le succès et l’insuccès ne dépendent ni de l’activité , ni de l’habileté de l’homme, mais de circonstances indépendantes de son contrôle.

Ce que J. Brel exprimait ainsi dans « Les Paumés du petit matin » :

Elles elles ont l’arrogance
Des fill’s qui ont d’la poitrine
Eux ils ont cette assurance
Des hommes dont on devine
Que le papa a eu d’la chance

Raison des errements idéalistes en histoire

Ce qui peut apporter de l’eau au moulin de ceux dont nous essayons de contester ici la thèse, c’est que dans la vie réelle on sort de l’analyse théorique, et les mouvements et comportements des uns et des autres sont infiniment variés : tels individus qui devraient se trouver dans telle classe se trouvent intégrés pour des raisons particulières à telle autre.

C’est le travail de l’historien de ne pas se laisser prendre à l’apparence trouble des choses mais de savoir atteindre leur fond. Ainsi, pour conclure en citant F. Engels au sujet de la Réforme en Allemagne :

Les différentes classes qui adhèrent à ces idées [de la Réforme] ou les rejettent concentrent la nation, à vrai dire d’une façon tout à fait précaire et approximative, en trois grands camps : le camp catholique ou réactionnaire, le camp luthérien bourgeois-réformateur et le camp révolutionnaire. Si dans ce grand morcellement de la nation on trouve peu de logique, si l’on retrouve parfois les mêmes éléments dans les deux premiers camps, cela s’explique par l’état de décomposition dans lequel se trouvaient, à cette époque, la plupart des ordres officiels hérités du moyen-âge, et par la décentralisation qui, dans des régions différentes, poussait momentanément les mêmes ordres dans des directions opposées. Nous avons eu si souvent l’occasion, au cours de ces dernières années [écrit en 1850], en Allemagne, de constater des phénomènes analogues qu’un tel pêle-mêle apparent des ordres et des classes dans les conditions beaucoup plus complexes du XVIe ne saurait nous étonner.

Le travail de l’historien digne de ce nom n’est pas de se laisser prendre à ce « peu de logique » dont se parent souvent les phénomènes, il n’est pas de finalement en revenir inlassablement au vieux principe selon lequel ce sont les idées qui seraient le moteur ultime de l’histoire.

Le travail qu’on attend de l’historien n’est pas qu’il saisisse l’occasion de la complexité pour faire passer en contrebande cette thèse idéaliste. Ce qui n’est qu’une compensation, une solution de facilité, dans le meilleur des cas, à sa triste impuissance pour saisir le mouvement de l’histoire, et à extirper de son foisonnement apparent ses racines réelles et matérielles, - c’est-à-dire, cette fois dans tous les cas, une glissade sur la pente savonneuse de la soumission à l’idéologie dominante au lieu de la dure ascension par les chemins de la critique scientifique éclairée par la théorie matérialiste.

Mauris Dwaabala

(*) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-guerres-ne-sont-jamais-de-140423

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