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Dégâts Collatéraux - Les sanctions US visent la Russie, et frappent l’Europe

Savent-ils ce qu’ils font ? Lorsque les représentants au Congrès américain adoptent des sanctions qui visent surtout à affaiblir le Président Trump et à exclure tout effort d’améliorer les relations avec la Russie, savent-ils que ces mesures reviennent à une déclaration de guerre économique contre leur chers « amis » européens ?

Qu’ils le sachent ou non, ils s’en fichent. Les politiciens outre-Atlantique voient le reste du monde comme un grand arrière-pays, à exploiter, punir ou ignorer avec impunité.

La Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (l’Acte de sanctions pour lutter contre les adversaires de l’Amérique) fut adoptée le 25 juillet par 419 députés de la Chambre contre trois. Une version précédente fut adoptée par tous les Sénateurs sauf deux. Le passage final est certain, dans des proportions telles qu’il puisse passer outre à un éventuel véto présidentiel.

Cette crise de colère du Congrès frappe dans tous les sens. Les victimes principales seront sans doute les chers alliés européens, en particulier l’Allemagne et la France – qui, soit dit en passant, peuvent parfois être des concurrents économiques des Etats-Unis. Mais de telles considérations ne frôlent pas l’esprit des nobles élus du peuple américain, tous dévoués à l’avancement de la moralité universelle.

La “puissance douce” américaine frappe dur

Sous le régime des sanctions U.S., chaque nation qui fait des affaires avec la Russie (ou avec les autres pays cités) peut se trouver dans le pétrin. En particulier, cette loi vise toute entreprise engagée dans la construction du gazoduc Nord Stream 2, destiné à provisionner l’Allemagne en gaz naturel de la Russie.

Petit détail : les sociétés américaines sont prêtes à donner un coup de main à leurs amis allemands en leur vendant leur propre gaz naturel, obtenu par fracturation, beaucoup plus cher.

Ce n’est qu’un des moyens par lesquels cette loi soumettrait les banques et sociétés européennes à des restrictions, poursuites judiciaires et amendes gigantesques.

Tout en prêchant la « libre compétition » au monde entier, les Etats-Unis prennent constamment des mesures pour l’entraver.

Depuis l’accord de juillet 2015 qui garantissait le non-développement d’armes nucléaires par l’Iran, les sanctions internationales contre ce pays furent levées, mais les Etats-Unis en a gardées d’autres, plus anciennes. Ainsi, toute entreprise européenne qui envisage de faire des investissements ou du commerce avec l’Iran a toutes les chances de recevoir une lettre d’une entité basé à New York, s’appelant United Against Nuclear Iran (Unis contre l’Iran nucléaire) qui prévient qu’il reste « de sérieux risques légaux, politiques, financiers et de ternir sa réputation, associés au commerce avec l’Iran, surtout dans les secteurs de l’économie iranienne tels que le pétrole et le gaz. » Parmi les risques cités on trouve des milliards de dollars d’amendes, la surveillance par un grand nombre d’organismes de régulation, des dangers personnels, la cyber-insécurité, la perte de bonnes affaires, une mauvaise réputation et un déclin de la valeur boursière.

Les Etats-Unis se comportent en gangster en toute impunité parce que pendant de longues années ils ont crée un vaste labyrinthe juridique, impénétrable et capable de s’imposer à la vie économique du « Monde Libre » grâce à l’omniprésence du dollar, des capacités de renseignement sans pareil et l’intimidation pure et simple.

Les dirigeants européens ont réagi avec indignation à cette dernière rafale de sanctions. Le ministère des affaires étrangères allemand jugeait « inacceptable d’utiliser les sanctions comme un instrument pour servir les intérêts de l’industrie des Etats-Unis ».

Le Quai d’Orsay a dénoncé comme illégale « l’extraterritorialité » de la législation américaine, annonçant que « pour nous protéger des effets extraterritoriaux de cette législation, il faut adapter nos lois françaises et européennes ».

En effet, l’imposition arrogante des Etats-Unis de leurs propres lois aux autres pays inspire une croissante amertume en France. Déjà le 5 octobre dernier, un rapport sérieux sur « l’extraterritorialité de la législation américaine » fut présenté aux commissions des affaires étrangères et de la finance de l’Assemblée nationale.

L’extraterritorialité

Le président de la commission d’enquête qui a produit ce rapport, Pierre Lellouche, a résumé la situation ainsi :

“Les faits sont très simples. Nous sommes devant un mur de législations américaines extrêmement touffues avec une intention précise qui est d’utiliser le droit à des fins d’imperium économique et politique dans l’idée d’obtenir des avantages économiques et stratégiques. Comme toujours aux Etats-Unis, cet imperium, ce rouleau compresseur normatif se déroule au nom des meilleures intentions du monde puisque les Etats-Unis se définissent comme un benevolent power, c’est-à-dire un pays qui ne peut faire que le bien. »

Toujours au nom de la « lutte contre la corruption » ou la « lutte contre le terrorisme », les Etats-Unis entament les poursuites contre tout ce qui peut être appelé un « U.S. person  », ce qui selon le droit bizarre du pays peut désigner n’importe quelle entreprise liée au pays par une filiale américaine, ou qui est côté en bourse à New York, ou qui utilise un serveur basé aux Etats-Unis, ou qui tout simplement fait du commerce en dollars, ce qu’aucune entreprise internationale ne peut éviter.

En 2014, la plus grande banque française, BNP-Paribas, s’est résignée à payer aux Américains des amendes de presque neuf milliards de dollars, rien que pour avoir utilisé des transferts en dollars au cours de transactions avec des pays sous sanctions américaines. Ce commerce était parfaitement légal en droit français. Mais parce que les échanges étaient en dollars, elles transitaient par les Etats-Unis, où elles étaient repérées par les régulateurs.

Dans ces cas, les banques européennes ont le choix entre se faire traîner devant les tribunaux hostiles pour des procès interminables, ce qui entraînerait divers ennuis et punitions même avant le verdict, ou bien, suivre le conseil des avocats d’affaires américains bien rémunérés et accepter d’entrer dans l’obscure culture judiciaire américaine du « plea bargaining », du « plaider coupable », pour y échapper. Tout comme le misérable accusé de piquer des pommes, les entreprises européennes sont incitées à se confesser pour échapper à des conséquences bien pires.

Alstom, joyau de l’industrie française, a cédé sa branche énergie au géant américain General Electric en 2014, au moment où Alstom était sous pression américaine suivant des accusations de corruption (probablement liées à des dessous-de-table versés aux intermédiaires de certains pays du Sud).

Selon le rapport parlementaire déjà cité :

« Le rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric a également suscité des interrogations sur une éventuelle instrumentalisation des procédures pour corruption engagées contre Alstom en vue de convaincre ses dirigeants de choisir l’offre américaine plutôt que celle de Siemens et de Mitsubishi. … Selon Le Figaro du 17 décembre : ’les avocats de GE auraient joué un rôle clé : leur intervention aurait permis de faire baisser le montant en échange d’une promesse d’appliquer le code de bonne conduite du groupe américain chez le français. L’accord ne devait toutefois être révélé qu’après la finalisation de l’opération pour que l’amende n’apparaisse pas comme un élément qui aurait fait pencher la balance du côté américain plutôt qu’en faveur de Siemens-Mitsubishi’  ».

« À propos de cette amende, qui s’est tout de même élevée à 772 millions de dollars, il faut ajouter qu’au nom de la continuité juridique de la société Alstom, c’est ce qui reste de celle-ci, c’est-à-dire essentiellement l’ex-branche transport, laquelle ne représentait qu’un tiers du chiffre d’affaires du groupe avant son démantèlement, qui l’a réglée, alors même que les manquements à l’origine de cette sanction concernaient les activités énergie reprises par General Electric ! »

L’hypothèse sous-jacente à ces poursuites est que la supposée corruption enlève des marchés aux firmes américaines plus vertueuses. Cela peut bien être le cas, mais ce qui manque est la moindre réciprocité. Toute une panoplie d’agences américaines, avec les moyens d’espionner n’importe quelle communication, est consacrée à la tâche de traquer les méfaits de leurs concurrents partout dans le monde. Par exemple, l’Office of Foreign Assets Control, travaille à cette tâche avec 200 employés et un budget de plus de $30 million. Son homologue à Paris emploie cinq personnes.

Le dernier volet de sanctions est destiné à exposer les banques et les entreprises européennes à des conséquences encore plus sévères, surtout en ce qui concerne le gazoduc Nord Stream.

Il faut noter que les sanctions font partie de toute une série de mesures législatives qui visent à miner la souveraineté nationale en créant une juridiction globale où n’importe qui peut poursuivre n’importe qui d’autre pour n’importe quoi, mais où la capacité ultime d’enquêter et d’imposer la loi reste chez les Américains.

Sabotant l’économie européenne

Plus d’une dizaine de banques européennes se sont trouvées dans le collimateur moralisant étasunien (anglaises, allemandes, françaises, néerlandaises, suisses), qui vise les grands pays, tandis que l’influence américaine écrasante dans des pays du Nord-Est – Pologne, les Etats Baltes et même la Suède – empêche l’Union Européenne de prendre des mesures d’autodéfense contraires aux intérêts américains.

Le plus gros poisson dans cette expédition de pêche risque d’être la Deutsche Bank. Actuellement, la Deutsche Bank fait l’object de poursuites pour avoir participé aux spéculations sur les subprimes aux Etats-Unis. Selon Pierre Lellouche, « la Deutsche Bank va être redressée pour un montant de 14 milliards de dollars alors qu’elle en vaut 5 et demi. Surtout, elle est exposée à hauteur de l’équivalent de treize fois le PIB de l’Allemagne. Autrement dit, si cette affaire va à son terme, on risque par un effet de dominos, une crise financière majeure en Europe. »

La question ici n’est pas les pratiques de la Deutsche Bank – sans doute répréhensibles – mais des « deux poids deux mesures » pratiqués par une puissance qui se comporte en empire. Les sanctions sont une véritable épée de Damoclès qui menace les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis. Ce comportement punitif risque fort de finir par affaiblir l’économie américaine elle-même.

Dans les auditions parlementaire, Elisabeth Guigou a déclaré que la situation est choquante. « Nous avons eu, à plusieurs reprises, des échanges avec des responsables américains, et notamment avec l’ambassadrice américaine en France : nous leur avons indiqué que cette situation était insupportable. »

Jacques Myard enchaînait : « Actuellement, nous assistons à une volonté manifeste des États-Unis d’utiliser leur droit à des fins politiques, de sécurité et d’influence, mais également à des fins commerciales : c’est une volonté impérialiste. Le droit américain est utilisé pour obtenir des marchés et éliminer des concurrents. Nous devons ne pas être naïfs et prendre conscience de ce qui se passe. … En effet, les grands groupes sont dans les mains des cabinets d’avocats américains, qui leur conseillent de ne surtout pas avertir les autorités françaises, et de régler leurs procès discrètement, grâce au mécanisme du plaider coupable ; ces cabinets facturent pour cela des honoraires substantiels. »

Cette enquête marquait un pas vers une prise de conscience et de la résistance contre une nouvelle forme de “taxation sans représentation”. Les députés s’accordaient pour dire qu’il faut faire quelque chose.

C’était en octobre dernier. Au mois de juin, lors des élections parlementaires, le président de la commission, Pierre Lellouche, la rapporteur Karine Berger, Elisabeth Guigou et Jacques Myard ont tous perdu leurs sièges en faveur des novices du parti de Macron, la République en marche. Les nouveaux arrivants semblent désorientés, et peu enclins à confronter la puissance impériale. Macron non plus, lui qui a facilité la reprise d’Alstom par General Electric en 2014.

Pourtant, il y a des situations si déséquilibrées qu’elles ne peuvent pas durer indéfiniment.

Diana JOHNSTONE

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