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Décérébration politique

C’est entendu : le changement n’est pas pour maintenant. Il n’est sûrement pas non plus pour demain. La promptitude de M. François Hollande à décevoir tous ceux qui pourtant n’attendaient pas grand-chose - du moins en matière économique - ne saurait être interprétée comme la seule marque de l’homme qui sait prendre son temps.

En vérité, l’impossible changement n’est pas l’affaire d’un homme ou de l’équipe dont il s’entoure. Pourquoi le nouveau Président de la République poursuit-il, dans de nombreux aspects, la même politique que son prédécesseur ? Parce que la Gauche a depuis longtemps renoncé à penser le politique, à créer par une réflexion approfondie les conditions du possible changement. En fait, la Gauche n’est plus de gauche dès lors que son action n’a plus comme seule raison d’être que l’accompagnement de la marche des choses quand autrefois elle avait le désir profond d’influer sensiblement sur cette marche. Certes, le rabougrissement de la pensée politique n’est pas aujourd’hui propre à la Gauche, mais s’agissant d’elle, ce fait dramatique nous est particulièrement douloureux.

Pour illustrer la décérébration de la Gauche « de gouvernement » et son renoncement à bousculer un tant soit peu l’ordre économique écrasant, quoi de mieux que le pointage du nouveau credo de l’hôte de l’Élysée. Le changement tient tout entier en une inversion formidable : nous allons passer d’un « socialisme de la demande » à un « socialisme de l’offre ». Nous voilà bien confrontés à une aberration : la qualification d’un système politique par le recours à des attributs de l’économie de marché. En sacrifiant à ce point aux lois du Marché, on vide de sa substance le système politique qui n’a plus de socialiste que le nom. En centrant le volet « croissance » de sa politique économique sur une compétitivité accrue des entreprises tirée essentiellement d’un surcroît de flexibilité du travail, le Gouvernement commet une triple erreur. D’abord, il a choisi une définition très restreinte de la compétitivité, notion plutôt floue et dépendant de nombreuses variables, tant quantitatives que qualitatives, souvent difficiles à chiffrer. Ensuite, la flexibilité du travail est une fausse solution : si elle permet d’en faire baisser le coût, elle n’en améliore pas la qualité qui dépend de son côté de la qualification des salariés et probablement d’un meilleur traitement de la main-d’oeuvre. Enfin, l’on braque les projecteurs une fois de plus sur le coût du travail et l’on ignore superbement le coût du capital que constitue la gourmandise toujours plus grande des actionnaires. On avouera sans peine - mais non sans chagrin - que pour un gouvernement de gauche…

Un gouvernement de gauche aurait l’audace - ou plutôt l’honnêteté - d’affirmer que le travail n’est pas avant tout un coût que l’on réduit au gré des caprices du patronat, mais la précieuse richesse du pays. Il mettrait fin à un scandale : il existe en France un milliard d’heures supplémentaires non majorées, non déclarées, c’est-à -dire l’équivalent de 600 000 emplois ! Il proclamerait que les salariés les plus productifs sont bien formés, bien traités et bien payés. Puisqu’il y a urgence à « rembourser la dette » il rétablirait pour les hauts revenus le taux d’imposition en vigueur en 1999 qui s’il avait été maintenu pendant dix ans aurait laissé la France de 2009 sans endettement. Au lieu de choisir l’audace vers l’espérance, le tandem Hollande-Ayrault a choisi l’enlisement dans l’austérité. Les Grecs - pour ne prendre qu’un exemple - essuient actuellement leur neuvième plan d’austérité : ils constatent que leur pays a vu sa dette extérieure passer dans ce laps de temps de 100% à 160% de son PIB ! Compte tenu des périls qui viennent, l’audace économique et sociale ne suffirait pas à remettre la Gauche dans le sens de la marche, celle qui accompagne les moins favorisés de nos concitoyens. Il conviendrait d’y adjoindre l’audace écologique. Et là , carrément, ils ne savent pas, ils doivent partir de zéro, fort peu stimulés par un minuscule aiguillon vert qui craint d’abord de devenir orphelin s’il est trop turbulent. Pour commencer, l’on pourrait cesser de faire des ponts d’or aux mastodontes du BTP, seuls acteurs à profiter vraiment des « grands projets inutiles » prédateurs de l’environnement. L’audace écologique, résultat d’une réflexion plaçant l’action de la gauche dans les exigences du temps long plutôt que dans les illusions de la gestion immédiate, enterrerait définitivement les gaz de schistes. Vous verrez que, là aussi, ils reculeront face aux dévoreurs de la planète faute de vouloir renoncer au dogme de la Croissance infinie dans un monde fini.

Il nous restait le champ des libertés dont la protection a priori ne coûte rien au plan monétaire. Il fallait décidément que nous buvions le calice jusqu’à la lie. Très tôt il y eut la destruction inhumaine de l’habitat de « fortune » de nombre de familles Roms. Récemment, on perpétra la stupéfiante et minable remise à la justice espagnole d’Aurore Martin, coupable d’aucun délit au regard du droit français. A moins que la revendication de la culture et de la langue basques ne soit subrepticement devenue répréhensible en Hollandie ? Puis il y eut Notre-Dame-des-Landes. Quoi que l’on pense de la pertinence économique et écologique de ce projet d’aéroport, quel démocrate peut décemment accepter la manière toute militaire employée pour chasser les opposants vivant sur cet espace agricole ? Le Président de la République avait pourtant promis que l’évacuation de la zone n’aurait pas lieu tant que les recours introduits devant la justice n’auraient pas été tranchés. C’est la police qui a tranché ; il était urgent d’agir, au moins dans ce domaine. Cela aurait coûté quoi d’attendre que la justice d’un État de droit fasse son travail ? Cela coûterait quoi de cesser toute poursuite à l’encontre de Julien Coupa et de sa compagne dans l’affaire de Tarnac au dossier totalement vide ? Rien ! Ou plutôt si : une atteinte portée à la morgue d’un ministre de l’Intérieur n’ayant rien à envier à ses prédécesseurs. Une continuité écoeurante même là où l’on pouvait espérer conserver un peu des valeurs historiques de la Gauche. De profundis !

Yann Fiévet

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"L’un des grands arguments de la guerre israélienne de l’information consiste à demander pourquoi le monde entier s’émeut davantage du sort des Palestiniens que de celui des Tchétchènes ou des Algériens - insinuant par-là que la raison en serait un fonds incurable d’antisémitisme. Au-delà de ce qu’il y a d’odieux dans cette manière de nous ordonner de regarder ailleurs, on peut assez facilement répondre à cette question. On s’en émeut davantage (et ce n’est qu’un supplément d’indignation très relatif, d’ailleurs) parce que, avant que les Etats-Unis n’envahissent l’Irak, c’était le dernier conflit colonial de la planète - même si ce colonisateur-là a pour caractéristique particulière d’avoir sa métropole à un jet de pierre des territoires occupés -, et qu’il y a quelque chose d’insupportable dans le fait de voir des êtres humains subir encore l’arrogance coloniale. Parce que la Palestine est le front principal de cette guerre que l’Occident désoeuvré a choisi de déclarer au monde musulman pour ne pas s’ennuyer quand les Rouges n’ont plus voulu jouer. Parce que l’impunité dont jouit depuis des décennies l’occupant israélien, l’instrumentalisation du génocide pour oblitérer inexorablement les spoliations et les injustices subies par les Palestiniens, l’impression persistante qu’ils en sont victimes en tant qu’Arabes, nourrit un sentiment minant d’injustice."

Mona Chollet

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