RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

De « l’Amérique d’abord » à « l’Amérique doit diriger »

Tout au long de ses cinquante années de carrière politique, Joe Biden a toujours été un représentant de l’industrie étasunienne de l’armement et des interventions militaires. Sa politique étrangère apportera-t-elle un changement ou se limitera-t-elle à une variation sur un thème connu ?

Joe Biden a promis à l’industrie de l’armement qu’il poursuivrait les investissements dans la plus grande machine de guerre de l’histoire de l’humanité. Sous les présidents Clinton, Bush fils et Obama, le budget officiel de la Défense est passé de 266 milliards en 1996 à 637 milliards en 2016. Sous Trump, cette augmentation s’est encore accélérée pour atteindre 693 milliards. Biden n’a pas l’intention d’inverser cette tendance. Il a récemment déclaré : « Les États-Unis ont l’armée la plus puissante du monde et, en tant que président, je veillerai à ce que cela reste comme ça, en faisant les investissements nécessaires pour équiper nos troupes face aux défis de ce siècle ».

Les fabricants d’armes ont investi 2,4 millions de dollars dans la campagne électorale de Biden. L’un de ses principaux sponsors est Palmora Partners, un gestionnaire d’actifs qui jongle avec des milliards et possède plus de 260 000 actions de Raytheon, un important fabricant d’armes, et l’un des plus grands fournisseurs de l’Arabie Saoudite.

Cette loyauté vis-à-vis du secteur se manifeste également dans la nomination de son cabinet. La semaine dernière, deux membres du conseil d’administration de Raytheon ont rejoint un petit groupe de conseillers chargés d’informer Biden et la vice-présidente Kamala Harris sur les questions de sécurité nationale. Les premières personnes que Biden a recrutées à la sécurité nationale travaillaient toutes pour des multinationales actives dans l’industrie de la guerre ou leurs groupes de réflexion auparavant.

C’est ainsi que le vétéran Tony Blinken a obtenu le prestigieux poste de secrétaire d’État. Blinken était le bras droit de Biden lorsque celui-ci était vice-président sous Obama. Ensuite, Blinken a fondé WestExec Advisors, une agence de conseils étroitement liée à l’industrie de la guerre. Le membre du conseil d’administration de Raytheon qui a conseillé Joe Biden est également actif au sein de WestExec.

L’homme derrière les interventions militaires

En tant que Président de la Commission des Affaires étrangères du Congrès et vice-président d’Obama, Biden n’a manqué aucune occasion de soutenir les interventions militaires à l’étranger au cours des dernières décennies. Il a été l’un des chefs de file des guerres pour le pétrole au Moyen-Orient : « J’ai voté pour l’invasion de l’Irak et je le referais », déclarait-il en août 2003. Auparavant, il avait déjà joué un rôle clé dans le bombardement de la Serbie en 1999.

Après le bombardement de la Libye par l’OTAN, il a fièrement proclamé que « nous n’avons pas perdu une seule vie (de soldat américain) » et que cette guerre était « un exemple de manière de traiter le monde à l’avenir ».1 Que cette guerre ait causé la mort de dizaines de milliers de Libyens et plongé toute la région dans le chaos ne semblait guère important pour lui.

Il a ensuite été l’architecte de ce qu’il a appelé la stratégie du « counterterrorism plus » (le « plus anti-terroriste ») : une combinaison d’attaques de drones et de déploiement de forces spéciales, qui a fait de nombreuses victimes innocentes dans des pays tels que le Pakistan, la Somalie et l’Afghanistan.

Joe Biden rendant visite aux troupes américaines en Irak. « J’ai voté pour l’invasion de l’Irak et je le referais », a-t-il déclaré en août 2003.

Biden est un fidèle allié d’Israël. Dès les années 1980, il était de son côté dans la guerre contre le Liban et il a voté (même contre la volonté du président Reagan) pour une augmentation significative de l’aide financière à Israël. « Si l’État d’Israël n’existait pas, les États-Unis d’Amérique devraient l’inventer pour protéger nos intérêts dans la région », a un jour déclaré Biden. Celui-ci ne reviendra pas sur le déménagement polémique de l’ambassade des EU à Jérusalem, décidé par Trump. Il poursuivra également le « plan de paix » de Trump pour le Moyen-Orient.

Le monde selon Biden

Joe Biden a publié un article intitulé « Pourquoi l’Amérique doit à nouveau diriger le monde. Sauver la politique étrangère américaine après Trump » dans le numéro d’avril du magazine Foreign Affairs. On peut résumer sa pensée comme suit : « L’épisode Trump est un accident de l’Histoire. Nous devons au plus vite reprendre le chemin entamé par Barack Obama. »

Après la chute du mur de Berlin, les États-Unis se sont positionnés comme première superpuissance mondiale. « Le système international que les États-Unis ont si soigneusement construit est en train de s’effondrer », observe Biden. Cet ordre doit être rétabli dès que possible. Sinon, « soit quelqu’un d’autre prendra la place des États-Unis, mais pas de manière à servir nos intérêts et nos valeurs, soit personne ne le fera et ce sera le chaos ».

Biden préconise ainsi de poursuivre la vision étasunienne traditionnelle d’un ordre international figé, dirigé par les États-Unis. Comme si les rapports de force entre les grandes puissances sur le plan économique et stratégique n’étaient pas en constante évolution. Comme si les dynamiques régionales ne pouvaient garantir la stabilité hors du contrôle et du pilotage externe des États-Unis. Comme si le système fondé sur l’économie de marché soutenu par les multinationales étasuniennes était le seul choix possible dans le monde.

La Chine comme ennemi numéro 1

Au cours des dernières décennies, la Chine a évolué d’un pays en développement vers une puissance économique mondiale. 800 millions de personnes sont sorties de la pauvreté. Cette évolution s’accélère : selon le Fonds Monétaire International (FMI), en 1980, la Chine représentait 2 % de l’économie mondiale, et les États-Unis 21 %. Aujourd’hui, l’économie chinoise a dépassé l’économie des EU et le FMI prévoit que, d’ici 2025, la Chine ne produira pas moins de 21 % de la richesse mondiale, contre 15 % pour les États-Unis.

« Les États-Unis doivent être durs avec la Chine », dit Joe Biden. La Chine représente un défi particulier. La meilleure façon de le relever est de faire front commun avec nos alliés. »

Joe Biden entend donc d’abord renforcer les relations avec les alliés européens historiques de son pays, afin de s’attaquer ensemble à la Chine, sous la direction des États-Unis. La guerre des technologies n’est pas prête de s’apaiser. Les restrictions sur l’exportation des produits de haute technologie importés par le gouvernement Trump seront maintenues. Comme son prédécesseur, Biden estime que la Chine devrait se voir refuser l’accès aux nouvelles technologies autant que possible.

Changement de régime et guerre froide au nom des droits humains

Au cours des dernières décennies, les États-Unis ont mené plusieurs guerres et ont soutenu ou organisé la chute de dirigeants de pays du Sud. Tout cela au nom de la démocratie, des droits humains et de la lutte contre la corruption.

Biden promet d’organiser, dès l’année prochaine, un « sommet mondial de la démocratie » aux États-Unis. Les pays du « monde libre » participeront à ce sommet, avec pour objectif : « combattre la corruption, se défendre contre l’autoritarisme et promouvoir les droits humains dans leur propre pays et à l’étranger ». L’objectif principal du sommet sera de « répondre à l’agression russe tout en construisant un front uni contre les abus et les violations des droits humains par la Chine ».

La nouvelle guerre froide avec la Chine et la Russie se poursuivra donc, en mettant davantage l’accent sur les droits humains. Quels que soient les critiques et les commentaires à faire sur la démocratie, les droits humains et la corruption en Russie, en Chine et ailleurs, le seul but de l’ingérence du gouvernement américain est de s’assurer que la Chine suive les règles imposées par les États-Unis. Ce n’est donc pas une coïncidence si Joe Biden a déjà un agenda rempli de projets comme une rencontre avec le Dalaï Lama, le chef spirituel tibétain en exil, un soutien aux sanctions à l’égard de Hong Kong, ou encore la recherche de « coalitions démocratiques ».

Renforcer l’OTAN, mais pas l’ONU

Biden veut rétablir la confiance de l’Europe envers les États-Unis en rétablissant les liens avec l’OTAN (l’alliance militaire entre les États-Unis et l’Europe) : « L’engagement des États-Unis envers l’OTAN est sacro-saint et n’est pas un accord commercial. L’OTAN est au cœur de notre sécurité nationale. Ce qui la rend beaucoup plus durable, fiable et puissante que les partenariats construits par la contrainte ou l’argent. »

Biden s’en prend beaucoup à Trump car, par son action, celui-ci a remis en question l’engagement historique des États-Unis à intervenir militairement pour défendre les intérêts européens. Biden, comme Trump et Obama, continuera à exiger des alliés qu’ils augmentent leur budget consacré à la défense à 2 % du produit intérieur brut. La Belgique, par exemple, a dépensé environ 4,95 milliards d’euros à la défense l’année dernière, montant qui devrait être relevé à 9 milliards.

Biden veut redevenir un partenaire loyal de ses alliés européens. Il promet donc de réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien (le traité par lequel l’Iran s’est engagé à ne pas poursuivre l’armement nucléaire, et dont Trump s’est retiré). Mais Biden ne veut revenir à ce traité que pour renforcer l’alliance occidentale placée sous la houlette des États-Unis. En 2015, il soutenait que la participation à cet accord permettait aux États-Unis de s’affranchir des règles de l’ONU : « Si l’Iran viole le traité, nous pourrons imposer nos sanctions et personne à l’ONU ne pourra nous en empêcher. Ni la Russie ni la Chine. »

Dans son article pour le magazine Foreign Affairs, Biden ne mentionne pas une seule fois les Nations unies. Ce n’est pas une coïncidence. Dans le passé, les États-Unis ne reconnaissaient les résolutions des Nations unies que lorsqu’elles allaient dans leur sens. Pour Joe Biden, l’ONU ne peut constituer un frein aux guerres et aux sanctions menées par les États-Unis.

La différence avec Trump

« Donald Trump a humilié les alliés et partenaires des États-Unis, les a affaiblis, voire, dans certains cas, abandonnés », écrit Biden. Il a renoncé au leadership étasunien. Le prochain président devra rétablir la confiance dans notre autorité. ». À aucun moment, il ne se demande comment Trump a pu gagner les élections. Cette victoire, ainsi que celle, serrée, des dernières élections, montre les profondes divisions au sein de la classe dirigeante étasunienne, qui voit sa position dans le monde de plus en plus menacée.

Alors que les présidents des soixante dernières années parlaient d’une communauté mondiale placée sous leur leadership, Trump a remis en question cette stratégie. « Le monde n’est pas une "communauté mondiale", mais un champ de bataille dans lequel les pays, les acteurs non étatiques et les entreprises se font concurrence », selon deux conseillers de Trump.

Selon Trump lui-même, les États-Unis doivent utiliser leur puissance pour servir les intérêts des États-Unis sans détours ni exceptions. Tout traité multilatéral, alliance, etc. qui ferait obstacle à cela, doit céder. Aujourd’hui, nous assistons à un glissement de la politique « America First » (« l’Amérique d’abord ») de Trump vers un retour à une politique « Amercia must lead » (« l’Amérique doit diriger »). Il ne s’agit, en fait, que de variations sur un même thème. Trump et Biden veulent tous deux servir les intérêts des 1% d’Américains les plus riches, également au niveau international, mais en utilisant une tactique et des coalitions en partie différentes.

»» https://www.solidaire.org/articles/de-l-amerique-d-abord-l-amerique-doit-diriger
URL de cet article 36766
   
Être palestinien en Israël – Ségrégation, discrimination et démocratie
Ben WHITE
La Guillotine est heureuse de vous proposer sa deuxième publication. Après Europe-Israël : Une alliance contre-nature de David Cronin, traitant des relations ambivalentes entre l’Europe et Israël, cette fois il s’agit d’une investigation abordant un autre sujet peu éclairé. Alors que les Palestiniens en Israël s’imposent comme une composante incontournable de la réflexion politique et de l’action pour libérer la Palestine de l’apartheid et de la domination militaire sionistes, aucun livre en (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Aussi longtemps qu’on ne le prend pas au sérieux, celui qui dit la vérité peut survivre dans une démocratie.

Nicolás Gómez Dávila
philosophe colombien

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.