Face à l’émotion qu’ont suscité les apparitions publiques de "notre Greta" et ses plaidoiries devant les grands de ce monde, les lecteurs belges ne peuvent que prendre la jeune chinoise en pitié : "les passants regardent avec indifférence les slogans qu’elle a peints elle-même et brandit seule dans les rues de Guilin."(1)
Les commentaires de l’article nous amènent à compatir avec la jeune fille qui doit se battre, seule, face à l’hostilité du régime communiste chinois. « Dans 20 ou 30 ans, si je regarde en arrière et me rends compte que la Chine n’a rien fait, je ne pourrai pas l’accepter », a-t-elle expliqué au journaliste, « ma fierté nationale, c’est de vouloir porter aussi cette responsabilité. »
Mais si les Chinois restent indifférents aux efforts de Howey Ou, c’est surtout parce que la Chine actuelle est très active au niveau environnement. Pour eux, la jeune adolescente est sans doute en mal de reconnaissance et tente de rivaliser avec l’environnementaliste suédoise, Greta Thunberg qui, en peu de temps, est devenue une vedette mondiale du climat. Selon deux enquêtes étasuniennes menées en 2016, 93,1 % des Chinois se disaient satisfaits de leurs dirigeants, les sondés appréciant particulièrement la lutte anti-corruption et la lutte pro-climat. Le public chinois applaudit les efforts du PCC pour rendre leur pays "plus harmonieux et plus beau" et compte sur son gouvernement pour réaliser ce projet à long terme.
"De manière générale, l’environnement impose un nouveau modèle économique que le gouvernement chinois encourage avec de multiples crédits et politiques d’incitation", précise Xu Bo,ancien diplomate vivant à Paris et haut fonctionnaire de l’Unesco.(2) La Chine dispose actuellement des plus grands parcs éoliens et solaires au monde, elle prévoit son pic de carbone en 2026 (4 ans plus tôt que prévu dans l’accord de Paris) et la neutralité carbone d’ici 2060, elle a entrepris un grand nettoyage de ses eaux et de ses sols, elle reboise 6 millions d’hectares de forêts par an, ce qui explique que les surfaces de forêts mondiales ont augmenté de 5% depuis 2000 et, grâce à cette « grande muraille verte », la fréquence des tempêtes de sable, à l’échelle nationale chinoise, a diminué d’un cinquième entre 2009 et 2014, etc.
Évidemment la "Greta chinoise" ne jouit pas d’appuis aussi précieux que ceux issus du capitalisme financier. A l’arrière-plan
sur les photos de "notre Greta", on aperçoit souvent sa collaboratrice, une jeune allemande de 24 ans, Luisa-Marie Neubauer, brillante étudiante en géographie et l’une des principales organisatrices du mouvement "école en grève pour le climat" (aussi nommé Youth for Climate) initiée par Greta Thunberg.
En 2016, Luisa est devenue ambassadrice pour l’organisation non gouvernementale ONE. Sur le site de « ONE foundation », on peut lire : « ONE est né de la rencontre entre Bill Gates et Bono au début des années 2000. Leurs discussions ont porté sur la nécessité de mieux informer les Américains sur l’extrême pauvreté dans le monde. En collaboration avec Melinda Gates, Bobby Shriver, George Soros, Ed Scott, Bob Geldof et Jamie Drummond, ils ont créé une organisation de lutte contre la pauvreté appelée DATA. Elle vise à rassembler des célébrités et d’autres personnes influentes pour exhorter les dirigeants mondiaux à prendre des mesures pour un développement des pays pauvres et enrayer l’extrême pauvreté dans le monde. »(3)
En juillet 2019, « Climate Emergency Fund » (CEF) qui finance « la désobéissance civile pour le climat » a été fondé par trois « milliardaires de gauche », entre autres, Trevor Neilson, PDG d’une société qu’il partage avec le petit-fils de la troisième fortune mondiale, Warren E. Buffett. Neilson a aussi été directeur exécutif de la « Global Business Coalition », une coalition de plus de deux cents multinationales dédiée aux questions de santé et créée avec le fondateur de Microsoft, Bill Gates (qu’on retrouve dans ONE et DATA), avec le fondateur de CNN, Ted Turner, et avec le financier, George Soros (aussi présent dans ONE et DATA). Ce dernier a créé l’Open Society Foundation qui déstabilise des pays entiers en coordination avec la CIA, le NED, l’USAID, Freedom House, etc.(4) Le milliardaire étasunien d’origine hongroise est aussi un des principaux pourvoyeurs de Sa Sainteté le dalaï-lama.
En mai 2019, le dalaï-lama a envoyé à Greta Thunberg un courrier dans lequel il exprimait sa profonde reconnaissance pour les efforts qu’elle déploie : « Il est encourageant de voir comment vous avez ouvert les yeux du monde sur l’urgence de protéger notre planète, notre seule demeure »(5). Il précisait que lui aussi est « un ardent défenseur de la protection de l’environnement ». Est-ce en raison de cette préoccupation commune que Greta fut représentée aux côtés de Sa Sainteté sur la couverture de l’opuscule « L’appel du dalaï-lama à la jeunesse », ou est-ce parce que ces deux effigies réunies dans un même tableau augmentent le pouvoir émotionnel d’un titre accrocheur : « Faites la révolution ! » ?(6).
L’appel du dalaï-lama à la jeunesse n’a cependant rien d’une révolution. Il s’agit d’un pamphlet politique où le leader religieux aligne des clichés à propos des « régimes totalitaires » des pays communistes (sans citer explicitement la Chine, évidemment), de la politique chinoise au Tibet, de l’importance de la « chute du Mur de la honte », etc.(7) Dans son appel à « faire la révolution », la dalaï-lama explique aux jeunes que la seule façon efficace de faire face aux catastrophes naturelles engendrées par les changements climatiques, c’est « de développer la bienveillance et la responsabilité », car « c’est par l’entraide et la coopération que vous vous donnerez les moyens d’endiguer les catastrophes causées par l’injustice économique et sociale ».(8) Formellement, il est impossible de lui donner tort, mais la révolution radicale dont il parle n’est rien d’autre qu’une « révolution intérieure », une révolution qui obéit aux « sciences de la compassion ». On imagine aisément la satisfaction des sommités présentes tous les ans à Davos en lisant le pamphlet de Sa Sainteté.
Quant au moine bouddhiste français, Matthieu Ricard, il est venu témoigné son soutien lors du lancement de l’association « Altruisme efficace » créée par Peter Singer, un « transhumaniste de gauche » qui enseigne la philosophie et la bioéthique à l’université de Princeton aux États-Unis. L’association des altruistes efficaces rassemble des philanthropes de renommée internationale : Peter Thiel, fondateur de PayPal, Jaan Tallinn, fondateur de Skype, Duston Moskowitz, fondateur de Facebook, etc. Ils financent des entreprises caritatives, comme celles de Matthieu Ricard dans "ses Himalayas", en se donnant trois priorités : la réduction de la pauvreté dans le monde, l’amélioration du bien-être animal, la prévention des risques existentiels. Dans cette dernière catégorie, on trouve les risque liés aux pandémies, aux conflits nucléaires, aux effets extrêmes du changement climatique, et ceux liés à l’intelligence artificielle.
La Chine fait aussi appel à ses grosses fortunes pour endiguer l’extrême pauvreté, mais c’est anecdotique par rapport aux milliards de yuan que le gouvernement déploie annuellement pour, petit à petit, financer et soutenir les comtés les plus pauvres du pays. Au cours des 40 dernières années, le PCC est parvenu à sortir plus de 700 millions de personnes de la pauvreté. La Chine est devenu le premier pays en voie de développement à atteindre les objectifs du "Millénaire pour le Développement des Nations Unies" et, si l’on excepte la Chine, la pauvreté a augmenté globalement partout dans le monde. Ainsi que le déclarait Bernie Sanders : « la Chine et ses dirigeants ont fait davantage de progrès en matière d’éradication de l’extrême pauvreté qu’aucun autre pays dans l’histoire des civilisations ».
En distribuant quelques miettes de leur colossales fortunes, les têtes pensantes de notre cannibalisme financier ne font que renforcer le système, or il n’y eut jamais de système plus dévastateur et destructeur de la planète. A cause de ce système ultra-compétitif, ce sont 70% des espèces vivantes qui ont disparu en 40 ans. Que ces « milliardaires de gauche » soutiennent et financent le mouvement des jeunes pour le climat, les mouvements anti-nucléaires et autres mouvements écologistes, est une démonstration par l’absurde de l’hypocrisie à laquelle notre société est confrontée tous les jours.
Derrière le mouvement pro-climat, porté initialement pas des jeunes qui voulaient réellement changer les choses et qui y croyaient avec sincérité, ce sont les grosses fortunes de la méga-économie qui tirent les ficelles. Ou mieux dit, ce sont des « milliardaires de gauche » qui, créant des associations comme ONE, DATA et autres, qui ont « récupéré » et « acheté » le mouvement des jeunes environnementalistes. Il devenait sans doute urgent de tenir la barre face à des initiatives qui auraient pu déraper et se montrer fatales aux rouages du capitalisme financier dont ils sont les élites. Le seul appel à faire aux jeunes et aux moins jeunes est celui de Jean Ziegler, il est un « devoir d’insurrection » pour mener une lutte sans merci contre « l’ordre cannibale ».
Élisabeth MARTENS
13 octobre 2020.
Notes :
1https://www.lalibre.be/planete/environnement/climat-le-combat-solitaire-et-seme-d-embuches-d-howey-ou-la-greta-thunberg-chinoise-5f3a4b8a9978e2322f0bd47c#.Xzrt4NyEj1M.email
2 XuBo, De Shanghai à Paris, mon regard sur la nouvelle Chine, éd. Odile Jacob, p.52
3 https://www.gatesfoundation.org/How-We-Work/Resources/Grantee-Profiles/Grantee-Profile-ONE
4 NED : National Endowment for Democracy ou Fondation nationale pour la démocratie, USAID : Agence des États-Unis pour le développement international , Freedom House : ONG financée par le gouvernement des EU et basée à Washington qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde
5 "Soutien à Greta Thunberg pour ses efforts de sensibilisation à la crise climatique", extrait de la lettre du dalaï-lama du 31 mai 2019 sur https://fr.dalailama.com/news/2019/soutien-%C3%A0-greta-thunberg-pour-ses-efforts-de-sensibilisation-%C3%A0-la-crise-climatique
6 Dalaï-lama, Sofia Stril-Rever, Faites la révolution, l’appel du dalaï-lama à la jeunesse, éd. Massot, 2019
7 Dalaï-lama, Sofia Stril-Rever, op.cit. p.15-20
8 Dalaï-lama, Sofia Stril-Rever, op.cit., p.65
ET TOUJOURS : "Le dalaï lama pas si zen" (Maxime Vivas, éditions Max Milo) en plusieurs langues( et sous des titres adaptés librement pas les éditeurs).