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Cuba - Chine : entrevue avec le professeur Salim Lamrani

Le Premier secrétaire du Parti communiste cubain, Raúl Castro, est en visite en Chine depuis mercredi dernier. L’occasion pour l’État insulaire de signer des accords de coopération avec le géant asiatique, mais aussi, dit-on, s’imprégner du miracle économique chinois. Analyse d’une rencontre bilatérale entre deux alliés communiste que plus de 12 000 kilomètres séparent avec le spécialiste de Cuba, Salim Lamrani (professeur et chargé de cours aux universités Paris Sorbonne-Paris IV et Paris-Est Marne-la-Vallée).

Quelle est la symbolique de cette première visite de Raúl Castro en Chine en tant que Premier secrétaire du Parti communiste cubain ?

Le déplacement de Raúl Castro en Chine revêt une importance de première dimension dans la mesure où il s’agit de son second partenaire commercial après le Venezuela.

Quels sont les liens historiques entre la Chine et Cuba ?

Les relations entre Cuba et la Chine remontent au triomphe de la Révolution cubaine en 1959. Cuba a été le premier pays d’Amérique latine à reconnaître la Chine populaire de Mao en 1960. Les relations se sont ensuite distendues durant la guerre froide en raison du conflit idéologique opposant Moscou à Pékin - Cuba se rangeant du côté de Moscou. Elles ont repris leur cours suite à l’effondrement de l’URSS en 1991, avec notamment la visite de Jiang Zemin (président de la République populaire de Chine de 1993 à 2003) en 1993, alors que Cuba se trouvait au bord du gouffre.

De quelle manière et dans quels secteurs d’activité la Chine aide-t-elle Cuba ?

La Chine a investi massivement dans le secteur de l’industrie - l’extraction de nickel -, de même que dans les secteurs de l’énergie, de la construction, de la santé, des télécommunications, et des transports.

La Chine s’est beaucoup libéralisée, et enrichi dans les dernières années. Et ce, avec succès. Récemment, Raúl Castro a lui aussi entrepris des réformes pour tenter de « libéraliser » quelque peu l’île des Caraïbes. Quelles sont jusqu’à maintenant le succès de ces réformes ?

Cuba a ouvert son économie à l’initiative privée et à la micro entreprise depuis deux ans. Il s’agit d’une ouverture de l’économie étatique au secteur privé, destinée, entre autres, à légaliser une économie informelle croissante, et à récolter des impôts dans un pays peu habitué à la culture fiscale. Ainsi, l’Etat, qui contrôle près de 90% de l’économie, a décidé de déléguer une partie de ses activités économiques à des personnes privées, et se limitera à la gestion et l’exploitation des ressources stratégiques de la nation, avec une décentralisation progressive afin de stimuler le développement. Près de 250 000 nouvelles licences ont été octroyées dans divers secteurs. Près de 178 nouvelles activités ont ainsi été ouvertes au domaine privé et concernent différents champs tels que la restauration - le nombre de sièges dans les restaurant passant de 12 à 50 -, la vente au détail ou la location de chambre. Dans 83 secteurs, les nouveaux entrepreneurs pourront désormais embaucher du personnel, prérogative qui a été jusque là une exclusivité de l’Etat, des sociétés mixtes et des entreprises étrangères, moyennant des charges à hauteur de 25% du salaire de l’employé.

Le succès a été immédiat. En l’espace de six mois, le nombre de petits entrepreneurs est passé de 157 000 à plus de 320 000. Il est aujourd’hui de plus d’un demi-million. Les premiers effets positifs sont apparus avec une augmentation des recettes fiscales de l’Etat au bout de six mois.

De quelle manière concrète la Chine peut-elle inspirer Cuba à entreprendre des réformes économiques ?

Cuba peut s’inspirer des réussites chinoises mais ne doit en aucun cas copier le modèle chinois car il répond d’abord au contexte de ce pays asiatique. Par le passé, Cuba a copié le modèle soviétique, l’a mal copié de surcroît et l’on sait ce qu’il en est advenu. Cuba doit trouver son propre modèle de développement qui réponde à sa situation intrinsèque, édifier sa propre alternative pour améliorer la productivité tout en conservant ses acquis sociaux qui en font un modèle pour les pays du Tiers-Monde. Là se trouve le défi majeur de Cuba.

Quel est l’avantage de la Chine de venir en aide à une économie comme celle de Cuba qui, malgré les avancées des dernières années, demeure plutôt moribonde ?

Il faut prendre en compte d’une part la solidarité politique à l’égard de Cuba qui vit sous état de siège depuis 1960. Les États-Unis imposent des sanctions économiques qui affectent toutes les catégories de la société et constituent le principal obstacle au développement de la nation. Elles disposent d’un caractère extraterritorial - c’est-à -dire qu’elles s’appliquent à d’autres nations et bloquent le commerce international de l’île avec d’autres pays. Par exemple, si la Chine souhaite exporter des camions aux États-Unis, elle doit démontrer que ses produits ne contiennent pas un seul gramme de nickel cubain, etc.…

Certes, la situation économique cubaine est compliquée en raison des sanctions économiques, de la forte dépendance de l’île vis-à -vis des matières premières alimentaires importées à 83%, de la crise systémique mondiale et du manque de productivité, mais la situation des pays voisins ou même de l’Europe n’est pas meilleure.

Au-delà des solides liens politiques qui existent entre les deux nations, Cuba représente un marché de onze millions d’habitants, dispose du capital humain le plus important du Tiers-Monde et d’une population active hautement qualifiée. Cuba reste la plus grande île des Antilles et dispose de nombreux atouts qui attirent les investisseurs étrangers tels que la Chine, mais également le Venezuela, l’Espagne, le Canada.

Propos recueillis par Philippe Rodrigues-Rouleau (répondu par courriel)

http://www.lesoir.be/actualite/monde/2012-07-09/cuba-chine-entrevue-avec-le-professeur-salim-lamrani-925843.php

Docteur ès en études ibériques et latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est aujourd’hui enseignant et chargé de cours dans cette université de même qu’à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages, dont État de siège. Les sanctions économiques des États-Unis contre Cuba, paru en 2011.

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COMMENTAIRES  

13/07/2012 09:29 par emcee

Merci à Salim pour ces explications très claires.
Je me demande comment se fait-il que la Chine ne puisse pas jouer de son influence économique sur les Etats-Unis pour les infléchir sur l’embargo-blocus.

@Viktor Dedaj : Je constate que, dans ce texte, le nom du Premier secrétaire du Parti communiste cubain, Raúl Castro, qui représente une petite île d’à peine plus de 11 millions d’habitants, apparaît quatre fois, alors que celui du président chinois actuel, qui dirige un pays de plus d’un milliard d’habitants, est cité zéro fois.
Ca n’aide pas pour apprendre son nom, ça ;-).

14/07/2012 01:40 par Gondwana

 Président de la République populaire de Chine Hu Jintao

http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_populaire_de_Chine

20/07/2012 08:27 par Jacques-François Bonaldi

"Par le passé, Cuba a copié le modèle soviétique, l’a mal copié de surcroît et l’on sait ce qu’il en est advenu."

C’est un raccourci historique un peu rude ! Ce n’est pas parce que Cuba a "copié" (ce qui est faux) le modèle soviétique qu’elle se retrouve dans sa très difficile situation économique actuelle, mais parce que le pays (et les pays d’Europe de l’Est) avec lequel elle faisait 85% de ses échanges a disparu presque du jour au lendemain et que,de ce genre de coup bas, un pays ne se relève pas si aisément. Le meilleur moment économique de Cuba se situe dans les années 80, précisément en raison de son insertion dans le CAEM. 

20/07/2012 10:55 par Juan Gomez

@ J-F Bonaldi

Par le passé, Cuba a copié le modèle soviétique, l’a mal copié de surcroît et l’on sait ce qu’il en est advenu.

Bonne remarque de votre part sur cette contre-vérité. C’est au contraire parce qu’il n’a pas copié que Cuba n’a pas subi, aux pires moments, le sort de l’URSS : l’effondrement sans réaction populaire notable.

Le professeur-Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris-Sorbonne... ne devrait pas l’ignorer

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