Le dogme de l’ « infaillibité » des marchés
Pour les libéraux, non seulement les marchés sont capables de se réguler tout seuls, mais toute intervention de l’Etat ne ferait qu’empêcher cette régulation. C’est le dogme de l’infaillibilité des marchés et de la « main invisible » qui spontanément affecterait les richesses disponibles de façon optimale.
Cela fait bien longtemps que les l’Etat fédéral américain n’hésite pas à intervenir pour soutenir l’économie nationale : subvention aux entreprises, à l’agriculture, protectionnisme sélectif… Mais jusqu’à la crise financière, il agissait ainsi en proclamant le contraire.
Aujourd’hui, la réalité ne peut plus être cachée. Les marchés financiers qui étaient les modèles des marchés qui « se régulaient eux-mêmes » sont en pleine déroute. Sans l’intervention des Etats, la crise serait encore plus grave qu’en 1929.
Cette débâcle des marchés financiers et l’intervention massive des Etats marquent la faillite du dogme libéral. La régulation des marchés par les marchés eux-mêmes mène tout à droit à la catastrophe.
Le rachat des banques par les Etats
Au cours de l’été 2007, les banques centrales (Banque Centrale Européenne, Réserve Fédérale Américaine, Banque d’Angleterre, Banque du Japon…) avaient injecté plus de 400 milliards de crédit pour permettre aux banques de faire face à leurs besoins de trésorerie. Ces crédits ont continué de plus belle en 2008. Mais l’intervention des Etats va maintenant bien au-delà de simples avances de liquidités aux banques (même s’il s’agit de centaines de milliards d’euros). L’intervention des Etats est passée au stade supérieur, celui du rachat des banques par les fonds publics.
Au cours de l’hiver 2007-2008, les risques de faillites bancaires s’étaient multipliés. Pour éviter un effet « domino » qui aurait vu les banques s’écrouler les unes après les autres, la Northern Rock avait été nationalisée par le gouvernement britannique. Les géants américains Merrill Lynch et Citigroup avait du faire appel à des fonds souverains (propriétés de l’Etat du Koweit ou de celui d’Abu Dhabi) pour renforcer leur capital social.
En septembre 2008, l’Etat fédéral américain nationalisait, de fait, deux énormes institutions financières, Fannie Mae et Freddie Mac, pour un montant de 200 milliards de dollars. Ces deux organismes qui garantissent près de la moitié des 12 000 milliards de dollars de crédits immobiliers aux Etats-Unis venaient, en effet, d’essuyer des pertes d’un total de plus de 14 milliards de dollars et la faillite pointait son nez. Le géant de l’Assurance (AIG) était lui aussi racheté par l’Etat fédéral américain pour la modique somme de 85 milliards de dollars.
En Europe, la nationalisation de la Nothern Bank n’a été qu’un prélude. Les marchés sont, aujourd’hui, incapables de faire face à la crise bancaire qu’ils ont déclenché et les Etats doivent racheter des établissements bancaires pour leur éviter une faillite qui pourrait emporter l’ensemble du système bancaire européen.
Le Benelux nationalise partiellement la banque Fortis. Les gouvernements belge, français et luxembourgeois rachètent pour 6,4 milliards d’euros la banque franco-belge Dexia. Le gouvernement français déboursera, à lui seul, 3 milliards d’euros (1 milliard directement et 2 milliard par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts et Consignation, organisme public). L’Etat allemand garantit le versement de 26,5 milliards d’euros pour sauver Hypo Real Estate, établissement spécialisée dans le financement immobilier et très engagées auprès de Lehman Brothers, la banque d’affaires américaine qui vient de faire faillite.
Les actifs rentables de la banque britannique Bradford & Bingley sont rachetés par une banque privée espagnole, la banque espagnole Santander, l’Etat britannique, quant à lui, nationalise le restant, c’est-à -dire les pertes.
La Commission européenne pourtant habituellement si implacablement opposée à la moindre injection de fonds publics destinée à sauver des emplois dans l’industrie ou les services ne trouve rien à redire à ces opérations.
Il s’agit bien là de nationalisations puisque dans chacun des cas, les Etats détiennent la totalité, ou (dans le pire des cas), une minorité de blocage du capital social. Mais les libéraux qui nous gouvernent ou qui dirigent les partis d’opposition ne veulent surtout pas prononcer le mot. Il s’agit uniquement, pour eux, de mutualiser momentanément les pertes et de rendre les banques aux intérêts privés aussitôt qu’elles recommenceront à faire des profits.
Le plan Paulson
Le secrétaire américain du Trésor, Henry Paulson, avait mis sur pied un plan de rachat des créances pourries des banques américaines pour un total de 700 milliards de dollars en deux ans.
Ce plan fut d’abord rejeté par la Chambre des représentants, le 29 septembre. Ce rejet était du à la conjonction de deux forces, pourtant diamétralement opposées.
La première force était celle d’une grande partie de l’opinion publique qui ne comprenait pas pourquoi les spéculateurs de Wall Street pourraient s’en tirer à si bon compte. Si leur spéculation avait réussi, ils auraient empoché des centaines de milliards de dollars mais comme elle avait échoué, il fallait les rembourser ! Le cinéaste Michael Moore se fit le porte-parole de cette révolte : « Wall Street et ses affidés ont créé ce gâchis et maintenant ils vont s’échapper comme des bandits ». Il montra également toutes les limites sociales de ce plan en affirmant « Rien dans ce plan ne va faire baisser le prix de l’essence que vous mettez dans votre voiture pour aller travailler. Rien dans cette facture ne va vous protéger contre la perte de votre maison. Rien dans cette facture ne va vous donner une assurance médicale ».
La seconde force qui repoussait ce plan était composée de ceux (Républicains pour l’essentiel) qui dénonçaient l’intervention de l’Etat dans la finance et la transformation des USA en « URSSA » !
Finalement, le plan (passé à 840 milliards de dollars) a fini par être adopté par le Sénat le 1er octobre, puis, lors d’un deuxième vote, le 3 octobre, par la Chambre des représentants.
Miracle sarkozien : les caisses se remplissent !
Les caisses publiques étaient vides nous avertissaient Sarkozy qui avaient d’ailleurs fortement contribué à les siphonner pour remplir les caisses privées. Mais miracle, aujourd’hui, les caisses publiques sont de nouveaux pleines !
Sarkozy vient de retrouver 3 milliards d’euros (le double du financement du RSA) pour financer le rachat de la Banque franco-belge Dexia. Les gouvernements belges et néerlandais financent le restant : 3,4 milliards d’euros.
L’Elysée annonce un plan « en faveur de la construction et du bâtiment » : le rachat de 30 000 logements par les organismes HLM. Un autre plan « en faveur des PME » est mis sur pied : 20 milliards d’euros qui devaient d’abord être pris sur les ressources du financement du logement social (le livret A). Ce plan sera, finalement, financé par une partie de la collecte des livrets de développement durable et des livrets d’épargne populaire dont les banques pourront disposer librement.
Tous ces financements sont faits au nom de la sauvegarde de l’emploi. Mais cela ne peut abuser que ceux qui le veulent bien. La droite n’a pas bougé le petit doigt ni surtout versé le moindre euro quand les entreprises licenciaient ou délocalisaient à la pelle. Pourquoi l’emploi serait-il brusquement devenu son principal souci ? Qui peut croire une telle fable ?
La fondation Abbé Pierre qui voit surtout dans le plan d’aide à la construction un « soutien aux promoteurs ». Quant au Droit Au Logement (DAL) il dénonce une mesure qui « vient secourir des pyromanes responsables de la flambée de l’immobilier ».
Le plan « en faveur des PME » présente, avant tout, l’opportunité d’offrir, selon les chiffres mêmes de l’Elysée « 17 milliards d’euros de dépôts supplémentaires remis dans le bilan des banques… » 17 milliards qui tombent vraiment à pic pour les banquiers. Et quand on sait que plus de 80 % des « grandes » PME (celles de plus de 300 salariés) appartiennent à des grands groupes et que la plupart des « petites » PME sont des sous-traitantes de ces mêmes grands groupes, il n’est guère d’illusion à se faire sur la destination finale de ces milliards d’euros : les profits des grandes sociétés.
C’est toujours derrière le paravent de l’« aide à l’emploi » ou de l’« aide aux PME » que l’Etat fait profiter les grandes sociétés de ses largesses. La crise financière est un excellent prétexte pour continuer de plus belle.
Curieusement, enfin, malgré une assistance de l’Etat de plusieurs dizaines de milliards d’euros, ni Sarkozy, ni Fillon ne s’aventure à traiter d’ « assistés » promoteurs et banquiers. Ce terme semble réservé, pour ces gens de droite, à la stigmatisation de ceux que les politiques libérales ont plongés dans le chômage et la misère.
Une « idée folle »
Oubliant la façon dont il vantait le modèle américain, allant même, en avril 2007, jusqu’à annoncer qu’il réformerait le crédit hypothécaire français pour l’aligner sur le système américain à l’origine de la crise des « suprimes », le président de la République n’hésitait pas à proclamer, lors de son discours de Toulon, que « l’idée que les marchés ont toujours raison est une idée folle ».
Mais pourquoi, dans ces conditions, persévère-t-il dans l’ « idée folle » de continuer à livrer aux marchés des domaines aussi précieux que le gaz, la poste, les transports ferroviaires ? Pourquoi faire reculer chaque jour d’avantage l’assurance maladie obligatoire devant les exigences des assurances privées ? Pourquoi livrer l’hôpital public à l’appétit insatiable des cliniques privées ? Pourquoi mettre à l’ordre du jour de la prochaine réunion entre le gouvernement et les organisations syndicales la retraite par capitalisation alors que les marchés et leurs fonds de pension viennent de condamner à la misère des centaines de milliers de futurs retraités américains ?
La majorité sortante du Parti Socialiste plus pâle que jamais
François Hollande se pose en gardien du temple, du traité d’Amsterdam et de la limitation des déficits. Bertrand Delanoë aura quelque peine à assumer son « je suis libéral et socialiste » maintenant que les dogmes libéraux sont en pleine débâcle. Quant à Ségolène Royal qui regrettait d’avoir eu à défendre (même si c’était du bout des lèvres) le Smic à 1500 euros et les 35 heures, comment pourrait-elle bien, aujourd’hui, justifier le dogme néolibéral de « d’abord créer des richesses », alors que la solution à la crise est justement de relancer l’économie et donc, d’abord, de redistribuer les richesses ?
A l’évidence, comme l’écrit notre camarade Philippe Marlière dans une tribune libre de l’Humanité « les débats du congrès de Reims n’opposeront pas « révolutionnaires et « réformistes, « audacieux » et « timides », mais des socialistes qui veulent rompre avec deux décennies de complicité avec le néolibéralisme et ceux qui s’y refusent ».
Jean-Jacques Chavigné
06/10/2008