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Contre-réforme des retraites : un argumentaire de Philippe Arnaud

Face à la propagande gouvernementale et médiatique, il convient d’aiguiser les couteaux. C’est ce que fait Philippe Arnaud avec sa précision coutumière. Philippe s’exprime ici en tant que responsable des Amis du Monde Diplomatique à Tours.

1. On vous dit : il faut bien travailler plus longtemps car on vit plus longtemps. Faux !C’est inverser le rapport des causalités ! C’est parce que, depuis 1945, la durée globale du travail a tendanciellement diminué, par jour, par mois, par an, et tout au long de la vie, que les Français vivent plus vieux. Si on augmente la durée du travail (selon tous les critères de temps), la durée de la vie se remettra à diminuer.

2. On vous dit : la longévité ne cesse d’augmenter. Très inexact ! Si, vers 2003, la durée de la vie augmentait d’un trimestre par an, cette augmentation a fortement régressé, pour ne plus être que d’un mois par an.

2.1. Lorsqu’on vous parle de l’augmentation de la longévité, voici ce qu’il faut rétorquer : ce n’est pas la durée de la vie qui compte, c’est la durée de la vie en bonne santé ! Or, celle-ci, il y a quelque temps, était de 64 ans pour une femme et de 63 ans pour un homme. [J’en sais quelque chose, c’est à 63 ans qu’on m’a diagnostiqué un diabète]. Quand on vieillit, on attrape des maladies chroniques : diabète, cancer, Parkinson, Alzheimer, hypertension, plus baisse des facultés visuelles, auditives, mémorielles, baisse des réflexes, de la capacité à récupérer, etc. [Je tente une image : quand on perd la moitié de ses facultés, ou quand on souffre la moitié du temps, c’est comme si, pour soi, l’année ne comptait plus que six mois. A quoi sert une pension lorsqu’on n’en jouit qu’à moitié ?].

2.2. Sur la longévité, vous pouvez aussi rétorquer ceci : à l’âge de 35 ans, l’écart d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre est de 7 ans, et celui de l’espérance de vie en bonne santé est de 10 ans. Les 40 % d’hommes des catégories socioprofessionnelles les plus modestes dans la tranche des 48-55 ans ont un risque de l’ordre de 30 % supérieur d’avoir une retraite de moins de dix ans (et un risque d’environ 15 % plus élevé de ne pas même atteindre la retraite). [Michaël Zemmour, voir infra]. Conclusion : lorsque le gouvernement retarde l’âge de départ à la retraite, il prend une décision de classe : il abrège délibérément la vie des plus modestes. [Je dis bien la vie et non pas seulement la durée de vie à la retraite].

2.3. Sur cette longévité, vous pouvez ajouter ceci : sous la pression du Medef, le gouvernement Macron a supprimé quatre critères de pénibilité. Ces critères sont la manutention manuelle de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques (par exemples les ouvriers maniant des marteaux piqueurs) et l’exposition aux risques chimiques. A la place, il a mis en place une "usine à gaz" d’examens médicaux laissant les médecins libres de déterminer à quel point les salariés ont été handicapés par ces risques. Cette non-prise en compte va encore abréger la durée de vie des ouvriers. Encore une décision de classe...

3. On vous dit : il n’y aura pas de retraite inférieure à 1200 euros. Sauf que le gouvernement omet de préciser : pour les salariés qui auront eu 43 années de cotisations complètes ! Or, parmi les plus petits salaires, il est très rare que les gens aient eu carrières complètes. Souvent ils ont eu de longues périodes de chômage, des CDD, des temps partiels subis. Il est donc rare qu’on trouve, pour les petites payes, des carrières complètes. Cette disposition ne concernera donc qu’un nombre minime de bénéficiaires. Cela rappelle la mauvaise foi des compagnies d’assurances de santé américaines, qui entretiennent des armées d’experts, qui refuseront de prendre en charge votre opération sous prétexte que, 30 ans auparavant, vous avez oublié de prendre un médicament pendant une semaine ou que vous avez fumé un paquet de cigarettes...

4. On vous dit : la présente réforme est destinée à soutenir le système de retraites. (Comme la corde soutient le pendu). Sauf que le report de l’âge de la retraite va, à la fois, diminuer fortement la surcote et, corrélativement, augmenter la décote. Quand vous partez plus tard que l’âge légal, on vous "récompense" par une surcote (c’est-à-dire un supplément de pension). Et quand vous partez avant, parce que vous vous estimez épuisé, on vous pénalise par une décote (c’est-à-dire un retranchement de pension). En faisant passer l’âge de la retraite de 62 ans à 64 ans, on supprime deux ans de surcote et on ajoute deux ans de décote : toujours ça de gagné...

5. On vous dit : il faut sauver le système de retraites car il est en déficit. Ce qui est malhonnête, dans cette déclaration, c’est qu’on ("on" = le patronat, la droite, le gouvernement) parle toujours de milliards de déficit (les milliards cela impressionne) sans mettre ce chiffre en regard avec deux autres chiffres : d’abord celui du montant total des retraites, dans les 345 milliards. Si on prend comme valeur du déficit 14 milliards (chiffre variant beaucoup, et pouvant même, certaines années, être nul, voire présenter un excédent) et le montant des retraites à 345 milliards, c’est comme si, avec un salaire de 2300 euros (salaire moyen en France), on était, à la fin du mois, dans le rouge de 93 euros. Il y a donc là de quoi relativiser. L’autre chiffre à mettre en regard est celui du montant des cadeaux fiscaux consentis aux riches et aux entreprises. Rien qu’en 2019, le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) versé aux entreprises fut de 40 milliards, pour un nombre d’emploi créé sans rapport. On voit donc le "déficit" des caisses de retraites d’un tout autre œil...

5.1. A cet égard, il faut se rendre compte d’un point aveugle, d’un angle mort dans le regard du gouvernement. C’est que, pour rééquilibrer le régime des retraites, il ne compte que sur des mesures de temps : allonger la durée de cotisation ou retarder l’age de départ à la retraite. Jamais le gouvernement n’envisage une hausse des cotisations ou des impôts, alors qu’il n’est jamais en panne d’invention fiscale pour créer la CSG ou la CRDS. Alors qu’il suffirait, même à un taux minime, de rétablir l’ISF ou de revenir sur des exemptions d’impôts ou des exonérations de cotisations sociales pour résorber le déficit. Là aussi, on a affaire à une décision de classe : le gouvernement ne veut pas mécontenter ses sponsors et ses électeurs, c’est-à-dire les plus aisés...

6. On vous dit : il faut bien retarder l’âge de départ à la retraite (ou augmenter la durée de cotisation), car il y a de plus en plus d’inactifs et de moins d’actifs pour subvenir à leurs besoins. Sauf que cette objection peut être contrée de trois côtés. D’abord les inactifs, ce ne sont pas seulement les vieux : ce sont aussi les jeunes, tant qu’ils sont à la charge de leurs parents. Or, depuis plusieurs années (depuis 2010) selon les calculs, on a une baisse de la natalité, donc moins d’inactifs jeunes. Ensuite que la "charge" des vieux n’est pas une charge physique, comme si les actifs devaient porter les vieux sur leur dos. Les actifs entretiennent les inactifs avec de la richesse créée : or celle-ci augmente avec les progrès de la productivité. En 1920, la moitié de la population française travaillait dans l’agriculture et nourrissait environ 42 millions de personnes. Aujourd’hui, 2 % de la population travaille dans l’agriculture et nourrit 67 millions de Français (et il y a même, ponctuellement, des excédents). Et comment le gouvernement ose-t-il dire cela alors que la grande distribution envisage de supprimer 200 000 caissiers et caissières pour les remplacer par des caisses automatiques, où ce seront les clients eux-mêmes qui paieront en scannant leurs emplettes avec leur téléphone portable ? Et cela vaut pour tous les secteurs : les Impôts, la Poste, où on demande aux gens de faire sur Internet le travail fait auparavant par les fonctionnaires, ou bien dans les services, où les utilisateurs sont incités à faire leurs réparations eux-mêmes, en utilisant des tutoriels, à la place des techniciens qu’on licencie ! Qui peut sérieusement penser que ces entreprises vont voir baisser leur chiffre d’affaires et leurs profits ?

7. On vous dit : les pays étrangers européens sont tous passés à 65, 66, 67 ans... Certains envisagent même de passer à 70 ans. Sauf que, "malgré l’enchaînement des réformes, et peut-être même grâce à l’échec de certaines d’entre elles, la retraite reste plus protectrice et plus égalitaire en France que dans les pays comparables". [Je tire cette citation in extenso de l’article de Michaël Zemmour, paru dans Le Monde diplomatique de novembre 2022]. Sauf que certains pays étrangers, comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont une natalité bien plus basse que la France, donc moins de classes actives qui arrivent sur le marché du travail chaque année. Sauf que beaucoup de ces pays ont des travailleurs pauvres, comme l’Allemagne...

8. On vous dit : pour compenser la baisse des retraites, il faut autoriser la retraite par capitalisation (ou les fonds de pension, c’est la même chose). Sauf que la capitalisation ne reverse pas l’argent épargné sous par sou pendant 40 ans : comme la répartition, l’argent de la capitalisation est toujours prélevé sur les richesses produites au jour même du prélèvement. La richesse ne se transporte pas à travers le temps. Sauf que l’argent ne s’engendre pas lui-même : les intérêts, les dividendes, les plus-values ne tombent pas du ciel. Cet argent, ce sont des salariés qu’on fait travailler plus et qu’on paye moins, ce sont des médicaments qu’on vent plus cher, ce sont des locataires dont on augmente le loyer, ce sont des ouvriers pakistanais qui crèvent sur les chantiers du Qatar, ce sont des salariés français qu’on licencie pour transférer leur travail à des ouvriers indonésiens payés au lance-pierre. Sauf que l’argent placé en Bourse par des gérants est parfois complètement évaporé lors d’une crise boursière et que les nouveaux pensionnés, arrivés à l’âge de liquider leurs droits n’ont plus que leurs yeux pour pleurer (salariés d’Enron, de Maxwell, de plusieurs pays d’Amérique latine). Sauf que seuls les plus riches peuvent se permettre une capitalisation qui leur rapporte un peu, car la capacité d’épargne croit plus que proportionnellement au revenu, les plus pauvres n’épargnant pour ainsi dire rien. Sauf quele résultat de la capitalisation revient à un transfert d’argent des pauvres vers les riches. Sauf que répartition et capitalisation sont incompatibles : la capitalisation est inéluctablement amenée à assécher, à stériliser, à anéantir la répartition. Celui qui prône un mixte de répartition et de capitalisation est d’aussi mauvaise foi que le pâtissier qui proposerait un gâteau au chocolat et au cyanure. Car ce gâteau ne serait pas au chocolat etau cyanure (comme on dirait au chocolat et aux noix ou au chocolat et à la confiture d’orange). Ce serait un gâteau au cyanure. Carrément...

9. Pour revenir au premier point (le report de l’âge de départ à la retraite), il faut souligner ceci : "en 2019, à 61 ans, 35 % des ouvriers n’avaient ni emploi ni retraite et seulement 28 % un emploi. Pour eux, un report de l’âge de départ allongera une période passée au chômage, au revenu de solidarité active (RSA), en maladie ou en inactivité." [Michaël Zemmour, op. cit.] En effet, il est très fréquent que, dans la cinquantaine, on dise à des salariés : tu n’es pas assez rapide, tu ne te mets pas à l’informatique, tu ne veux pas déménager, tu ne comprends pas assez vite, alors tu peux prendre la porte". N’est-il pas pervers de retarder l’âge de la retraite jusqu’à 64, 65, 66... 70 ans, tout en licenciant les gens avant 60 ans ?

A cet égard, je ne résiste pas au plaisir de rapporter les propos d’une personnalité qui a excellemment décrit cette perversité : "Franchement, ce serait hypocrite de décaler l’âge de la retraite... Quand on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, quand on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! C’est ça la réalité de notre pays. On va vous dire : non, non, faut aller jusqu’à 64 ans ! Vous savez déjà plus comment faire à 55 ans ! Les vous disent : les emplois, ce n’est plus bon pour vous. C’est ça la réalité... Vous dire : mes bons amis, il faut travailler plus longtemps, c’est le délai légal, ce serait hypocrite !".

Qui a prononcé ces fortes paroles ? Philippe Martinez, de la CGT ? Jean-Luc Mélenchon, de LFI ? Olivier Besancenot, du NPA ? Que nenni ! C’est Emmanuel Macron, lui-même, président de la République, le 25 avril 2019...

Chers tous, ce contre-argumentaire est largement incomplet, lacunaire, et sans doute, sur nombre de points, inexact. Je vous demande donc de le prendre comme un schéma, une trame, un point de départ, un cadre, à rectifier, à corriger, à amender et à rediffuser avec toutes les améliorations que vous y aurez apportées. Mais si déjà il a pu vous donner un peu d’assurance face à de potentiels contradicteurs, j’en serais très heureux...

PS (additif du GS) : La France serait le pays où l’on prend sa retraite le plus tôt ? Mensonge !

Algérie 60 ans, Biélorussie 60 ans (55 ans femmes), Bulgarie 60 ans, Chine 60 ans (50 ans femmes !), Inde 60 ans, Malte 61 ans, Népal 58 ans, Bolivie 58 ans, Russie 60,5 ans (femmes 55,5 ans), Suède 61 ans, Ukraine 60 ans, Viet Nam 60 ans...

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Sir Josiah Stamp,
Directeur de la Banque d’Angleterre 1928-1941,
2ème fortune d’Angleterre.

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