Un message est arrivé de Syrie sur mon téléphone portable la semaine dernière. « Le général Khadour a tenu sa promesse », disait-il. Je savais ce que cela signifiait.
Il y a cinq ans, j’ai rencontré Mohamed Khadour qui commandait quelques soldats syriens dans une petite banlieue d’Alep, sous le feu de combattants islamistes à l’est de la ville. À l’époque, il m’avait montré sa carte. Il reprendrait ces rues dans 11 jours, m’avait-il dit.
Et puis, en juillet de cette année, j’ai rencontré Khadour à nouveau, à l’est du désert syrien. Il allait, m’a-t-il dit, entrer dans la ville assiégée de Deir ez-Zor avant la fin du mois d’août. Je lui ai rappelé, un peu cruellement, que la dernière fois qu’il m’avait dit qu’il reprendrait une partie d’Alep en 11 jours, il avait fallu plus de quatre ans à l’armée syrienne pour le faire. C’était il y a longtemps, m’a-t-il répondu. À l’époque, l’armée ne savait pas se battre dans une guerre de guérilla. L’armée était formée pour reprendre Golan et défendre Damas. Mais depuis, selon lui, ils avaient appris.
Et c’est bien vrai ! Dans le désert, Khadour m’a dit qu’il allait bombarder la ville de Sukhna - les Russes le feraient en grande partie - et que ses troupes syriennes entreraient dans Deir ez-Zor encerclé par l’EI depuis trois ans, pour libérer les 80 000 civils et 10 000 soldats assiégés. Khadour a dit qu’il atteindrait Deir ez-Zor avant le 23 août. Il a tenu ses engagements à peu de choses près. Maintenant, il se dirige vers les autres parties de Deir ez-Zor et vers la frontière syrienne-irakienne.
Comme Alep est déjà entre les mains du gouvernement et que la province d’Idlib est devenue la poubelle des rebelles islamistes (y compris d’Al-Qaïda) qui ont été autorisés à s’y réfugier après s’être rendus et avoir quitté les parties des villes syriennes qu’ils détenaient, il semble donc que, lorsque Deir ez-Zor sera reprise et que Khadour sera parvenu à la frontière, ce qui a toujours été impensable en Occident se sera produit : les forces de Bashar al-Assad auront gagné la guerre.
Et il ne « semble » pas seulement d’ailleurs. Hassan « Tigre » Saleh, l’officier préféré de la Syrie, dont le ministre russe de la Défense a parlé deux fois, est arrivé à l’endroit de Deir ez-Zor où se trouve la brigade 137 de l’armée syrienne et s’est joint à elle dans le combat, pendant que Khadour, son commandant (et ami), se prépare à libérer la base aérienne de la ville.
Combien de personnes se souviennent du jour où les Américains ont bombardé les soldats syriens près de cette base aérienne et ont tué plus de 60 d’entre eux, ce qui a permis à l’EI de la couper du reste de la ville ? Les Syriens n’ont jamais cru que les Américains avoient commis une « erreur » comme ils le prétendaient. Les Russes ont été les seuls à dire à l’armée de l’air américaine qu’elle était en train de bombarder des forces syriennes.
Les Britanniques semblent déjà avoir reçu le message. Ils ont rapatrié subrepticement leurs entraîneurs militaires la semaine dernière - ces hommes avaient l’intention de préparer les « 70 000 rebelles » mythiques de David Cameron qui devaient soi-disant renverser le gouvernement d’Assad. Même le rapport de l’ONU selon lequel le régime avait tué plus de 80 civils lors d’une attaque au gaz, cet été, a peu retenu l’attention des politiciens européens qui avaient pourtant l’habitude de monter en épingle les crimes de guerre en Syrie et qui ont soutenu l’attaque de missiles de croisière de Donald Trump contre une base aérienne syrienne.
Et qu’en est-il d’Israël ? Voici une nation qui comptait vraiment sur l’élimination d’Assad, allant jusqu’à bombarder ses forces et celles de ses alliés du Hezbollah et de l’Iran, tout en prodiguant des soins médicaux aux combattants islamistes de Syrie dans les villes israéliennes. Pas étonnant que Benjamin Netanyahou se soit montré si « agité » et « émotif » - selon les Russes - lorsqu’il a rencontré Vladimir Poutine à Sotchi. L’Iran est l’allié stratégique de la Russie dans la région, a déclaré M. Poutine. Israël est un « partenaire important » de la Russie. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose - et pas du tout ce que Netanyahou voulait entendre.
Les victoires des Syriens se succèdent les unes après les autres, et cela signifie que l’armée syrienne est maintenant l’une des armées les plus « endurcies » de la région, ses soldats se battent pour leur vie et sont maintenant bien entraînés à la coordination des troupes et du renseignement à partir d’un seul quartier général de commandement. Comme l’a expliqué, cette semaine, Sharmine Narwani, une ancienne chercheuse associée de St Antony’s College, cette alliance est maintenant soutenue par deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie et la Chine.
Alors, que va faire Israël ? Netanyahou a été tellement obsédé par le programme nucléaire iranien qu’il n’a manifestement jamais imaginé – tout comme Obama, Hillary Clinton, Trump, Cameron, May, Hollande et d’autres membres des élites politiques d’Occident – qu’Assad pouvait gagner, et qu’une armée irakienne plus puissante pouvait également sortir des décombres de Mossoul.
Netanyahou soutient encore les Kurdes, mais ni la Syrie, ni la Turquie, ni l’Iran, ni l’Irak, n’ont aucun intérêt à soutenir les aspirations nationales kurdes - malgré l’utilisation par les Américains des miliciens kurdes dans les soi-disant forces démocratiques syriennes (qui sont infiniment plus kurdes que « syriennes », qui ne sont pas « démocratiques » et qui ne seraient pas une « force » sans la puissance aérienne américaine).
Pendant que nous attendions tous que Donald Trump et Kim Jong-un se lancent dans la Troisième Guerre mondiale, nous n’avons pas vu que la carte militaire du Moyen-Orient avait considérablement et radicalement, changé. Il faudra des années pour reconstruire la Syrie et l’Irak (et le Yémen), mais les Israéliens, si habitués à demander de l’aide à Washington, devront peut-être cette fois-ci se tourner vers Poutine pour qu’il les tire du pétrin dans lequel ils se sont fourrés.
Les Israéliens de droite qui affirmaient qu’Assad était un plus grand danger que l’EI vont devoir reconsidérer leur position, parce qu’ils seront peut-être bientôt obligés de parler avec lui, s’ils veulent assurer la sécurité de leur frontière nord.
Robert Fisk
Traduction : Dominique Muselet