Comment peut-on vivre dans un endroit où on a l’électricité seulement quelques heures par jour, et l’eau seulement huit heures tous les quatre jours ?
Gaza et Tel Aviv se trouvent à seulement 75 kilomètres l’une de l’autre. Les deux villes partagent le même sol sablonneux et les mêmes étés brûlants du Levant. Mais les similitudes s’arrêtent là. Si on prenait la nuit une image satellite de la Méditerranée orientale on verrait sur Tel Aviv un flamboiement de lumière incandescente, et seulement quelques petites lumières pâles, un peu plus loin, sur le rivage de Gaza.
Gaza arrive dans son troisième mois de la restriction, imposée de l’extérieur, de son accès déjà insuffisant à l’électricité. L’enclave de deux millions de personnes nécessiterait normalement environ 450 mégawatts (MW) d’électricité par jour pour avoir de l’électricité 24 heures sur 24. Cependant, au cours de la dernière décennie, du fait du rigoureux blocus israélien de Gaza, sa fourniture d’énergie est passée à quelque 200 MW, ce qui a entraîné des pannes de courant continuelles. Mais au cours des derniers mois, selon l’organisation israélienne des droits humains Gisha, la fourniture d’électricité de Gaza a varié chaque jour entre 140 MW et 70 MW, rallongeant d’autant les pannes et les souffrances de la population.
La première cause de la pénurie d’électricité réside dans le différend entre l’Autorité palestinienne (AP) et le Hamas sur la taxation des carburants. Cela a incité l’Autorité palestinienne à demander à Israël de réduire les 120 MW qu’il vendait quotidiennement à Gaza, à environ 70 MW, et Israël l’a fait.
Une deuxième source d’électricité de Gaza est l’unique centrale électrique de Gaza, qui ne peut produire que 50-55MW par jour (et seulement, quand il est possible d’importer du carburant d’Egypte). La centrale électrique a été gravement endommagée par les bombardements israéliens en 2006 et à nouveau en 2014, et Israël a limité l’entrée de pièces de rechange à Gaza. Si l’usine était entièrement opérationnelle, elle pourrait produire environ 140 MW.
La troisième source d’approvisionnement en électricité de Gaza provient de l’Égypte, qui fournit environ 28MW par jour, avec actuellement beaucoup de coupures. Et la quatrième source est constituée de panneaux solaires individuels et de générateurs que seuls les plus aisés peuvent s’offrir.
Les conséquences sociales de cette terrible pénurie d’électricité sont graves. Les ménages sans générateurs ou sans panneaux solaires - la grande majorité des Gazaouis - ont entre 4 et 6 heures d’électricité par jour dans le meilleur des cas, suivies de 12 à 16 heures de coupure. Les hôpitaux sont obligés d’avoir d’énormes générateurs et de rationner l’électricité. Les commerces et les entreprises sont obligés de fermer. Plus de 100 millions de litres d’eaux usées non traitées se déversent quotidiennement dans la Méditerranée, polluent les plages et les lieux de pêche. Il faut acheter la nourriture au jour le jour et la consommer rapidement. Le service Internet - le seul lien de presque tous les Gazaouis avec le monde extérieur - est sporadique. Et il y a peu d’électricité disponible pour la climatisation et les ventilateurs permettant de lutter contre la chaleur étouffante de l’été.
Le contexte de la pénurie à Gaza
L’équipe de pays des Nations Unies (UNCT) dans le territoire palestinien occupé a récemment publié un rapport sans concession (PDF), sur l’impact humanitaire des 10 ans de blocus israélien de Gaza et des divisions politiques internes des Palestiniens. Ses conclusions sont terribles : l’appauvrissement de Gaza est entièrement dû à des décisions humaines, et non à des causes naturelles.
L’année 2007 a été le début de la fin pour Gaza. En juillet de cette année-là, Israël a imposé un blocus total à la bande de Gaza en déclarant qu’elle était une « entité ennemie ». La vie avant 2007 à Gaza était déjà très difficile, mais depuis elle est devenue catastrophique et sans espoir. Gaza, dont on a pu dire autrefois qu’elle était la future « Singapour du Moyen-Orient », est devenue le symbole de la misère la plus horrible.
Selon le rapport de l’ONU, entre 2006 et 2016, le produit intérieur brut (PIB) de Gaza par habitant a diminué de 5,3 %, alors qu’il a progressé de 48,5 % en Cisjordanie occupée. En 2004, 30% de la population vivait déjà sous le seuil de la pauvreté et il y en a 40% aujourd’hui. Gaza souffre de l’un des taux de chômage les plus élevés au monde, soit 41% fin 2016. Plus de 60 % des Gazaouis qui ont entre 20 et24 ans sont sans travail et le taux de chômage des femmes a augmenté de 35% à 64% entre 2006 et 2016. En 2017, plus de 60% de la population dépend partiellement ou totalement de l’aide humanitaire. Selon d’autres rapports, la violence sexiste, les divorces, les suicides et la consommation de drogues sont en augmentation régulière.
Les secteurs économiques traditionnels de Gaza se détériorent. L’agriculture, l’exploitation forestière, la pêche et la production industrielle sont tous en déclin et la principale source de croissance provient, tragiquement, de la reconstruction des quartiers détruits lors des trois agressions israéliennes des neuf dernières années.
Israël contrôle tout ce qui rentre et sort de Gaza ; le nombre moyen de camions de marchandises sortant de Gaza au cours des cinq premiers mois de 2017, n’est même pas le tiers de ce qu’il était au cours du premier semestre de 2007. « La dégringolade économique de Gaza au cours de la dernière décennie », indique le rapport de l’ONU, « est le signe incontestable du recul du développement de la bande de Gaza. »
La situation de l’eau potable à Gaza est désespérée. La surexploitation destructrice de l’aquifère côtier a provoqué des irruptions d’eau de mer, et 96 % des eaux souterraines sont maintenant impropres à la consommation humaine.
La moitié de la population a accès à l’eau pendant seulement huit heures tous les quatre jours et 30 % des habitants ont de l’eau pendant huit heures tous les trois jours. L’eau des camions citernes est 15-20 fois plus chère que l’eau du réseau, et elle n’est pas de bonne qualité. Comme pour tous les produits rares, ce sont les pauvres et les personnes en état de faiblesse qui sont les plus touchés. Un nouvel accord sur l’eau entre Israël et l’Autorité palestinienne, annoncé récemment, pourrait soulager un peu la population, mais pour bien, il faudrait que Gaza parvienne à l’autosuffisance grâce à des usines de désalinisation et à une production d’électricité sécurisées.
Le rapport de l’ONU rappelle au monde entier qu’Israël demeure la puissance occupante à Gaza, car il contrôle ses frontières terrestres, maritimes et aériennes, même s’il n’a plus de « bottes au sol ». En tant que tel, il a l’obligation juridique d’assurer la santé, la dignité et le bien-être de la population. Le rapport souligne en particulier, que « les nombreuses restrictions imposées par Israël à la fois sur les mouvements des personnes et sur les biens entrant et sortant de Gaza violent toute une série de droits humains élémentaires tels que le droit à la liberté de mouvement et ... le droit à la santé, à l’éducation, à un travail, à un niveau de vie décent et à une vie de famille ». Les autres acteurs qui sont responsables de Gaza - le Hamas, l’Autorité palestinienne et l’Égypte - ont également le devoir légal de respecter les standards humanitaires et les droits humains, ce qui n’a pas toujours été le cas au cours des dernières années.
En 2012, l’ONU a publié un rapport intitulé « Gaza en 2020 : pourra-t-on encore y vivre ? » (PDF). Ce rapport était inquiétant, mais le dernier rapport de l’ONU est désespérant. Il conclut que Gaza, en cinq ans, a été victime d’une « spirale descendante de développement », qui a enfermé les habitants de Gaza dans un cercle vicieux de crise humanitaire et de dépendance perpétuelle à l’aide humanitaire. »
Il ne reste que trois ans avant 2020, et le rapport souligne que, s’il n’est pas mis fin à la situation actuelle, Gaza deviendra encore « plus isolée et plus désespérée » avec le risque de conflits encore plus dévastateurs et d’une économie encore plus exsangue. Si rien n’est fait, il vaut mieux cesser de nourrir l’espoir d’une réconciliation politique entre les Palestiniens et d’une paix durable entre Israël et la Palestine. Alors, est-ce que les images satellites de la nuit à Gaza montreront bientôt quelques lumières ?
Michael Lynk
Michael Lynk est le rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967. Il a été nommé en 2016. Il enseigne également à la Faculté de droit de l’université de Western Ontario (London, Ontario, Canada)