Le Courrier, mardi 30 mai 2006.
Attendue, la victoire d’Alvaro Uribe dès le premier tour de la présidentielle est encore plus nette qu’on ne le craignait. L’indéfectible allié de Washington a su rallier 7millions de Colombiens à son message martial : la guerre civile (le terrorisme, en langage « uribien ») ne cessera que par la défaite militaire de la guérilla (des terroristes, donc).
En plaçant des cohortes de militaires sur les grands axes de circulation, Alvaro « Main dure » a réalisé un coup de maître. Après une décennie d’insécurité chronique autour des grandes villes, le président sortant a su créer l’illusion presque parfaite d’un retour à la normale. D’autant que des statistiques taillées sur mesure ont enjolivé le tableau.
La mise en scène de la démobilisation des Autodéfenses unies de Colombie (AUC) a fait le reste ; nombre de Colombiens ont vu en ce grand fermier l’homme fort dont le pays aurait besoin. Tant pis si les exactions policières et militaires se sont multipliées durant son mandat dans les zones les plus reculées. On parlera de guérilleros arrêtés. Et tant pis pour les 2750 personnes assassinées par les milices paramilitaires depuis que celles-ci n’existent officiellement plus [1]. On camouflera ça en crimes de droit commun.
Il faut admettre que la machine électorale d’Uribe est aussi massive que parfaitement rôdée. De la télé colombienne au quotidien suisse Le Temps [2], la célébration de « la plus ancienne démocratie d’Amérique du Sud » est presque unanime. Dans une population fatiguée de l’équation Colombie=guerre, le discours porte bien.
Reste l’autre face du peso colombien. D’abord, parce que les 62% obtenus par le président sont à relativiser. Moins de la moitié des Colombiens ont voulu -ou pu !- se rendre à l’isoloir. Et ce malgré la trêve accordée par les FARC pour que puisse se dérouler le vote.
Par ailleurs, la récente révélation d’un présumé trucage des élections de 2002 en faveur d’Uribe jette immanquablement une ombre sur le scrutin de 2006.
Mais l’élection de dimanche aura surtout été marquée par le score historique du candidat de la gauche unie, Carlos Gaviria. Près d’un quart des votants ont porté leur choix sur l’ancien président de la Cour constitutionnelle. Une première dans un pays où l’identification de la gauche à la lutte armée avait longtemps rendu l’émergence d’un parti progressiste impossible. Dominée durant plus de quarante ans par le bipartisme de façade opposant libéraux et conservateurs, la Colombie s’est réveillée hier avec un président de droite et une opposition de gauche. Une révolution !
Porteuse d’espoirs, cette situation nouvelle doit être observée avec vigilance depuis l’étranger. Car le souffle nouveau apporté par le candidat du Pôle démocratique alternatif (PDA) a fini par décoiffer également les paramilitaires. A quatre jours du scrutin, le groupe « Colombie libre de communistes, bras armé des ex-AUC », est ainsi sorti du bois pour rappeler l’essence de la « démocratie colombienne » : « Nous n’accepterons aucun autre résultat qu’une victoire de notre candidat-président Alvaro Uribe », ont averti ces paramilitaires censément démobilisés, précisant que « si d’aventure dimanche, la majorité est porteuse de maillots jaunes (le T-shirt du PDA, ndlr), nous nous chargerons de les teindre d’une autre couleur (...) : le rouge sang ». Une menace à prendre au sérieux malgré le succès de leur favori : à la fin des années 1980, plus de 3000militants du parti de gauche Union Patriotique avaient été liquidés par les prédécesseurs des AUC avant même de pouvoir remporter un scrutin...
Benito Perez
– Source : Le Courrier www.lecourrier.ch
La Colombie d’Ingrid Betancourt, par Maurice Lemoine.
Réaction à l’article sur Ingrig Betancourt dans le N°1 de l’écorégion, par J. C. Cartagena.
Les véritables raisons de l’intervention nord-américaine en Colombie, par Doug Stokes.
Les USA prêts à déployer des troupes en Colombie, par Garry Leech.
La Colombie sur RISAL : des dizaines d’ articles en français !