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Claude Truchot et Bernard Cassen sur le tout-anglais

Angliciste, parlant couramment l’allemand, Claude Truchot est l’un des meilleurs sociolinguistes de France. Il défend depuis bien longtemps l’idée qu’il n’y a d’Europe que multilingue. Il dresse ici un bilan très sombre du tout-anglais dans certaines universités européennes.

En Europe du Nord, le recours à l’anglais a été un moyen de compenser la faible diffusion internationale des langues nationales, considérée comme un handicap pour l’attractivité internationale des universités, notamment lors de la mise en place du programme d’échanges universitaires Erasmus qui a vu les étudiants se tourner en masse vers les universités britanniques, françaises et espagnoles.

Pour ce faire, les universités nordiques et néerlandaises se sont appuyées sur une compétence acquise : la connaissance de l’anglais. Ces universités ont ainsi pu attirer une proportion plus importante d’étudiants étrangers. Précisons toutefois que celle-ci reste très largement inférieure à ce qu’elle est en France. En revanche, les effets négatifs sont multiples et de plus en plus mis en évidence :

 Les langues nationales disparaissent des enseignements de haut niveau. Aux Pays-Bas, les masters tendent à avoir lieu presque exclusivement en anglais. Ainsi, en 2008-2009 à l’université de Maastricht, sur 46 masters le seul qui n’était pas en anglais était celui de droit néerlandais.
 Calqués sur les enseignements dispensés par les universités américaines, les cursus perdent toute spécificité et ignorent les travaux scientifiques européens.
 Aux Pays-Bas, les universités ont perdu non seulement l’usage du néerlandais, mais aussi l’ouverture internationale qui les caractérisait traditionnellement par la connaissance d’autres langues, surtout l’allemand et le français, actuellement ignorées des étudiants.
 Si le niveau de connaissance de l’anglais parmi les enseignants est généralement considéré comme correct, l’usage qu’ils peuvent en faire n’est pas celui qu’en ferait un anglophone. Les cours sont récités, les échanges avec les étudiants sont limités, et ont souvent lieu dans une langue approximative. La perte d’information dans la transmission des connaissances est considérable.

Le bilan probable, mais les autorités n’ont jamais osé le faire, est que la qualité de l’enseignement supérieur a baissé dans ces pays.

Cette prise de conscience s’est faite en Allemagne à la suite de dix ans d’anglicisation. Le bilan par les chefs d’établissements est sans concession :

 S’ils admettent que l’enseignement en anglais a pu renforcer l’attractivité de certains cursus, ils constatent qu’ils attirent des étudiants étrangers dont le niveau en anglais est insuffisant. De nombreux enseignants allemands n’ont pas « les compétences linguistiques requises pour garantir que l’enseignement dispensé en anglais soit de haut niveau ».
  La polarisation sur l’anglais se fait aux dépens des autres langues et de l’ouverture internationale des universités.
  La mise à l’écart de l’allemand des enseignements internationaux contrecarre les efforts faits pour développer la diffusion et le prestige de cette langue dans le monde.
  Alors que les échanges internationaux devraient permettre aux étudiants, chercheurs et enseignants venant de l’étranger de connaître la culture et d’apprendre la langue du pays qui les accueille - ici l’allemand -, cet aspect est marginalisé.
  Ce mode d’internationalisation crée de multiples problèmes de gestion auxquels les universités ne peuvent faire face.

L’intégralité de l’article sur le site de Mémoire des Luttes.

Bernard Cassen propose ironiquement d’aller plus loin en imposant le chinois, la vraie langue de l’avenir :

Ce 22 mai, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, met en discussion à l’Assemblée nationale un projet de loi dont l’une des dispositions clés est l’institutionnalisation de l’anglais comme langue de l’enseignement universitaire en France. Sous un camouflage hypocrite – il est question de « langues étrangères » et pas de l’une d’elles en particulier –, ce texte est un pas de géant vers la mise sous tutelle anglo-saxonne de l’activité scientifique française. Pas seulement française d’ailleurs : venant de Paris, l’exemple fera tache d’huile dans les autres pays francophones, notamment en Afrique, et dans ceux des langues latines proches (espagnol, italien, portugais).

Une langue n’est pas seulement un outil de communication ; c’est, comme l’écrivait Gramsci, « une vision du monde » qui se décline en concepts, en approches intellectuelles, voire en valeurs. Y compris dans la science. C’est la pluralité et parfois la confrontation de ces « visions » qui stimule la créativité des chercheurs. Ce que propose Mme Fioraso, c’est de faire abstraction de sa langue maternelle et de penser tous directement en anglais, exercice où les native speakers auront toujours plusieurs longueurs d’avance sur les locuteurs d’autres langues, et où c’est l’avancement de la recherche, pris globalement, qui sera finalement perdant. La diversité linguistique est en effet un bien commun aussi précieux que la biodiversité.

Nul ne sait si Mme Fioraso s’est jamais posé ce type de questions. En tout cas, les arguments qu’elle avance en faveur de son projet de loi ne témoignent pas d’une réflexion originale. Il s’agit, selon elle, de promouvoir l’ « attractivité » des universités françaises pour les étudiants étrangers. C’est en quelque sorte la version « enseignement supérieur » de la « compétitivité », cette chimère devenue l’alpha et l’oméga de la politique gouvernementale. Pour cela, une recette miracle – déjà préconisée dans le passé par, entre autres, Alain Minc, Claude Allègre, Valérie Pécresse ou Silvio Berlusconi – est appelée à la rescousse : l’anglais, et même progressivement le « tout-anglais » dans la science, la technique, la communication et l’enseignement.

Lire la fin de l’article ici.

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