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Chili : un premier mai révélateur

Le défilé du Premier mai 2014, organisé par la Centrale Unitaire des Travailleurs (CUT) dans les rues de Santiago, a été une manifestation significative pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la marche, qui a parcouru le centre de la capitale passant même devant le palais présidentiel de La Moneda, tout cela sans subir de répression, a vu la participation massive de 100 000 personnes (1). et plusieurs membres du gouvernement de la Nouvelle Majorité (NM) ont pris part au défilé (2).

Parmi les participants on pouvait relever la présence d’organisations représentatives d’un large éventail politique et social. Cohabitation autrefois impossible : ce Premier mai 2014, après la marche pour la nationalisation de l’eau (3), a vu côte à côte des ministres (les ministres du travail et du service national de la femme (SERNAM) ainsi que le porte-parole du gouvernement, avaient répondu à l’appel de la CUT), des députés et des élus locaux (maires par exemple), des organisations d’étudiants, comme l’Union Nationale des Étudiants (UNE) qui regroupe des militants radicaux non adhérents à la NM, des dirigeants de la Fédération d’Étudiants de l’Université du Chili (FECH) en exercice, des dirigeants de partis politiques, et jusqu’aux supporters de l’équipe de football de l’Université du Chili, « Ceux d’en bas » (« Los de abajo »), qui se sont distingués par leur résistance durant la dictature.

Ensuite, et ce n’est pas un fait de moindre importance, le cortège a été attaqué par des groupes d’encagoulés qui ont fait des blessés aussi bien parmi les manifestants que les forces de l’ordre.

L’agression, concertée et préméditée, par des groupes de jeunes encagoulés armés de bâtons et de cocktails Molotov, contre les travailleurs à la fin du cortège, a jeté une ombre sur la journée. Des membres du service d’ordre de la CUT et des Carabiniers ayant été blessés, le Parti Socialiste comme les Carabiniers ont porté plainte pour coups et blessures (4). Les Jeunesses Communistes, qui comptent aussi plusieurs blessés (treize) et sont en train d’étudier les actions légales à conduire, ont, avec le Parti, fait une déclaration condamnant cette violence contre les travailleurs et le mouvement social. Ils font remarquer que ces actions, d’origine obscure, font le jeu de la droite mais qu’elles ne réussiront pas à affaiblir les mouvements syndical et social, ni à semer la méfiance et la confusion parmi les travailleurs organisés, principale force d’impulsion des processus de transformation que vit le pays. La déclaration se termine en soulignant qu’aux « actions de terreur financière de la droite vient s’ajouter la violence irresponsable de provocateurs professionnels » (5).

Rappelons qu’à l’époque des grandes luttes estudiantines de 2011, des groupuscules d’extrême gauche -facilement manipulables-, mêlés à des éléments du lumpen, avaient tenté, violemment, d’occuper le siège du Parti Communiste à la grande satisfaction du gouvernement Piñera (6). Bizarrement, un photographe de « The Clinic » se trouvait sur place à cet instant précis, produisant un reportage qui chargeait les militants défenseurs du local (7). Par la suite, les « manifestants » cagoulés ont fourni au gouvernement de droite le prétexte idéal pour interdire et réprimer toutes les marches des mouvements sociaux.

Revenons à ce Premier mai 2014, où un autre défilé appelé alternatif par ses organisateurs, l’Union de Classe des Travailleurs (UCT), a réussi à réunir quelques centaines de personnes qui, sans cesser de réclamer « l’unité des travailleurs » (sic) , avaient pour principaux mots d’ordre le rejet de la CUT et du gouvernement (8). Parmi les méfaits commis par ces manifestants, mais non revendiqués, on peut compter l’attaque des locaux d’une cantine de la police d’investigation (PDI), l’agression d’un carabinier isolé auquel les manifestants ont fait tomber toutes les dents (9) ainsi que l’agression de personnes venues à son secours (10).

Malgré ces incidents, ce Premier mai mobilisateur est un pari réussi pour Barbara Figueroa, la présidente de la CUT, qui, dans un entretien, avait clairement défini sa politique unitaire : « Aujourd’hui ce que nous voulons -car nous ne pouvons pas le faire tout seuls- c’est conjuguer nos efforts avec tous ceux qui veulent effectivement des transformations pour le Chili. » (11).

Dans son discours, pendant le meeting auquel ont assisté des organisations syndicales et des représentants de mouvements sociaux, B. Figueroa a fermement défendu le projet de loi de réforme fiscale actuellement en discussion au parlement, premier pas pour réduire les inégalités. Elle a aussi estimé que la création d’une Administration de Fonds de Pensions (AFP) d’État, comme le propose le gouvernement, n’était pas suffisante (12). Mais, elle l’a précisé dans un entretien : seul un système solidaire par répartition peut assurer des pensions dignes et garanties dans le temps (13).

Elle a également annoncé la prise en compte par la ministre du travail (14) d’une des plus profondes revendications de la CUT, donc des travailleurs : la réforme du code du travail qui vient constituer le quatrième pilier de l’action gouvernementale (15). Dans cette réforme entrent l’élimination du multi-employeur, le droit de se syndiquer, l’instauration de la négociation collective ou encore la dépénalisation du droit de grève, points depuis longtemps revendiqués par la CUT. Cela montre ainsi qu’elle n’a pas un rôle « secondaire » ni « une vision erronée », comme certains « analystes » veulent nous le faire croire (16).

Barbara Figueroa a aussi souligné que « beaucoup ne croyaient pas que ça serait possible, beaucoup souhaitaient que notre voix ne fusse pas entendue, [...] et aujourd’hui nous pouvons leur dire en les regardant en face que nous n’avons pas failli » (17), dénonçant ainsi les mauvaises volontés et les pronostiqueurs malintentionnés et malhonnêtes. Parmi ceux-ci on trouve le « scientifique » et militant du NPA F. Gaudichaud. Celui-ci dénonce le manque d’« indépendance de classe » de B. Figueroa et de la CUT qui, selon lui, adoptent « des positions politiques électoralistes, susceptibles de diviser les travailleurs ». Il termine son analyse en leur recommandant de « s’organiser en conséquence et avec des instruments politiques qui leur soient propres » (18).

Après le succès de ce Premier mai, nous pensons ne pas nous tromper en affirmant que désormais, les mouvements sociaux seront de plus en plus acteurs du changement et non plus simples spectateurs ou demandeurs comme à l’époque du gouvernement Piñera. Signe que nous sommes bien dans un nouveau cycle politique.

J.C. Cartagena et N. Briatte

Notes :

(1) « Premier mai : la CUT estime à 100.000 les participants à la marche ». « La marche pour le Jour du Travailleur est passée sans incident devant la Moneda et a réuni plusieurs ministres et parlementaires ».
http://www.lanacion.cl/noticias/economia/laboral/1-de-mayo-marcha-de-la-cut-pasa-sin-incidentes-frente-a-la-moneda/2014-05-01/103806.html

(2) Parmi les manifestants on comptait des députés tels que Giorgio Jackson de Revolución Democrática (RD), les socialistes (PS) Maya Fernández, petite fille d’Allende et Daniel Melo, les communistes (PC) Karol Cariola, Camila Vallejo. Le secrétaire et le chargé de communication de la FECH, Irací Hassler et Benjamín Idini (UNE). Javiera Parada de RD, le maire de Recoleta Daniel Jadue et le sénateur socialiste Carlos Montes. Le porte-parole du gouvernement Alvaro Elizalde, les ministres du travail, Javiera Blanco et du service national de la femme, Claudia Pascual.
http://www.lanacion.cl/noticias/pais/nacional/maite-orsini-giorgio-jackson-y-el-bulla-marchan-con-la-cut/2014-05-01/112850.html

(3) « Trois députés appellent à la marche pour la nationalisation de l’eau »
« Il s’agit des législateurs Daniel Nuñez (PC), Yasna Provoste (DC) et Christian Urízar (PS), qui seront présents dans la manifestation ».
D. Nuñez a déclaré que la marche avait pour objectif que les citoyens, les organisations sociales, de travailleurs et environnementalistes exigent que l’eau soit une ressource qui appartienne à tous les Chiliens et qu’elle soit remise aux mains de l’État. Actuellement au Congrès deux projets sont en cours de discussion : la réforme du Code de l’eau et la réforme constitutionnelle, qui permettront que l’eau soit un bien public.
http://www.lanacion.cl/noticias/pais/nacional/tres-diputados-llaman-a-marchar-por-la-nacionalizacion-del-agua/2014-04-23/160559.html

(4) « Un groupe minoritaire qui a provoqué des violences s’est affronté à une équipe formée par des travailleurs et militants des jeunesses communistes. Les carabiniers ne sont intervenus que 15 minutes plus tard »
http://www.lanacion.cl/noticias/pais/nacional/escaramuzas-entre-encapuchados-y-seguridad-de-la-cut-en-el-cierre-de-la-marcha/2014-05-01/124555.html

« La jeunesse socialiste portera plainte contre les responsables des agressions envers ses militants pendant la marche du Premier mai »
http://www.soychile.cl/Santiago/Sociedad/2014/05/01/246537/La-Juventud-Socialista-anuncio-querella-contra-responsables-de-agresiones-a-sus-militantes-en-marcha-del-1-de-mayo.aspx

(5) « Si les agresseurs croient, qu’avec ce type d’expression ils vont affaiblir le mouvement social, ils se trompent, comme se trompent ces personnalités de droite qui presque en même temps injuriaient la CUT pour son appui à la réforme tributaire ».
« Il est clair que, devant le nouveau cycle de politique sociale qui se développe au pays, des forces minoritaires qui défendent leurs privilèges essaieront de créer la confusion et la méfiance, situation qui exige la vigueur et l’unité du mouvement syndical qui continuera à être le principal promoteur du processus de transformations pour lequel le peuple du Chili a majoritairement opté ».
http://www.pcchile.cl/?p=9164

(6) « Le lundi 12 septembre 2013, une trentaine de personnes a fait irruption de manière violente au Comité Central de notre Parti, avec l’intention de l’occuper, frappant des permanents et détruisant des ordinateurs et du mobilier ». « Il nous semble important de souligner et valoriser l’attitude d’un groupe de lycéens de l’Institut National Barros Arana (INBA), qui, une fois l’attaque terminée, se sont adressés à notre Secrétariat Général pour exprimer leur mécontentement et le rejet de la forme dont l’action fut menée, car ils croyaient qu’elle devait avoir un caractère pacifique ».
http://www.pcchile.cl/?p=4787

http://old.kaosenlared.net/noticia/chile-sede-comite-central-partido-comunista-violentamente-atacada

http://www.elciudadano.cl/2011/09/13/40745/atacan-sede-del-partido-comunista-y-resultan-4-personas-heridas/

(7) « Le Parti Communiste a porté plainte pour l’attaque du siège de son Comité Central. Le Secrétariat d’Education Rebelle (SER) de tendance clairement anti-communiste a tenté avec violence mais sans succès d’occuper la siège du PC ».
« Des journalistes de The Clinic au courant de l’agression, au lieu de prévenir les militants, dont certains ont été blessés, ont préféré se taire et participer, avec leurs reportages, à l’agression et la manipulation ».
http://www.victorjara.se/articulo.php?art=5223

(8) Pratiquement tous les intervenant se réclamant des « vrais travailleurs » accusent la CUT de s’être vendue au gouvernement et au patronat. Voir vidéo :
http://www.youtube.com/watch?v=25OwPiOvxMo

http://www.radiovillafrancia.cl/tag/marcha-1-de-mayo

http://www.rebelion.org/noticia.php?id=184218&titular=primero-de-mayo-en-santiago:-dos-marchas-dos-caminos-

(9) Voir vidéo :
http://www.24horas.cl/nacional/registran-agresion-a-carabinero-en-la-marcha-del-1-de-mayo-1210218

http://www.elnortero.cl/noticia/sociedad/video-brutal-agresion-un-carabinero-en-la-marcha-del-1-de-mayo

(10) http://www.soychile.cl/Santiago/Policial/2014/05/02/246683/Carabinero-agredido-durante-la-marcha-del-1-de-mayo-No-quiero-que-me-peguen-mas.aspx

(11) Barbara Figueroa : « Les temps de la CUT ne sont pas nécessairement les temps du gouvernement »
« Ce que nous proposons n’est pas un programme de gouvernement, nous sommes en train de proposer un pays différent, une alternative à ce que pendant 40 ans -par le biais de la dictature-, on nous a imposé : un modèle prédateur, dont la croissance est faite sur le dos des travailleurs. Et aujourd’hui ce que nous voulons -car nous ne pouvons pas le faire tout seuls- c’est conjuguer nos efforts avec tous ceux qui effectivement veulent des transformations pour le Chili. Et en cela, effectivement, pour nous ce sont des temps d’urgences »
http://www.dilemas.cl/entrevistas/1942-nuestros-tiempos-son-de-urgencia.html

(12) « Le Chili est en train de changer et ce processus ne s’arrête pas, ni ne fait marche arrière. Mais avec cette même conviction nous disons que même si ce processus est de longue haleine, ceci n’implique pas que les changements soient mécaniquement garantis [...] . Nous sommes au commencement d’un nouveau cycle, il n’y a pas de doute, mais ça dépendra de nous qu’effectivement ce soit le temps [de l’expression] des grandes majorités dans ce pays. Pour cela nous avons signalé que ce Premier mai est spécial, au moment où le Chili vit un débat ouvert à tous les citoyens et où s’affrontent des projets pour le pays, distincts et opposés. L’évincement de la droite [du gouvernement] et l’arrivée de la Nouvelle Majorité au gouvernement et au parlement, sont de bons signes pour nous car ils laissent derrière quatre ans de calvaire pour le mouvement syndical, mais la situation montre aussi qu’il faut rehausser le rôle des acteurs sociaux et du mouvement syndical organisé.

Nous le faisons d’ailleurs, avec la responsabilité qui nous revient en tant que Centrale, car nous avons réussi à édifier le quatrième pilier de la période, à savoir, les réformes sur le code du travail. Non seulement nous pouvons être fiers comme mouvement syndical d’avancer avec nos revendications, mais ceci nous impose une plus grande responsabilité vis à vis du Chili et des changements.

[En plus des trois autres piliers] il fallait aussi une réforme du code du travail qui puisse rendre le pouvoir aux travailleurs et consolider le pouvoir de négociation collective afin d’avancer dans l’énorme tâche de justice et égalité.
[...] mais nous sommes allés au débat et nous avons avancé avec nos convictions et aujourd’hui nous pouvons leur [ceux qui n’y croyaient pas] dire en les regardant en face que nous n’avons pas failli. Le gouvernement a dit avec force et clarté : les réformes du code du travail constituent le quatrième pilier et nous le saluons, nous le reconnaissons et nous l’impulsons comme tâche conjointe à défendre et développer.
MAYO 2014 : Discurso de Bárbara Figueroa Presidenta de la CUT

(13) « Nous avons participé à un débat depuis des années et l’AFP d’Etat ne reflète pas le besoin d’un système de pensions dignes. Introduire la concurrence dans le système peut être valable en terme de politiques publiques, mais elles nous semblent insuffisantes ». "Nous voulons un système solidaire par répartition qui ne garantisse pas seulement la cotisation du travailleur mais aussi celle de l’employeur, qui permette une stabilité dans le temps ».
http://www.eldinamo.cl/2014/05/02/barbara-figueroa-la-afp-estatal-no-refleja-la-necesidad-de-pensiones-dignas/

(14) « La ministre Blanco : “La réforme du code du travail est le quatrième pilier du programme gouvernemental” de Bachelet »
http://www.elmostrador.cl/pais/2014/05/01/ministra-blanco-agenda-laboral-es-el-cuarto-pilar-del-programa-de-gobierno-de-bachelet/

(15) voir (12)

(16) Rafael Agacinos, économiste interrogé par Franck Gaudichaud assène ses vérités : « Nous pouvons ainsi affirmer que la situation actuelle du mouvement de travailleurs est un état de faiblesse générale produit de quarante années de néolibéralisme et de la persistance d’une vision erronée de la direction du syndicalisme traditionnel [CUT] » et « Dans ce processus, les directions de la CUT ont joué un rôle secondaire, quand elles n’ont pas joué un rôle de frein. »
http://alencontre.org/ameriques/amelat/chili/chili-le-gouvernement-bachelet-le-neoliberalisme-et-les-alternatives-critiques-analyses-et-entretiens-en-bas-a-gauche.html

(17) voir (12)

(18) « C’est d’ailleurs pourquoi je n’étais pas d’accord lorsque la CUT chilienne a appelé à voter pour Bachelet, ce que la présidente de la CUT comme militante communiste aurait pu faire à titre personnel, mais pas au nom de la centrale syndicale ! Le grand dirigeant du mouvement ouvrier qu’était Clotario Blest s’est toujours opposé à ce que le mouvement syndical perde son indépendance de classe et adopte des positions politiques électoralistes, susceptibles de diviser les travailleurs, et cela même durant le gouvernement Allende. »
« Les travailleurs et les secteurs populaires doivent s’organiser en conséquence et avec des instruments politiques qui leur soient propres »
http://www.pressegauche.org/spip.php?article17244


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