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Chili, Michelle Bachelet, la Nouvelle Majorité, son programme et le Parti Communiste

Plusieurs enseignements peuvent être tirés des résultats des élections législatives et du premier tour de l’élection présidentielle du dimanche 17 novembre 2013 au Chili.

Le taux d’abstention, presque 50%, a énormément augmenté, comme le prévoyaient les analystes [1].

À cela plusieurs raisons, dont les suivantes.

Depuis le début 2012, l’inscription dans le registre électoral est automatique tandis que la participation au vote est volontaire. De ce fait, à l’énorme masse de gens qui refusait même de s’inscrire, il faut ajouter le presqu’un million de chiliens vivant à l’étranger et comptabilisés comme abstentionnistes.

En plus, 10% des inscrits pourraient être ou des morts, ou des personnes ayant au moins entre 80 et 139 ans [2].

L’historien Gabriel Salazar. Photo La Tercera.

La Concertation depuis 1990, mais aussi la droite, ont tout fait pour désintéresser les citoyens et les décourager de la participation tant sociale que politique. Par conséquent, l’explication de l’énorme taux d’abstention est plutôt à rechercher dans le déficit de conscience citoyenne que dans une prétendue attitude de rejet du système, comme le prétend l’historien Gabriel Salazar [3]. En effet, d’après une enquête de la Corporation Latinbarômetro en 2013, 31% des chiliens sont soit indifférents à la politique, soit carrément réfractaires à la démocratie [4].

Malgré ces pourcentages, certains responsables politiques considèrent que l’abstention ne constitue pas un problème [5], mais Guillermo Teillier, président du Parti Communiste du Chili (PCCh) insiste pour encourager le déplacement aux bureaux de vote, car, estime-t-il, l’abstention favorise surtout la droite. [6]

Le résultat des élections a montré, outre l’effondrement de la droite, la faible audience chez les électeurs de candidatures dites « alternatives » de gauche, et aussi la victoire nette, mais sans surprise, de la toute nouvelle alliance politique, la Nouvelle Majorité (NM).

Les deux événements qui ont soulevé le plus de polémiques pendant la campagne ont été la savoureuse saga des candidats de droite et surtout l’intégration à la coalition NM regroupant 6 autres partis et mouvements, du PCCh. En effet, cette attitude unitaire du PCCh, seul parti de gauche exclu, pendant plus de 20 ans, de la coalition qui a gouverné le pays, mais aussi de la vie politique, a déclenché de nombreuses critiques, y compris de la part d’analystes français [7].

Bien que le programme de la Nouvelle Majorité comprenne des mesures destinées à, enfin, démocratiser définitivement le pays, beaucoup des opinions provenant de la gauche radicale le présentent comme devant rester lettre morte, au regard de la politique du précédent gouvernement de Bachelet.

Camila Vallejo et Guillermo Teillier

Le fait que, dans cette polémique, l’attitude du PCCh ait été qualifiée d’« opportuniste » et de « traître », montre que les gens de gauche au Chili (mais ailleurs aussi), admettent, y compris inconsciemment, que cette organisation est indispensable pour engager tout changement important au pays.

Avec le recul, si on lit le discours de prise de fonction de la présidente de la Fech, militante des Jeunesses Communistes, Camila Vallejo, en novembre 2010 [8], on ne peut qu’être étonné de voir décrite en toutes lettres l’évolution du mouvement des étudiants dont les grèves en 2011 ont ébranlé une société profondément acquise à des certitudes néo-libérales.

Depuis lors, la mentalité d’une bonne partie des chiliens a commencé à évoluer et, de ce fait, la situation politique n’est plus du tout la même aujourd’hui.

Milton friedman exerça une influence importante sur les économistes chiliens surnommés les « chicago boys » 

Il n’est pas inutile de rappeler que le caractère prédominant de la société chilienne actuelle est libéral, aussi bien dans la vie courante qu’idéologiquement. Le modèle néolibéral imposé par Pinochet a fini par s’ancrer dans les mentalités jusqu’à devenir la pensée hégémonique [9]. Ainsi la domination s’exerce-t-elle « par la force et le consentement, l’autorité et l’hégémonie » (Gramsci), c’est-à-dire aussi grâce à une acceptation volontaire gagnée dans le domaine idéologique. L’hégémonie est, dès lors, une contrainte considérée comme légitime par ceux qui la subissent.

Jamais, depuis le départ de Pinochet, on n’avait entendu parler aussi massivement de changement radical de l’éducation, de la fiscalité, de mode de scrutin, ni de la récupération des ressources primaires ou de la sauvegarde de l’environnement, etc., ni surtout du remplacement de la constitution pinochetiste, toutes ces mesures étant comprises dans le programme de la NM.

Au Chili une union aussi large ne s’était jamais constituée, et ce n’est pas le moindre des avantages, elle devrait pouvoir paralyser n’importe quelle velléité, aussi bien civile que militaire, nostalgique des temps dictatoriaux.

Candidats à l’élection présidentielle au Chili- 2013

Des neuf candidats à l’élection présidentielle, seule Evelyn Matthei, héritière de l’œuvre du président en exercice Piñera, a défendu ouvertement l’actuelle constitution. A ce sujet, la seule interrogation qui reste est la méthode qu’utilisera la NM pour mener à terme le changement de la loi suprême.

L’enjeu primordial de cette élection était, donc, d’en finir avec l’héritage institutionnel du pinochetisme, ce qui permettra, par ailleurs, de commencer à récupérer les libertés syndicales indispensables (droit à la négociation collective, à la grève, etc.), pour mieux combattre le néolibéralisme régnant. Vouloir substituer une bataille à une autre, en occultant l’essentiel, comme l’indiquent certains analystes partisans, ne peut que semer de la confusion chez les lecteurs [10].

L’effondrement de la droite -malgré la perversion du système de scrutin binominal-, a fait se dégager une majorité confortable pour la NM, ce qui lui donnera les moyens de mener à terme la plupart de ses projets de réforme [11].

Le deux candidats « alternatifs », Marcel Claude et Roxana Miranda, malgré la proximité de leurs programmes, mais à cause de visées personnalistes, n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour une candidature commune et la première victime en a été l’unité. En apprenant les résultats, M. Claude a déclaré, s’il vous plaît, que « la société chilienne n’était pas prête pour des changements », dévoilant ainsi le « militant » -du dimanche ou électoraliste-, dans toute sa dimension élitiste [12]. R. Miranda, de son côté, a promis qu’elle serait « la première dans la rue pour demander l’application effective de son programme » à la présidente Bachelet [13]. En appelant avec Claude à l’abstention au deuxième tour [14], elle nous dévoile son degré de sérieux et de disposition à prendre des responsabilités politiques. On peut parier dès aujourd’hui qu’aucun des deux n’aura de rôle à jouer à l’avenir.

Cette gauche « alternative » et « anti-néolibérale », toujours impatiente, n’a pas encore compris qu’on ne peut ni se substituer à la volonté populaire, ni imposer ses options politiques aux autres (en particulier aux électeurs). Cette attitude maximaliste, qui veut toujours mettre la charrue avant les bœufs, est somme toute stérile et bénéficie, en fin de compte, grâce à la promotion de la division, aux forces les plus rétrogrades de la société.

Les médias chiliens, à presque 100% aux mains de la droite avec le duopôle El Mercurio et Copesa, ont réservé une audience grandissante à ces deux candidats, dans l’espoir de voir réduit le score de la NM et limiter ainsi la déconfiture majeure d’E. Matthei, la candidate de la droite.

Une liste commune de toutes les forces qui réclamaient le remplacement de la constitution (Bachelet, Claude, Miranda, Enríquez), aurait obtenu facilement les deux tiers des deux chambres (députés et sénateurs), pourcentage requis pour le changement de tout article de la constitution. Maintenant, Bachelet devra imaginer une autre procédure pour y parvenir : plébiscite, assemblée constituante ou autre.

Chili : les anciens leaders étudiants sont élus députés

Le sort des candidats issus des mouvements sociaux est un signe qui permet de prendre la mesure du changement de mentalité amorcé dans la société chilienne. L’ex président des étudiants de l’Université Catholique, Giorgio Jackson, appuyé par la Nouvelle Majorité (NM), a été largement élu à Santiago. C. Vallejo (NM), ex présidente de la Fech, a également été élue avec plus de 40% à La Florida. L’ex présidente des étudiants de l’Université de Conception et actuelle secrétaire générale des Jeunesses Communistes, Karol Cariola (NM), est élue aussi à la première majorité à Independencia-Recoleta. Le seul dirigeant élu qui n’ait pas bénéficié de l’appui de la NM a été Gabriel Boric à Punta Arenas. Les trois autres candidats étudiants qui se présentaient contre la NM ont, eux, été battus. Francisco Figueroa vaincu à Ñuñoa avec 10%, à Valparaíso, Sebastián Farfán avec 7,15% et Daniela López, dans le même district, avec 7.42% [15]. Ce dernier cas est une autre illustration de l’ascendant du personnalisme sur la vision politique unitaire et généreuse. Enfin, le dirigeant social surgi des grandes manifestations de la province d’Aisén, Iván Fuentes, a été élu (36,12%), en tant qu’indépendant, sur la liste de la NM. Contrairement à ce que prétendent certaines analyses biaisées en France [16], les revendications de larges secteurs sociaux de la société chilienne ont fait leur entrée au parlement grâce à l’élection de dirigeants sociaux proches de la NM.

En outre, l’échec à la réélection de deux sénateurs, principaux piliers du statu quo institutionnel de la ex-Concertation, (Alvear, démocrate chrétien et Escalona, socialiste), révèle que les changements de mentalité commencent à pénétrer aussi les électeurs de la Nouvelle Majorité.

Les communistes ont doublé leur représentation parlementaire avec 6 députés -de 9 candidats au départ-, dont tous, sauf un, ont obtenu des premières majorités dans leur circonscription. Les trois autres candidats malheureux ont recueilli au minimum 15% des voix.

Comme anecdote on peut mentionner l’élection, en tant que députée, de la petite fille d’Allende dans le district de Ñuñoa, dans la liste de la NM.

La petite fille d’Allende a été élue députée- photo BBC

La dynamique qui permettra de mettre un terme à la période de transition, fait, à notre sens, non négligeable, semble, donc, être en marche. La vitesse de démocratisation et de transformation politique mais aussi sociale du pays dépendra, comme toujours, de la vigueur du mouvement populaire.

Pendant toute la durée du gouvernement de l’Unité Populaire, Allende, le PCCh et des secteurs du Parti Socialiste Chilien, ont recherché des accords avec la Démocratie Chrétienne, dont le programme électoral de Tomic en 1970 était très proche. Est-ce que, avec cette large alliance, le Chili en aura enfin terminé avec le pinochetisme ? Mais aussi jusqu’où pourra aller cette coalition dans le futur ?

J.C. Cartagena et N. Briatte

»» http://el-siglo2.blogspot.fr/2013/11/chili-michelle-bachelet-la-nouvelle.html

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