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Ce que les Catalans doivent à Cuba et à Fidel Castro

Selon Eric Hobsbaum, le "court XXe siècle" commence en 1917 et s’achève en 1989 : on pourrait avancer cette dernière date jusqu’au 25 novembre 2016, presque un siècle après le début de l’Age des Révolutions.

Fidel Castro est le dernier géant de cet âge des Révolutions : sa mort révèle toute sa stature et réduit à l’insignifiance les gesticulations des pantins qui s’agitent ici sous nos yeux.

Fidel a dirigé une petite île, mais sa mort est un événement mondial, qui touche tous les peuples d’Amérique, d’Afrique, et même notre provinciale Europe : elle me touche tout particulièrement en tant que Catalane, car, depuis le début du XIXe siècle, Cuba a marqué la culture, la physionomie et l’histoire de la Catalogne.

Les havaneres, chants que les marins catalans rapportaient chez eux, sont toujours un élément indispensable des fêtes de village et de quartier de la Catalogne occidentale, jusqu’à Barcelone. Et les plus petites villes catalanes possèdent leurs maisons "modernistes" d’Indianos (Catalans revenus de Cuba après y avoir fait fortune).

Même certaines des maisons Gaudi à Barcelone (comme le Palais Güell) peuvent être considérées comme des maisons d’indianos ; mais il n’y a pas lieu d’en tirer gloire. En effet, la fortune des Güell, famille dont est issu Eusebi Güell, le mécène de Gaudi (par exemple pour le Parc Güell) vient de Cuba, c’est-à-dire de l’exploitation du travail des esclaves (E. Güell lui-même se consacrera ensuite à l’exploitation du travail des ouvriers catalans de l’industrie textile) . Son beau-père, Antoni Lopez, marquis de Comillas, s’était enrichi dans le trafic d’esclaves, activité dans laquelle les capitalistes catalans se sont signalés (Cuba était la seule possession espagnole où industriels et négociants catalans pouvaient opérer). Le régime de la plantation réclamait des esclaves, et les navires négriers catalans les ont amenés en masse d’Afrique pendant les premières décennies du XIXe siècle ; et ce n’est qu’en 1868 que Cuba verra arriver sa dernière cargaison humaine.

Cuba a ainsi été à l’origine de l’oeuvre des deux plus grands artistes catalans, tous deux protégés d’Eusebi Güell, l’architecte Gaudi et Jacint Verdaguer, le plus grand poète catalan.Mais nous avons encore une autre dette envers Cuba.

Nous n’avons pu faire notre révolution, en Espagne et en Catalogne, en 1936-39 ; mais, vingt ans plus tard, dans l’exil intérieur ou extérieur, nous l’avons faite symboliquement, par procuration, grâce à Fidel Castro : en libérant Cuba de cinq siècles de colonialisme, d’abord hispano-catalan, puis états-unien, il a aussi offert une revanche aux ouvriers et exilés espagnols et catalans, alors eux-mêmes colonisés par leur propre classe dirigeante.

Cette solidarité avec Cuba, les expériences d’Allende et de Hugo Chavez l’ont ravivée : quelles que soient les grotesques péripéties électorales en France et en Espagne, Fidel Castro restera notre lider spirituel.

Rosa Llorens

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