RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Cauchemar, par Helios Ameal Miranda.



Zhang Bin (Chine)






Rebelion, 132 juillet 2007


Ca peut paraître un procédé littéraire. Ce n’en est pas un.

J’ai fait un cauchemar. Je n’en fais jamais. Je me suis réveillé très, très agité et au fur et à mesure que je reprenais mes esprits et que je repensais à ce rêve tourmenté, au lieu de retrouver mon calme, mon angoisse ne faisait que croître au point de devenir insupportable. Je me jette donc sur mon clavier. « Une thérapie de groupe » en compagnie de mes lecteurs réussira peut-être à me faire retrouver la paix.


1 - Le rêve.

Je regarde le Journal Télévisé Primera Edición de TVE-1. Arrivé à ce moment où après l’énoncé des gros titres, les nouvelles du Monde Libre commencent à divaguer entre informations, nouvelles étranges, curiosités, brèves pseudo-culturelles et promotions (mal) dissimulées, la vétérane et toujours impassible présentatrice Ana Blanco, avec son éternelle chevelure aussi soigneusement repassée que son tailleur deux-pièces, commente l’info selon laquelle Augusto Pinochet va entreprendre une tournée de conférences à travers toute l’Europe. La première de celles-ci, en Allemagne, prononcée par Ronald Reagan, a eu un succès retentissant tant par l’assistance qu’elle a réunie que par sa couverture médiatique. Elle a bien soulevé les protestations de quelque association pro-DDHH et suscité quelques troubles à l’ordre public de la part de certains groupes « radicaux anti-système ».Bilan : des dégâts dans le mobilier urbain ainsi que plusieurs « éléments violents » blessés et/ou arrêtés.

Cette brève information enchaîne avec une autre du même genre, également motif de polémique aux dires de la présentatrice. Après de longues années de silence, Adolph Hitler vient d’écrire un livre sur le danger déstabilisateur, en Europe, des mouvements indépendantistes étroitement liés aux réseaux terroristes islamiques. Le livre traite aussi de la nécessité de combattre les « Etats voyous » qui menacent la libre concurrence, troublent la paix mondiale et mettent en péril l’hégémonie des valeurs occidentales.

De la présentation du livre (séance qui a duré trois heures dans une université, aux Etats-Unis) nous parviennent des images qui montrent un respectable vieillard, réfléchi et posé, aux traits entre tous reconnaissables, s’adressant à une foule de sommités circonspectes représentant toutes les branches et institutions et qui, malgré un léger froncement de sourcils de scepticisme rédempteur inévitable face à l’ex-Führer, expriment leur assentiment, conquises par la thèse soutenue devant eux. Une association des Victimes de l’Holocauste a dit son malaise. Mais à part cela, on ne nous signale aucune réaction ou protestation d’aucune sorte.

Quant à moi, abasourdi par ce que je viens d’entendre et voir, je commence à rendre l’âme saisi par une angoisse extrême tandis qu’Ana Blanco en vient maintenant à parler des « sanctions que l’on va imposer au Venezuela à cause de la fermeture de RCTV ». J’étouffe, j’essaye de dire mon bouleversement,mais les mots me manquent. Il y a des gens autour de moi aussi impassibles que la présentatrice. Ils sont plus surpris par mes spasmes que par ce qui les cause. Ils ne parlent pas, ils ne bougent pas, ils ne s’agitent pas. Ils me regardent apitoyés. Je me sens comme Monsieur K au moment le plus glacial de son procès. Je suis Anthony Perkins dirigé par Orson Welles.


2 - La réalité.

Ce qui nous affecte le plus, dans un cauchemar, c’est que ce soit vraisemblable ou que nous le sentions tel pendant que nous le subissons. « Ca paraissait tellement vrai !!! » nous exclamons-nous quand quelqu’un s’efforce de nous consoler en nous disant : « mais ce n’était qu’un rêve » et maintenant c’est fini.

Et le cauchemar que je viens de vous raconter était tellement vrai qu’il m’a inquiété davantage une fois réveillé que lorsque j’étais dedans.

Pinochet, Reagan et Hitler sont morts, d’accord. Mais il y a cinq ans, plus de la moitié de la population de l’Espagne voulait voir Aznar pendu à une lanterne coupable d’être un laquais, un terroriste, un génocidaire et un menteur et, pourtant, voyez aujourd’hui comme il porte beau et fait le fier : il écrit, il « conférencie » et nage dans un tonneau de Ribera Del Duro comme un oncle Picsou dionysiaque. Et nous, c’est à peine si tout au plus nous osons parler de sa chevelure gominée, de son allure de figure de mode et des cornes qu’il fait porter à sa femme.

Paul Wolfowitz est un ex-trotskyste qui, dans les années 80, en tant que conseiller du Premier Ministre d’Israël de l’époque, Isaac Shamir, inventa la doctrine de la « guerre préventive » pour justifier des massacres d’enfants palestiniens vus comme de « futurs terroristes ». Il y a cinq ans, il était haï dans le monde entier parce qu’il était un des cerveaux de l’invasion de l’Irak... Mais il a été promu au poste de Président de la Banque Mondiale et maintenant la seule chose qui nous intéresse à son sujet c’est de savoir s’il s’est rendu coupable de népotisme avec ses maîtresses et pourquoi diable il ne va pas aux Galeries Lafayette s’acheter une paire de chaussettes.

La liste est longue. Tous ceux qui ont été objet de haine au cours d’une éphémère bouffée de lucidité populaire... (Bush, Ana de Palacio, Powell, Rumsfeld, Blair, Berlusconi...) non seulement ils sont toujours impunis, mais ils occupent fièrement de multiples charges et se pavanent dans des institutions prestigieuses, reçoivent des prix et sont honorés dans des entretiens-fellations.


3 - le cauchemar

J’insiste : le plus terrifiant de mon rêve c’était son caractère exagérément quotidien : le hiératisme de la présentatrice devant une nouvelle aberrante qui jaillit de sa propre bouche, la passivité des téléspectateurs et leur désapprobation de l’indignation manifestée par un exalté, l’absence ou le peu de protestations formelles et d’explosions de colère populaires dans les rues...

Il y a cinq ans nous avons pensé qu’ils n’oseraient pas. Que nous étions si nombreux et que notre colère était si grande que non, vraiment non, ça ne pourrait pas arriver. Et c’est arrivé - Et un peu, oui, que c’est arrivé ! - Et en bien pire que ce que nous avions imaginé.

Ils ont transformé la planète en un goulag, mais les ambassades des USA. ont toujours toutes leurs vitres intactes. Le Pouvoir fonctionne à base de faits accomplis et les faits accomplis, apparemment, provoquent de l’amnésie. Nous lisons toujours Orwell, mais, puisque nous « doublepensons », nous sommes incapables de (ou trop lâches pour) le comprendre jusqu’au point de voir qu’il n’est pas allé assez loin.

J’ai fait un cauchemar trop ressemblant à la réalité. Ou bien, alors, nous vivons une réalité qui ressemble trop à mon cauchemar.

Helios Ameal Miranda


 Source : Rebelion www.rebelion.org

 Traduction : Manuel Colinas

 Transmis par Cuba Solidarity Project [http://viktor.dedaj.perso.neuf.fr>http://viktor.dedaj.perso.neuf.fr]




Interventions (1000 articles), par Noam Chomsky.

Non à la folie des agrocarburants ! par Grain.

 Dessin : Zhang Bin (Chine)


URL de cet article 5277
   
Même Thème
TOUS LES MEDIAS SONT-ILS DE DROITE ? Du journalisme par temps d’élection
par Mathias Reymond et Grégory Rzepski pour Acrimed - Couverture de Mat Colloghan Tous les médias sont-ils de droite ? Évidemment, non. Du moins si l’on s’en tient aux orientations politiques qu’ils affichent. Mais justement, qu’ils prescrivent des opinions ou se portent garants du consensus, les médias dominants non seulement se comportent en gardiens du statu quo, mais accentuent les tendances les plus négatives inscrites, plus ou moins en pointillé, dans le mécanisme même de l’élection. (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Nous préférons croire au mythe selon lequel la société humaine, après des milliers d’années d’évolution, a finalement créé un système économique idéal, plutôt que de reconnaître qu’il s’agit simplement d’une idée fausse érigée en parole d’évangile. »

« Les Confessions d’un assassin financier », John Perkins, éd. Editions Alterre, 2005, p. 247

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.