Les Etats-Unis ont une fâcheuse tendance à vouloir étendre leur influence en usant de méthodes douteuses - espionnage, financement de milices, vente d’armes, invasions sans le soutien de l’ONU ou encore embargos. La dernière affaire attestant la volonté étasunienne d’imposer un ordre mondial favorable à ses intérêts est la condamnation de la banque française BNP Paribas pour avoir traité avec des pays faisant l’objet d’un blocus imposé par leurs seuls soins (Soudan, Cuba, Iran). La banque vient d’être formellement condamnée à verser pas moins de 8,9 milliards de dollars - une somme largement susceptible de fragiliser son exercice financier. Motif ? Avoir utilisé le dollar lors de ces échanges...
Si, dans cette affaire, le gouvernement français n’a pas brillé par son courage à défendre sa banque, un autre pays semble plus déterminé à refuser que le juge étasuniensubstitue sa loi aux textes nationaux - en violation totale du droit international. Un juge autrichien, Christoph Bauer, officiant à la Haute Cour de justice du pays, a débouté le FBI dans le cadre de la demande d’extradition d’un certain Dmytro Firtash, homme d’affaires ukrainien et véritable bête noire de Washington pour sa proximité avec l’ancien dirigeant ukrainien Viktor Ianoukovitch, et sa puissante influence dans son pays. Dans un arrêt haut en couleur, le magistrat, non content de s’opposer à son extradition, dénonce une tentative d’ingérence politique du département d’Etat dans les termes les plus fermes.
L’affaire met en cause Firtash pour d’éventuels pots de vins versés à des ressortissants indiens pour faciliter la signature d’un gros contrat de commerce de titane. Si l’accord visé n’a finalement jamais été finalisé, les poursuites relatives à ces soupçons ont demeuré, et Firtash a été assigné à résidence en Autriche - où il se trouvait au moment où l’affaire a éclaté. Comme l’arrêt ne manque pas de le souligner, le lancement de la demande étasunienne est lui-même pour le moins suspect : en octobre 2013, lorsque Washington fait pression sur Ianoukovitch, qui souhaite faire marche arrière lors de la signature d’accords avec l’UE engagées par son prédécesseur pro-européen, un premier mandat d’extradition visant Firtash est déposé. Victoria Nuland, Vice secrétaire étasunienne aux affaires européennes se trouve alors dans le pays, afin de mieux coordonner ce qui apparaît de plus en plus clairement comme un odieux chantage, indigne d’un Etat de droit.
Cette demande sera par la suite abandonnée lorsque Ianoukovitch s’engagera finalement à signer ces accords. Le président ukrainien a par la suite retourné sa veste, provoquant les mouvements de Maïdan qui lui ont valu d’être chassé du pouvoir et de devoir fuir en Russie. La demande visant Firtash est alors renouvelée (précisément quatre jours après la chute du gouvernement ukrainien prorusse). Autre coïncidence, le nouveau Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, était en visite à Washington à ce moment précis. En parallèle, l’ambassadeur étasunien en Ukraine Geoffrey Pyatt multipliait les appels à l’extradition, affirmant que Firtash "devait être porté devant la justice". Ajoutons à cela que l’affaire repose exclusivement sur deux témoignages : deux témoins qui n’ont jamais pu être entendus, le FBI prétextant du risque encouru par ceux-ci si leur identité devait être révélée. Dans ses conclusions, le juge Bauer en vient même à douter de l’existence de ces deux fantômes providentiels. En recoupant ce faisceau d’indices, il livre un jugement sans appel : il s’agit d’une affaire politiquement motivée.
Sans vouloir impliquer l’UE - dont les accords avec l’Ukraine sont au centre de la crise - ni même remettre en cause la légitimité du mouvement de Maïdan, et par conséquent du nouveau pouvoir ukrainien, il faut déplorer qu’une telle histoire fasse rejaillir une lumière bien néfaste sur ces parties liées malgré elles à une grande mascarade géostratégique. Cette pratique de plus en plus courante qui consiste à forcer la main de la justice nationale afin d’imposer son droit - et ses intérêts - sera semble-t-il également au centre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, qui prévoit des juridictions pouvant infliger aux Etats des amendes en cas de restriction de la concurrence. La concurrence sera bien sûr, à n’en pas douter, interprétée à l’aune du seul droit étasunien, forçant les législateurs des autres pays à réformer leurs disposition contradictoires. Espérons que cette fois nos dirigeants, à l’image des juges autrichiens, accepteront de frapper du poing sur la table afin de protéger leurs citoyens.