Feu le Service public d’enseignement supérieur à la française ! De nombreux pays nous l’enviaient. Les assassins : socialistes et droites européennes, n’ont pas pris la fuite. Ils sont toujours aux commandes. En toute impunité. Fascinés les uns et les autres par le "néolibéralisme", le "modèle anglo-saxon", ils n’ont aucun regret, aucune mauvaise conscience : ils assument. Ils sont "agents d’un modèle et d’une puissance étrangers", et n’émargent même pas !! Ils sont serviles par conviction. Ils n’ont pas besoin d’être torturés pour avouer : ils sont fiers de leur fil à la patte. Et Madame Fioraso est contente d’apporter ses chrysanthèmes, de prolonger le plan campus, l’autonomie, la LRU... Poursuivons les dégâts ! La droite a fait le sale boulot, à nous de continuer, mais avec des méthodes "de gauche". L’histoire retiendra de vous, Madame Fioraso, que nous confondiez le supérieur au profit du plus grand nombre, et le supérieur au profit du profit. Bref, elle vous oubliera vite et gardera les Langevin, Vallon et autres...
L’assassinat est appelé "refondation", "adaptation", "réforme". Il est un négoce prospère. Depuis les années 1990, des prédateurs bien identifiés : FMI, OMC, BM, OCDE, BCE, UE, considèrent le supérieur comme l’un des secteurs les plus rentables, dans une optique de "libéralisation" (traduisez : marchandisation). Il convient donc de soumettre cette mine d’or à des logiques "économicistes" et opérer pour ce faire sur le modèle des restructurations industrielles.
Depuis plus de vingt ans, le chantier du démantèlement-remodelage du supérieur et de la recherche est en cours, piloté au grand jour et consensuellement par socialistes et droites, en un mot : par les sociaux-néolibéraux. Le PDG des pompes funèbres est l’Union Européenne.
L’UE : des pros en matière d’obsèques des Services publics. Des soldes et des promotions à tout va. Des champions de l’excellence, de la concurrence... Le marché de la mort libérale à ses règles. Le premier fossoyeur qui commença à creuser la tombe fut Jacques Attali en 1998. Ce super-doué parla pour la première fois de "pôles d’excellence", donc de hiérarchisation, de concurrence. Six ans après le traité de Morttriste qui mettait en place les pelles et les pioches. Et puis l’AGCS en 1994 ; et mon dieu qu’elle s’agita , brave fille, l’Union Européenne pour que l’éducation y fût incluse.
Et puis, étape par étape, sociaux et néolibéraux s’employèrent ensemble à creuser, creuser la tombe...
1999 : Déclaration de Bologne", toujours à la sauce bien consensuelle... 19 pays, sous couvert "d’harmonisation", c’est-à -dire de nivellement des politiques "libérales", décident de transformer le et les savoirs en "économie du supérieur". La sémantique est ô combien explicite... Exit l’université du peuple, le "contrat social" post-Libération. L’heure est venue d’adapter le supérieur à "la compétition économique mondiale". La tombe du Service public commence à prendre forme.
Mars 2000 : "stratégie de Lisbonne" pour accélérer la constitution d’un "marché unique de la connaissance". A grands coups de pelles et de pioches, sociaux et néolibéraux vont appliquer les néfastes "critères de convergence" aux systèmes d’enseignement supérieur des différents pays européens.
Dès lors, l’Union Européenne met les pelletées doubles vers ce juteux "marché" ; les discours et pratiques managériales se propagent. Les fossoyeurs libéraux ont leurs cerveaux : OCDE, UE ; leurs lobbys : la "Table ronde des industriels européens"... Les uns et les autres publient des rapports, des "livres blancs", plaident pour la flexibilité, l’employabilité, les compétences, la mobilité, l’autonomie maximale, le recours aux financements privés, avancent les concepts de "prestataires (délégation au privé) de Services publics", "d’éducation hors école"... L’offensive idéologique, implacable, relève du pilonnage quotidien.
Et vient, enfin, en fin, la LRU, en août 2007, pour finir le terrassement, pour parachever "l’horreur universitaire", pour calquer le pilotage du supérieur et de la recherche sur les critères et méthodes du privé, pour permettre aux lois de l’offre et de la demande de "réguler" le système, pour former les étudiants comme on vend des chaussures. Les "crédits" (ECTS) remplacent les "unités pédagogiques", etc.
L’étudiant peut désormais faire son marché dans ce supermarché de la formation-gruyère. Une aberration pédagogique totale, mais calquée, comme tout le reste, sur une mécanique et une cohérence marchandes. La formation des enseignants passe à la trappe... Les Universités sont priées de fonctionner selon des logiques normatives et des impératifs de résultat, de performance, de "gouvernance" (concept de la Banque Mondiale), d’autonomie (une mystification qui cache le désengagement de l’Etat).
Les employés des pompes funèbres "libérales" introduisent à tous les niveaux des agences technocratiques "d’évaluation", des classements, certains internationaux, comme celui dit "de Shanghai", une arnaque cynique, des procédures "d’entretiens", de primes... singeant le privé. On se gargarise de "ressources humaines", de "capital humain", "d’experts", "d’équité" (et non d’égalité), d’utilité, de compétences (et non de savoirs), "d’adaptation de l’université à la société", entendez aux besoins à court terme du capitalisme... Chacun décline et applique avec zèle la vulgate libérale... Dans ce nouveau système, c’est la guerre de tous contre tous : collègues, facs, labos... Le capitalisme peut dormir tranquille, sur ses deux oreilles...
Les syndicats, essentiellement le SNESup, des collectifs, résistent courageusement, mais le rapport des forces reste inégal face à l’ouragan "libéral", à la privatisation rampante. La recherche, désormais "sur contrats", est asservie, instrumentalisée...
Les dégâts sont considérables : recul de la démocratisation, le dualisme progresse au profit des grandes écoles, les facs deviennent des filières de relégation, l’enseignement et la recherche sont recentrés sur les disciplines "rentables", l’objectif de 50% d’étudiants à la licence (aujourd’hui 18%) est jeté aux orties, 20% d’une classe d’âge sort sans qualification, la collégialité et les logiques mêmes de nos métiers, les statuts publics des personnels, sont mis à mal. Le culte de l’excellence pour une poignée, du mérite individuel, de la gestion individuelle des carrières, etc. s’installe. Le caractère national des diplômes, et le cadrage des formations est resté sur le bas côté de la route. L’université ouverte à tous, et assurant à tous un niveau de connaissances le plus élevé possible est morte. L’Etat a renoncé à former les élites à l’université.
Le président et le gouvernement socialiste, pour l’heure, ne proposent que des "Assises du Supérieur", le 26 novembre, organisées à la hâte, dans l’opacité et le verrouillage, sans réelle concertation. C’était couru d’avance. Une opération "poudre aux yeux". Un nouveau rendez-vous manqué. Les questions des moyens, de l’abrogation de la LRU, de la "masterisation"... sont évacuées.
En conclusion, cette horreur universitaire, résultat des politiques successives de droite et de pseudo-gauche, témoigne de l’échec de l’Europe libérale, ce projet de classe dévastateur, colonisateur des esprits, destiné à perpétuer le système de domination. Toute attaque contre les Services publics génère des inégalités, fabrique délibérément de la pauvreté et de l’exclusion. Il ne peut donc y avoir de véritable réforme, face à la "révolution conservatrice", en restant dans les schémas idéologiques et économiques dominants, inopérants et ravageurs.
Il me paraît donc nécessaire, et urgent, en tant que syndicalistes, de poser la question du dépassement du capitalisme, de passer de la résistance à la construction d’une alternative post-capitaliste, et de la nommer, afin de fixer le cap : "socialisme du XXI siècle".
Jean Ortiz, universitaire.