RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher


Espagne : guerre sociale et guerre mémorielle

La guerre sociale que mène le gouvernement ultra-libéral espagnol et les municipalités, les "autonomies", que le Parti populaire dirige, se double d’une guerre contre tout ce qui concerne "la récupération de la mémoire historique". L’une a besoin de l’autre. L’offensive révisionniste tente de vider la mémoire populaire de son contenu politique et idéologique, et faire accepter les sacrifices comme naturels. Pour exploiter les peuples, pour les soumettre à une servitude consentie, il faut commencer par endormir leur mémoire, leur conscience d’une continuité historique. "Recortes" (coupes) sociaux et "recortes" mémoriels vont de pair.

Mariano Rajoy l’avait annoncé : il le fait. "Pas un seul euro du Trésor public pour récupérer le passé" (20 minutos, 22/2/2008). Assez de parler d’impunité, de "vérité"... Les militants des associations entendent désormais ce discours : on ne va pas vous subventionner pour réécrire l’histoire en votre faveur.

Le gouvernement d’un parti héritier du franquisme, d’une entreprise de terreur, applique un plan préconçu afin de priver de tout soutien institutionnel les associations qui, depuis plus de dix ans, soulèvent la chape de l’oubli négocié et imposé. Le 2 mars dernier, le gouvernement a fermé le Bureau des victimes de la Guerre civile et de la dictature. Cet organisme ministériel centralisait des milliers de données (emplacement des fosses communes, liste de 68 500 victimes du franquisme, etc.). Il permettait aux familles et aux associations d’avancer dans la recherche des disparus, dans le recensement des différentes formes de répression... Désormais, abandonnées à leur sort, les victimes ne peuvent plus recourir à l’exécutif et difficilement au pouvoir judiciaire. Tout cela est contraire à ce que stipule le droit international. Les familles devront s’adresser à la "Division des droits de grâce", c’est-à -dire demander l’aumône ; cela sent le franquisme me confiait récemment un militant communiste lors de l’inauguration du monument aux martyrs de Villarobledo (5% de la population jetée dans des puits par les fascistes). Dans les villages, le climat est redevenu lourd.

Non seulement le gouvernement n’applique pas la moribonde Loi de mémoire historique de 2007, mais il la démonte. Selon la porte-parole "popular", Saenz de Santamaria, "il n’y aurait pas de consensus pour l’appliquer". Il ne convient pas de relancer le conflit entre "vaincus" et "vainqueurs". Il faudrait que victimes et bourreaux fraternisent et que l’on tourne la page sans même l’avoir lue. Ce discours de "l’équidistance", on le connaît bien... C’était grosso modo celui du gouvernement Zapatero, si décevant en ce domaine comme en d’autres.

Depuis, l’ultra droite tente d’intimider, d’étouffer, le travail de mémoire et d’imposer sa réécriture de l’histoire.

Après avoir amputé de 20 à 30% les budgets sociaux, le gouvernement vient de réduire de 60% celui destiné aux associations mémorielles (El Mundo, 05/04/2012). Les quelques miettes seront exclusivement destinées à l’ouverture des fosses. Lorsque l’on sait qu’il y a près de 2 000 fosses et que les associations n’ont récupéré qu’environ 5 000 corps (sur les certainement plus de 130 000), l’exhumation durera des décennies ! Les 2 700 corps de la fosse commune de Málaga reposent dans des caisses, entassées dans un entrepôt. Des stèles, des plaques, en hommage aux fusillés, comme à Grenade, à Collado de Hoyo, sont enlevées. A Lugo, le Parti Populaire a refusé de retirer les distinctions honorifiques attribuées à Franco ; à Elche, la mairesse a débaptisé la rue "Pasionaria" pour la remplacer par le nom d’un ancien maire franquiste de la ville (16/07/2011). Le gouvernement galicien (Xunta) a déclaré que "ce n’est pas son rôle que d’appliquer la Loi de mémoire historique" (El Paà­s, 10/12/2011). A Madrid, le Parti Populaire revendique la rue du général fasciste Mola, dans le quartier Salamanca (Diario progresista, 11/12/2011). Le maire de Chiclana "ne veut pas entendre parler de Mémoire historique", et s’oppose à un monument à la mémoire des victimes républicaines, au cimetière San Juan Bautista. Tout cela, alors que la Loi de mémoire historique stipule que les symboles renvoyant à la Guerre civile et à la dictature "doivent être retirés des espaces publics".

Le 1er juillet 2011, le PSOE et le Parti Populaire s’étaient opposés au Congrès à une motion de Izquierda Unida pour que la Loi de mémoire historique soit enfin appliquée et de plus, que les sentences des tribunaux soient annulées (Tercera información, 03/04/2011) à cause de leur illégitimité, et de celle des normes juridiques de l’époque.

Malgré le violent coup de frein, avec ou sans subventions, les associations continuent leur combat. Nos morts n’ont pas la mémoire courte.

Jean Ortiz, universitaire (avec les remerciements de Théophraste R.).

(Texte publié dans "L’Humanité" du 5 juin 2012).

URL de cette brève 2692
https://www.legrandsoir.info/espagne-guerre-sociale-et-guerre-memorielle.html
Imprimer version PDF
pas de commentaires
no comment
reagir
Commentaires
07/06/2012 à 12:17 par Carmelo de Samalea

En parlant de la mémoire historique, on ne peut pas oublier ni laisser de mentionner la grande responsabilité de la prolongée politique collaborationniste du PCE avec les politiciens franquistes après la mort du général Franco.

#82727 
07/06/2012 à 14:08 par calame julia

La question que je me pose est : ces gens qui décident que le passé n’a pas existé ils sont de quelle
origine en Espagne ? Des étrangers au gouvernement ?
(Sinon, je m’en vais préparer quelque chose pour LGS concernant justement cette dérive de la non
reconnaissance des souffrances de son propre peuple ou d’autres (étrangers dans le pays) mais
qui ont participé à une ou des libérations.)

#82729 
07/06/2012 à 16:27 par dépité

Fils et petit fils de républicains espagnols, il ne peut y avoir ni oubli ni pardon ! la bête reprend des forces en Europe et dans le monde. Restez vigilants ils approchent !

#82732 
07/06/2012 à 17:47 par Sofà­a del Valle

07/06/2012 à 14:08, par calame julia :

La transition "démocratique" en Espagne s’est bâtie autour de ce qu’on appelle communément le pacte du silence (le pacte de la moncloa) et la loi d’amnistie. C’était le prix à payer pour que le PCE et le PSOE puissent être légalisés et pour le multipartisme. Le franquisme avait procédé à une large dépuration des corps de l’Etat (enseignement, administration, armée, police), bannissant tout qui aurait eu des sympathies républicaines ou n’accepterait pas de faire allégeance au nouveau régime. La transition ne s’est accompagnée d’aucune réforme dans l’administration. La plupart des hauts fonctionnaires en place ont donc été choisis par le régime franquiste. Le Parti Populaire, anciennement Alliance Populaire fondée par Manuel Fraga, ancien ministre sous Franco, est directement issu du mouvement franquiste. Ce dernier est mort en janvier 2012 et a eu droit aux honneurs de l’Etat alors qu’il avait du sang même sur les cheveux. Les dernières exécutions datent de 1975, des responsables sont donc toujours en vie ou en place. Ceci explique pourquoi ces gens ont intérêt à faire perdurer le silence.

A titre d’exemple, la commission interministérielle pour l’étude des victimes de la guerre civile et du franquisme, créée le 10 septembre 2004 par décret royal est composée de représentants du Gouvernement et de Hauts fonctionnaires. Dans ses entretiens préalables, elle décide de consulter les phalanges. Ce choix est surprenant, mais également très éclairant. Il détermine, à mon sens, le contenu de la future loi et l’absence de condamnation du soulèvement militaire du 18 juillet 1936.

Il est également surprenant de constater aujourd’hui que la phalange a droit de cité en Espagne alors que son existence même représente à elle seule toute la symbolique franquiste interdite par la nouvelle loi. De la même manière, en tant que famille de victimes, nous pouvons être blessés de voir figurer côte à côte dans certains cimetières des monuments rendant hommage aux nombreux "disparus" durant la guerre civile et aux phalangistes morts au combat.

Pour les familles des victimes, récupérer la mémoire de leurs proches, c’est pouvoir construire leur identité complète, terminer enfin leur errance, savoir et dire où les morts sont enterrés, pouvoir leur rendre hommage, dire publiquement qu’ils n’ont pas disparu, mais qu’ils ont été fusillés par la falange, le requeté ou la garde civile à tel endroit !

C’est aussi récupérer leur dignité bafouée depuis tant d’années par la propagande du régime et le système judiciaire mis en place. Il faut rappeler que ce dernier s’est bâti autour de la criminalisation de la "dissidence", outre les emprisonnements, assassinats, viols, humiliations publiques, "disparitions", les familles des victimes se voyaient déposséder de leurs biens, écarter de leur emploi public et marquées d’infamie. La plupart des familles de victimes étaient contraintes de faire appel à la charité franquiste pour subsister ou accéder à la scolarité pour les enfants. Pour pouvoir voyager à l’étranger, les familles étaient contraintes de collaborer à la charité. Pour bénéficier d’une aide sociale, les familles devaient accepter de déclarer le décès de leur proche. Les actes de décès reprennent des termes tels que "hémorragie interne", "arrêt cardiaque"... Ceux qui refusaient de se plier à cette obligation n’avaient accès à aucune aide.

C’est cette dignité qui est aujourd’hui déniée aux familles des victimes par le refus de déclarer illégaux tous les jugements du franquisme et nuls tous les jugements. Permettre aux victimes de saisir la justice en vue d’une révision au cas par cas, c’est maintenir la charge de la preuve dans le chef de la victime et perpétuer l’humiliation. Il en va de même avec la dissolution de l’agence dédiée aux victimes.

J’aimerais pouvoir interviewer Jean Ortiz dans le cadre d’un travail d’évaluation de la loi de mémoire historique, LGS pourrait-il me communiquer son courriel ou lui transmettre le mien ?

Merci beaucoup.

Amicalement.

Sofà­

#82733 
07/06/2012 à 21:16 legrandsoir

envoyez -nous un courrier.

#82739 
07/06/2012 à 22:25 par calame julia

Sofi,
je vous souhaite d’obtenir satisfaction auprès de Monsieur Ortiz !
simplement avant 2010 j’ignorais tout de cette situation. N’étant pas une fada de télévision,
j’ai cependant vu un document sur ce sujet d’où je suis ressortie retournée car je n’imaginais
même pas que l’on pouvait supprimer l’histoire d’un peuple ! Dans ce document étaient relatées
toutes les démarches que vous citez ainsi que certaines recherches déjà effectuées et une des
personnes interrogées laissait, vers la fin du document, planer un doute quant’à la possibilité de
pouvoir -comment dire- répondre à toutes les demandes de manière à ce que chacun puisse
reconnaître les siens (!) et se redresser sur sa route.

#82745 
RSS RSS Commentaires
   
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Comment la mondialisation a tué l’écologie
Aurélien BERNIER
Le débat scientifique sur la réalité du changement climatique a ses imposteurs. Mais, en matière d’environnement, les plus grandes impostures se situent dans le champ politique. Lorsque l’écologie émerge dans le débat public au début des années 1970, les grandes puissances économiques comprennent qu’un danger se profile. Alors que la mondialisation du capitalisme se met en place grâce à la stratégie du libre échange, l’écologie politique pourrait remettre en cause le productivisme, l’intensification du (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Pour moi, un réactionnaire c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui trouve que c’est dans l’ordre naturel des choses. Un conservateur, c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui pense qu’on n’y peut rien. Un progressiste, c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui trouve que c’est injuste. Un communiste, c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui est prêt à faire pour eux ce qu’il ferait pour ses propres enfants.

Ibrahim,
Cuba, un soir lors d’une conversation inoubliable.

Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.