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Attention : embouteillage ! une feuille de route vers nulle part

CounterPunch

6 mai 2003

Warning : Pile-Up Ahead ! A Roadmap to Nowhere
http://www.counterpunch.org/christison05062003.html

 Kathleen Christison a travaillé à la CIA, dont elle a pris sa retraite
en 1979. Depuis lors elle se consacre principalement à la question
palestinienne. Elle est l’auteure des ouvrages Perceptions of Palestine
(Impressions de Palestine) et The Wound of Dispossession (La Blessure de la
dépossession).

La « feuille de route » vers la paix entre Israël et les Palestiniens,
enfin remise avec peu de fanfare et encore moins d’enthousiasme le 1er mai,
après pas moins d’un an d’errance sans but, est condamnée à l’échec, c’est
une certitude. Des défauts internes quasi fatals et des contraintes
politiques extrêmes imposées à sa mise en application en font une carte
routière vers nulle part, destinée au même terrain vague sur lequel les
épaves des Plan Mitchell, Tenet et Zinni ont fini par rouiller, durant les
deux années de bons et loyaux services du tandem Bush-Sharon au chevet du
soi-disant « processus de paix ».

La « carte routière », tracée pour la première fois en automne 2002, est
l’oeuvre commune du Quartette, une combinaison diplomatique informelle
concoctée par Colin Powell, pour les États-Unis, Kofi Annan pour l’ONU,
Javier Solana pour l’Union Européenne et le ministre des Affaires
étrangères, Igor Ivanov, pour la Russie. Mise au point en décembre dernier,
la « feuille de route » préconise une première phase, qui doit se prolonger
jusqu’à la fin du mois de mai, durant laquelle les Palestiniens doivent
mettre un terme inconditionnel à tout acte de violence et procéder à des
réformes politiques dans son administration, nommer un premier ministre,
rédiger une constitution et tenir des élections, Israël se retirant, dans le
même temps, des zones (ré)occupées depuis le début de l’Intifada, en
septembre 2000, démantelant les colonies construites depuis mars 2001 (soit
depuis l’entrée en fonctions d’Ariel Sharon), et gelant toutes les activités
de colonisation. Inutile de dire que, même si la date limite pour la mise en
pratique de cette phase ne tombait pas déjà dans trois semaines, il y aurait
peu d’espoir de voir remplis ces objectifs conséquents dans un futur
rapproché.

Au cours de la seconde phase, de juin jusqu’à décembre 2003, le
Quartette doit convoquer une conférence internationale afin de lancer un
processus de négociations conduisant à l’établissement d’un « État
palestinien indépendant doté de frontières provisoires et d’attributs de
souveraineté ». La troisième phase (finale), impliquant la tenue d’une
deuxième conférence internationale, ambitionne la fin de l’occupation
israélienne et la création d’un État palestinien « indépendant, démocratique
et viable » à une date indéterminée, mais courant 2005. L’accord de paix
définitif résoudra toutes les questions restées en suspens, dont les
frontières, les implantations, le statut de Jérusalem et le sort à réserver
aux réfugiés. Ce plan exhorte aussi « les pays arabes à accepter d’avoir des
rapports normaux et sans restriction avec Israël » à la fin du processus de
négociations, sans donner plus de détails.

Bien que la feuille de route soit le fruit de la collaboration des
membres du Quartette, les États-Unis en contrôlent quasi seuls le contenu et
le calendrier, et ils en seront l’arbitre en dernière instance, en
coopération avec un Israël extrêmement réticent à le mettre en oeuvre. On a
la très forte impression qu’il s’agit du baiser de la mort. Israël a fait
savoir qu’il a en réserve une centaine d’avenants à apporter à cette feuille
de route et qu’il est d’ores et déjà en train d’interpréter le plan à la
lumière de sa vision propre des choses, en particulier pour ce qui concerne
l’importante question de savoir si ce plan appelle à une mise en application
pratique de ses exigences de manière parallèle entre les deux parties, ou
séquentielle.

Bien que le plan énonce très clairement que, dans chaque
phase, « les parties sont censées satisfaire à leurs obligations
parallèlement, sauf indication contraire », il conditionne, plus loin,
l’action israélienne à des gestes palestiniens préalables, appelant Israël à 
se retirer des zones (ré)occupées depuis septembre 2000, mais seulement
« progressivement » et seulement « au fur et à mesure que les performances des
Palestiniens en matière de sécurité auront progressé ». Colin Powell a fait
part de son point de vue - qui n’aide en rien - selon lequel les étapes de
la feuille de route « seront parallèles, mais elles ne seront pas exactement
mutuellement synchronisées (entre les deux parties) ».

Un kamikaze palestinien a d’ores et déjà fourni à Israël un prétexte
pour temporiser, en commettant un attentat le jour où le nouveau premier
ministre palestinien, Mahmoud Abbas, prenait ses fonctions. Sharon a décidé
de garantir qu’il y aura bien terrorisme palestinien à l’avenir, et donc
échec des « avancées globales en matière de sécurité » de Abbas, en lançant
des attaques à Gaza le lendemain même de la publication de la feuille de
route. Cette attaque particulièrement violente a causé la mort de treize
Palestiniens, pour la plupart des civils, dont un bébé de deux ans, deux
jeunes adolescents, un handicapé mental, une femme, et un homme âgé de
soixante-quinze ans.

S’agissant de Sharon, nous avions là son modus operandi standard.
Grâce à des opérations d’assassinats parfaitement programmées et à des
attaques dites « de représailles » ainsi que des incursions à l’intérieur des
territoires palestiniens, il a réussi à faire échouer toute les initiatives
de paix au cours des trois ou quatre années écoulées. Il a saboté au moins
deux missions de médiation, à l’initiative de l’envoyé spécial Anthony
Zinni, en 2001 et 2002, au moyen d’opérations d’assassinats « ciblés » qui
provoquèrent directement des attentats suicides ; il a fait capoter
l’initiative de paix de l’Arabie Saoudite et de la Ligue arabe, en mars
2002, en procédant à une incursion majeure dans des camps de réfugiés
palestiniens, qui conduisit, elle aussi, à un attentat suicide ; il cassa un
cessez-le-feu en cours avec le Hamas en bombardant un immeuble de Gaza,
tuant quatorze civils qui y dormaient, dont la moitié étaient des enfants,
en juillet 2002 ; et il a veillé à saper toutes les tentatives déployées par
Yasser Arafat afin d’imposer un cessez-le-feu, en lançant de multiples
incursions dans les Territoires palestiniens, alors même que les
Palestiniens, de leur côté, s’évertuaient à maintenir le calme.

La plupart
des observateurs - excepté, bien entendu, ceux de l’administration Bush -
ont qualifié comme il convenait ces actes de provocations, ce qu’ils étaient
en réalité. Mais Bush et son équipe persistent à voir en Sharon un « homme de
paix » et ils vont sans doute continuer à le faire, même lorsque Sharon
réussira, comme par le passé, à provoquer un regain de terrorisme dans le
but de faire échouer la « feuille de route ».

Les États-Unis n’ont pas accédé à la demande de Sharon qui voulait que
des modifications soient apportées au plan avant même sa publication. Mais
Bush a indiqué très clairement que les deux parties peuvent déjà commencer à 
négocier sur les points énoncés dans la feuille de route, ce qui revient à 
donner à Sharon carte blanche pour allonger à l’infini les délais et faire
obstruction. Bush lui-même et son administration sont visiblement peu
enthousiastes pour ce plan et apparemment, s’ils ont fini par le publier,
après un délai de six mois, c’est uniquement afin d’aider Tony Blair qui
avait grand besoin de pouvoir montrer à ses opposants intérieurs quelque
signe suggérant qu’on avance vers la paix au Moyen-Orient après sa
participation, très impopulaire, à la guerre de Bush en Irak.

Colin Powell est, de toute évidence, le seul héraut de la feuille de
route dans l’administration américaine, laquelle la condamnera
vraisemblablement, le moment venu. La plupart des décideurs politiques et
des experts auprès de M. Bush ne reconnaissent même pas que les territoires
concernés sont des « territoires occupés », et ils s’opposent activement à ce
qu’on exige d’Israël qu’il s’en retire. Donald Rumsfeld est connu pour avoir
qualifié ces territoires de « territoires soi-disant occupés », l’année
dernière ; Richard Cheney ne s’est pas aussi explicitement fait remarquer,
mais, en tant que membre de longue date d’organisations de droite aussi
outrageusement pro-israéliennes que le JINSA (Jewish Institute for National
Security Affairs), il n’est de toute évidence pas un partisan enthousiaste
du compromis territorial de la part d’Israël ; d’autres personnalités de
poids de l’administration, tels Douglas Feith et Richard Perle, au ministère
de la Défense ou dans sa périphérie, ainsi qu’Elliott Abrams, au Conseil de
Sécurité Nationale, affichent depuis longtemps leur conviction qu’Israël
détient en bon père de famille la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, en
vertu de droits de propriété bibliques et qu’il doit à jamais en conserver
le contrôle. Aucune feuille de route vers la paix n’est à espérer avec ces
gens-là !

Après s’être incliné aussi facilement qu’on sait durant la gué-guerre
intestine à l’administration au sujet de la guerre contre l’Irak, Powell
semble dès lors totalement dans l’incapacité de tenir tête - et peut-être
n’a-t-il même pas seulement l’intention de se battre contre elles - aux
pressions internes qui ne manqueront pas de s’exercer sur la feuille de
route.

Les pressions sur Bush et compagnie, venues de l’extérieur de
l’administration, sont encore beaucoup plus intenses. Israël est en train de
lancer une action de lobbying intensif et massif contre la feuille de route,
tout du moins dans son état actuel, conjointement avec l’AIPAC, d’autres
grandes organisations juives et la communauté des chrétiens fondamentalistes
au sens large. Le ministre israélien du Tourisme, l’un parmi d’autres chauds
partisans du « transfert » (l’expulsion des Palestiniens) du gouvernement
Sharon, est en ce moment même aux États-Unis dans le but très précis de
susciter une campagne anti-feuille de route en dehors de l’administration.
La majeure partie du travail préparatoire a d’ores et déjà été menée à bien,
par d’autres, à son intention : 88 sénateurs et 316 membres du Congrès ont
déjà envoyé à Bush des lettres en ce sens. A l’instigation de l’AIPAC, ces
lettres expriment des réserves très sérieuses au sujet de la feuille de
route, en raison des pressions qu’elle ferait peser sur Israël, et plusieurs
dirigeants fondamentalistes chrétiens l’ont très fortement condamnée. Dans
la droite chrétienne, beaucoup de gens, dont les deux prédicateurs
évangélistes les plus connus, des membres du Congrès et d’autres hommes
politiques, ont été très clairs au sujet du soutien qu’ils apportent à 
Israël afin qu’il conserve les Territoires et en expulse les Palestiniens.

En revanche, un groupe de cent rabbins américains et un autre groupe
de quatorze philanthropes juifs ont envoyé des courriers à Bush soutenant la
feuille de route et l’exhortant à la faire mettre en application le plus
rapidement possible. Mais ce sont là des voix prêchant dans le désert, en
comparaison avec les forces mobilisées contre elle. Les autres membres du
Quartette ne semblent pas non plus être assez forts pour presser les
États-Unis de donner suite à la feuille de route jusqu’au bout. En fin de
compte, Bush sera très réticent à entrer dans une confrontation directe avec
Sharon, qu’il aime bien, apparemment, et avec lequel il a le bon « feeling ».
Et, sans doute encore plus important, même s’il était enclin à pousser de
l’avant une initiative de paix authentique, il serait néanmoins extrêmement
réticent, à l’approche des prochaines élections présidentielles, à l’idée de
se mettre à dos le lobby conjoint des fondamentaliste chrétiens et des
pro-israéliens.

Même en faisant abstraction de l’opposition virtuellement
insurmontable à laquelle la feuille de route est confrontée, il s’agit d’un
document passablement déséquilibré. Sur le papier, la feuille de route
énonce beaucoup de choses très justes. Elle reconnaît qu’il y a une
occupation et elle appelle à ce qu’il y soit mis fin. Elle réclame un gel de
la colonisation israélienne. Elle donne l’impression d’exiger une mise en
oeuvre simultanée des phases successives par les deux parties, en fondant un
futur accord de paix sur les résolutions du Conseil de sécurité n° 242 et
sur le principe « la terre contre la paix ». Elle entérine, enfin, la
nécessité, pour le futur État palestinien, d’être viable.

Néanmoins, dans l’ensemble, ce document est un moteur grippé [« a
non-starter » : une bagnole qui ne démarre pas, dit l’expression américaine,
très imagée. NdT].

Le cadre temporel à long terme et l’approche par étapes en sont les
insuffisances majeures. Les Palestiniens craignent à juste titre toute
approche par étapes, car Oslo leur a délivré le message très clair selon
lequel, sans de fortes pressions des États-Unis, Israël fera de chaque phase
intérimaire (et, en tant que telle, insatisfaisante du point de vue
palestinien) un arrangement permanent. Cela représente un danger tout
particulier au cours de la phase II de la feuille de route, qui appelle à 
« un État palestinien indépendant, doté de frontières provisoires et
d’attributs de souveraineté ». Mis à part le fait évident que, si les
frontières sont seulement provisoires, il ne peut y avoir ni véritable État,
ni indépendance, ni souveraineté, ni même attributs de quoi que ce soit
d’ailleurs, le réel danger, ici, est qu’ayant réalisé ce qu’Israël, les
États-Unis et le reste du monde appelleront, n’en doutons pas un instant,
« une souveraineté étatique indépendante », peu importe ce que sera la
réalité, les Palestiniens impuissants n’auront à leur disposition absolument
aucun moyen d’exercer une quelconque pression pour que l’on passe à l’étape
suivante.

Un accord de paix et une souveraineté nationale palestinienne
programmée, mais pas avant 2005, dans une situation où le plan, qui n’en est
qu’à son tout début, a déjà pris six mois de retard. Ces semelles de plomb
sont en elles-mêmes la garantie qu’un certificat de décès finira par être
délivré pour ce plan. A moins que la construction de colonies, de routes et
les confiscations de terres palestiniennes par Israël ne soient stoppées dès
aujourd’hui, il n’y aura pas d’endroit où installer ni un État provisoire,
cette année, ni un État réel, d’ici deux ans. Les saisies de terrains par
les Israéliens se poursuivent à un rythme tellement inexorable et la
Cisjordanie est en train d’être pavée de blocs de colonies tellement énormes
et d’autoroutes à accès limité sur une échelle tellement importante que la
Cisjordanie aura vraisemblablement été totalement phagocytée par Israël
avant même que la feuille de route ait fini par permettre de trouver un
itinéraire vers une paix authentique.

Philip Wilcox, ancien consul américain à Jérusalem et aujourd’hui
directeur de la Fondation pour la Paix au Moyen-Orient, sise à Washington, a
observé récemment qu’il est impossible de se faire une représentation
correcte de l’échelle des projets israéliens de colonisation et de la
rapidité avec laquelle ils se poursuivent tant qu’on n’est pas allé sur
place pour voir ce qui est en train de se passer dans cette région. Peu
d’Américains - y compris chez les décideurs politiques - lisent ne serait-ce
que les textes à ce sujet ou ne regardent les cartes ; encore moins nombreux,
y compris chez les décideurs politiques, sont-ils à avoir jamais vu la
situation telle qu’elle est en se rendant sur place.

L’absence de clauses exécutoires, et la forte probabilité qu’aucun
gouvernement américain n’exercera jamais aucune pression sur Israël pour le
contraindre à mettre en application les mesures qu’il doit prendre afin de
permettre au projet d’avancer, sont aussi des empêchements majeurs. En dépit
de son appel à une démarche parallèle, la feuille de route reste très vague
quant au timing et très imprécise sur le séquençage, si bien que tout le
poids pèse sur les Palestiniens. Les Palestiniens se sont déjà vu requérir
de réformer leur administration et Israël demande aujourd’hui explicitement
aux Palestiniens qu’ils se plient à l’exigence de mettre un terme définitif
à toute action violente avant qu’il ne daigne procéder lui-même à une
quelconque avancée. L’administration Bush ne va, c’est une quasi certitude,
formuler aucune objection à cette exigence abusive, et elle ne va sans doute
même pas non plus sourciller devant le genre de provocations qu’Israël a
déclenché la semaine dernière.

D’après le commentateur israélien Akiva Eldar, Daniel Kurtzer,
ambassadeur des États-Unis en Israël, avait fait une conférence l’année
dernière, en Israël, sur la feuille de route. Critiquant à demi mots Bush et
son administration, il avait cité un aphorisme de Yogi Berra : « Si vous ne
savez pas où vous allez, soyez prudent, car vous risqueriez de ne jamais y
arriver. » Yogi ne croyait pas si bien dire : la feuille de route semble aller
tout droit, très clairement, vers un super embouteillage sur la super
autoroute des relations américano-israéliennes. Tous les indices aujourd’hui
disponibles indiquent que l’administration Bush préférera ignorer le bouchon
autoroutier, plutôt que de porter atteinte à ces sacro-saintes Relations.

Kathleen Christison

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Source : www.solidarité-palestine.org

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