Le traité ACTA (Anti-Couterfeiting Trade Agreement), en préparation discrète mais néanmoins officielle, semble être la réalisation du pire cauchemar que le monde libre d’internet (mais pas que lui) redoutait : le contrôle total et sans contrepartie juridique du pouvoir des Etats sur le contenu d’internet.
On ne pouvait évidemment que s’y attendre, étant donné qu’internet est aujourd’hui le seul média resté libre et gratuit, et que son pouvoir fait d’une part perdre de l’argent à de nombreux intervenants (même s’il en fait gagner beaucoup à certains autres), et d’une autre qu’il est un contre-pouvoir gigantesque qui fait peur aux gouvernants de tous les pays (se disant démocratiques ou non)
Ce traité, à côté desquels Hadopi et Loppsi ne sont que de faibles instruments, va permettre, au nom de la protection du copyright (droits d’auteur), de surveiller le contenu (ainsi que la vie personnelle) de chaque individu internaute, et tout ceci sans passer par le contrôle judiciaire qui, on le voit ces derniers temps, essaye lui-aussi tant bien que mal de résister à la perte progressive de toute son indépendance et de tout son pouvoir.
En prétextant la défense de ces fameux droits d’auteurs « bafoués » sur internet, les gouvernements s’apprêtent à faire sauter l’anonymat, la liberté d’expression, la vie privée de chaque individu susceptible de contester, en prenant pour intermédiaire les FAI qui seront les policiers (les milices ?) chargés de faire tampon entre les gouvernements et les citoyens.
Une fois ce traité mis en oeuvre, les gouvernements espèrent bien être en capacité de faire cesser toute contestation, en s’assurant la promotion des informations selon un critère qui deviendra nécessairement financier, car l’accession aux possibilités offertes par internet seront réservées aux seuls riches, capables de payer les droits d’auteurs ainsi protégés. Les plateformes traditionnelles ne prendront plus le risque de publier ni les écrits ni les créations d’auteurs non « rentables », car bien que ceux-ci soient largement diffusés sur le web, ils ne sont pas susceptibles d’être « achetés » pas les grands médias généralistes financés par la publicité. Tout ce qui ne correspondra pas au « politiquement correct » sera amené à disparaître des écrans, victimes de leurs droits d’auteurs que personne ne voudra ni vérifier ni transmettre, car leur contenu ne saurait être rentable, et souvent sera même suspect : car plutôt que d’enquêter sur la source du droit d’auteur d’un anonyme, les FAI comme les plateformes préfèreront s’en passer.
A n’en pas douter également, le traité ACTA fera en sorte de supprimer peu à peu les pseudonymes d’internet, comme l’a souhaité il y a peu le ministre de la culture, oublieux du fait que ceux qui ont fait la culture et les lumières d’hier ont pour une large part été « contraints » de se couvrir de pseudos pour pouvoir s’exprimer. Car quel copyright un anonyme peut-il apposer ? qui prendra le risque de publier quelque chose dont on ne connaît pas l’auteur, et comment lui faire « parvenir ses droits » si on ne le connaît pas ? comme avec la burqua, il faudra sur internet montrer son « vrai visage », sous peine d’être soit évincé, soit suspecté. En faisant miroiter au « créateur » une protection juridique ainsi qu’un revenu, les Etats seront en mesure de détenir un contrôle et sur les contenus, et sur les personnes, au travers de la traçabilité qu’exige cette protection.
Mais derrière cette scandaleuse idée se cache peut-être une chance pour tous ceux qui désirent la liberté pour leurs opinions, et la diffusion de celles-ci. En constatant que le copyright est le biais par lequel la liberté d’expression est attaquée, on peut imaginer que tous les libertaires qui abandonnent leurs droits d’auteur, qui laissent leurs opinions et leurs écrits « libres de droit », devraient se trouver certains qu’aucune poursuite ne puisse être engagée ni à leur encontre, ni par leur intermédiaire. Pas de copyright, pas de sanction. Mais également pas d’argent. Mais ne nous leurrons pas : s’il est évidemment honorable de vouloir récolter les fruits financiers de son travail, il est impossible de se vouloir totalement indépendant à partir du moment où l’argent entre en jeu. Et pour tous ceux qui sont visés par la censure prochaine de leur liberté d’expression, c’est bien parce qu’ils ont quelque chose sinon contre le capitalisme, au moins contre ses effets.
Alors pourquoi ne pas réfléchir à poser dès maintenant les bases d’un autre système fonctionnant sur la gratuité ? Si cela pose un problème dans le cas du cinéma ou de la musique, et même si on ne peut considérer l’écriture comme un média nécessitant beaucoup d’autres investissements que du temps, "tout a un prix" , et il est possible qu’à terme de nombreux « créateurs » soient démotivés, ou rentrent dans le rang. Mais pour les autres, la gratuité devrait être prise comme la véritable garantie de leur indépendance. Cette indépendance réelle que constitue internet, et qui parle tant à tant d’individus qu’elle pourrait presque devenir « rentable » !
Les générations nouvelles, rompues aux techniques informatiques et largement habituées à la gratuité du net, ont la volonté de conserver l’immensité des possibilités du web sans payer pour en profiter. Ce sont eux les futurs créateurs. Ils savent qu’aujourd’hui il est possible de mutualiser, de partager, d’organiser à peu de frais. La mutualisation de matériels propres à la création, le sacrifice de temps pour cette création, l’aide de certaines compétences attirées par des projets alternatifs, une plateforme pour organiser tout cela bénévolement ou pour peu de frais, de nombreux moyens peuvent rendre possible la gratuité. La déception, voire la suspicion des masses vis à vis de leurs gouvernants promet de très nombreux visiteurs, participants, adhérents à un tel projet. Tous les désireux de voir se perpétuer la liberté, s’ils la considèrent comme étant véritablement essentielle, devraient être prêts à faire le sacrifice de quelques devises pour préserver leur indépendance.
Si nous ne commençons pas maintenant, alors c’est que nous préférons notre soumission. Si nous voulons changer, changeons. Donnons ce que nous avons à donner, avec les moyens que nous possédons. Préférons le sens à l’esthétique, car le sens est une esthétique. La musique gratuite n’est pas d’aussi bonne qualité sur internet que sur CD ? oui, mais si elle est meilleure ? l’image est moins bonne sur un téléphone que sur un Blue-Ray ? mais si le film est meilleur ? l’information n’est pas aussi agréable que dans le journal télévisé ? mais si elle est plus vraie ?
Posons-nous la question de ce que nous voulons, et agissons ; car après, il faudra bien assumer.
Caleb Irri
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