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Nouvelles de Cancun ( 2 )

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CANCUN, 10 septembre : Jour J.

Je suis enfermé dans la "zone sécurisée" (pour reprendre une expression très à la mode ces temps-ci) et je ne peux rendre compte que du déroulement des négociations. Voici donc, pendant cinq jours, une relation du "in". Pour le "off", j’espère que les média, qui y sont plus sensibles, fourniront des informations qui ne se limitent pas aux aspects les plus caricaturaux des manifestations.

Cet isolement n’interdit pas le trouble profond provoqué par le suicide de Lee Kyang Hae, ce fermier coréen de 56 ans, dont le geste, éminemment politique et annoncé comme tel, exprime le désespoir des millions de gens laminés par les "règles du jeu identiques pour tous" chères à Pascal Lamy.

La conférence a donc commencé par une cérémonie d’ouverture qui a rassemblé plus de 2.500 personnes et qui a connu deux temps forts :

- la témérité d’une cinquantaine de militants du réseau "Our world is not for sale" qui ont pris le risque de voir leur accréditation retirée en brandissant des calicots dénonçant, pendant le discours du directeur général de l’OMC, le caractère anti-transparent, anti-développement et anti-démocratique de cette organisation par ailleurs la plus puissante du monde ;

- le tonnerre d’applaudissements qui a ponctué la lecture du texte envoyé par le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan (annexe à Cancun 1). Cette chaleureuse approbation a contrasté avec les applaudissements polis qui ont suivi les autres interventions, y compris celle du président mexicain Vincente Fox qui, bien que latino-américain, a choisi de parler du 11 sept. 2001 à New York et non pas du 11 sept. 1973 à Santiago du Chili. Il a surtout choisi de taire que dans le Sud, il y a DES 11 septembre chaque jour.

La cérémonie a été suivie d’une réunion de travail en plénière qui a adopté la création annoncée de cinq groupes de travail dont la présidence a été quelque peu modifiée suite à d’intenses tractations. Si l’agriculture, les NAMA et les nouvelles matières sont bien sous l’autorité des représentants respectivement de Singapour, de Hong Kong et du Canada, les questions liées au développement sont sous la présidence du Kenya qui a fini par céder aux pressions alors qu’il avait refusé à plusieurs reprises d’être piégé par une telle fonction. Quant aux autres questions - certains parlent d’un groupe "cimetière" - elles sont placées sous la présidence de la Guyane.

Le choix du Ministre du Canada pour présider le groupe sur les nouvelles matières a suscité de nombreuses critiques, car la neutralité de Pierre Pettigrew est tout à fait douteuse dans la mesure où, déjà à Doha, il s’était montré un partisan acharné de l’ouverture immédiate de négociations sur ces nouvelles matières.

Alors qu’on n’est pas entré dans le vif des négociations et qu’on en est encore à l’affirmation des points de vue respectifs, des développements intéressants méritent d’être rapportés.

AGRICULTURE

Une conférence de presse a confirmé la création d’une coalition de 21 pays (et non 22 comme annoncé par erreur). Les gouvernements de ce G 21 sont résolus à ce que leurs propositions soient discutées. Ces pays représentent plus de la moitié de la population mondiale. Il s’agit de : Afrique du Sud, Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Chine, Colombie, Costa Rica, Cuba, Equateur, Egypte, El Salvador, Guatemala, Inde, Mexique, Pakistan, Paraguay, Pérou, Philippines, Thaïlande et Venezuela. On a vu (dans Cancún 1) le contenu de leurs propositions. On en comprend toute la pertinence quand on sait que le protectionnisme et les subventions des pays industrialisés représentent pour les pays en développement un manque à gagner annuel de 24 milliards de US $, selon une étude de l’International Food Policy Research Institute. Cette perte s’élève à environ 8,3 milliards de US $ pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 6,6 milliards de US $ pour l’Asie et près de 2 milliards de US $ pour l’Afrique sub-saharienne.

On a appris également qu’un autre groupe de pays s’est constitué autour de propositions sur le dossier agricole. Ils sont 23 dont La Barbade, l’Equateur, le Honduras, l’Indonésie, la Jamaïque, le Kenya, la Mongolie, le Nicaragua, le Nigeria, le Pakistan, le Panama, le Pérou, les Philippines, la République Dominicaine, Trinidad et Tobago, la Turquie, l’Ouganda, le Venezuela, la Zambie, le Zimbabwe, la Tanzanie. Ils proposent des mesures concrètes en vue de tenir compte des besoins du développement :

1. les pays en développement (PED) doivent avoir le droit de désigner les produits stratégiques qui ne seront pas soumis à des réductions tarifaires et à des quotas ;

2. un mécanisme spécial de sauvegarde doit être mis en place pour protéger les productions des PED contre les produits agricoles euro-américains à bas prix parce que subventionnés ;

3. les produits stratégiques doivent être protégés par ce mécanisme de sauvegarde.

La décision des pays du Sud de s’organiser et de structurer leurs points de vue pour faire front contre l’Union européenne et les Etats-Unis représente un moment historique dans l’histoire de l’OMC. Jamais, on n’avait vu une telle détermination accompagnée de pratiques diplomatiques destinées à lui donner de l’effectivité.

Dans le camp americano-européen, on s’efforce de minimiser - voire de nier - l’existence de ces G 21 et G 23. On répand de multiples rumeurs annonçant leur éclatement prochain. Et on s’y emploie. Sans même s’en cacher.

Les Européens s’apprêtent à répéter ce qu’ils avaient fait à Doha et ce qu’ils ont fait il y a une quinzaine de jours dans le dossier des médicaments : agir sur les liens Europe-Pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (les anciennes colonies)
pour briser tant le G 21 que le G 23. Les Américains font de même en ciblant quatre pays : Chili, Colombie, Costa-Rica et Mexique. Ils ont confié à leurs groupes financiers et industriels le soin d’exercer les pressions appropriées sur une quinzaine de pays où les investissements US sont importants.

Les déclarations tapageuses de Pascal Lamy sur une offre d’abandon de toutes les subventions agricoles européennes, déclaration qui n’est pas couverte par le Conseil européen des Ministres ne servent qu’à créer le trouble et la division parmi les pays en développement.

LEZARDES EUROPENNES

Alors que la Commission européenne manifeste une détermination sans faille sur tous les dossiers (et dans chaque cas, elle s’oppose à une majorité écrasante de pays en développement - comme me le disait un diplomate africain, "L’Europe veut tout et ne concède rien"), il semble que plusieurs gouvernements expriment des divergences sur certains de ces dossiers.

En ce qui concerne les "nouvelles matières" (le retour de l’AMI), certains gouvernements seraient prêts à faire des concessions sur les modalités d’une éventuelle négociation. Ils ne partageraient pas la précipitation de la Commission. D’autres divergeraient même sur le fond des propositions de la Commission. Bref, Pascal Lamy et son bataillon de technocrates ne seraient plus assurés d’un soutien sans faille des Etats membres. A vérifier. En ce qui concerne l’agriculture, la Grande-Bretagne ne soutiendrait pas la radicalité de la Commission.

La méfiance perceptible à l’égard de la Commission est alimentée par l’existence de documents qui définissent les positions de la Commission, mais qui n’auraient pas été formellement approuvés par les gouvernements. Que ces documents existent, cela ne fait aucun doute (j’en possède une copie). Qu’ils n’aient pas reçu l’aval de chaque pays reste à vérifier, certains gouvernements préférant faire croire qu’ils ne sont pour rien dans l’ultra-libéralisme des propositions de Pascal Lamy.

A demain. Je vous parlerai certainement du coton. Et du Cambodge.

Raoul Marc JENNAR

Chercheur auprès d’Oxfam-Solidarité (Bruxelles) et de l’URFIG (Paris-Mosset)
Tél. à Cancun : 00 52 998 120 95 21

http://www.urfig.org/

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