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Nicaragua : Mobilisation victorieuse des paysans sans terre ni travail

Le Courrier

26 août 2003

Les ouvriers agricoles de nouveau au bord de la route

Sans terre ni travail, des milliers de paysans ont marché
pour la troisième année consécutive vers la capitale. Une mobilisation
exemplaire et victorieuse.

Par VIVIANE LUISIER et GERALD FIORETTA*, MATAGALPA

Ce mardi 29 juillet, un cortège silencieux traverse les rues de
Matagalpa, au Nicaragua. Chargés de rouleaux de plastique noir, de sacs avec
un peu de nourriture, de petits enfants et de croix de bambous destinées à 
déclarer le côté pacifique de la manifestation suivie par une dizaine de
policiers « anti-motines » (antiémeutes), ce chemin de croix semble sorti d’
une autre époque, celle où les indigènes étaient déjà capables de marcher, d
’attendre, de jeûner jusqu’à ce qu’on les écoute et qu’on les prenne en
compte.

Evidemment, ce spectacle est d’autant plus impressionnant à l’ère des
téléphones portables, des véhicules à air conditionné et des feux rouges
même dans cette petite ville de Matagalpa. Les gens qui sortent sur le pas
de leur porte ne crient ni leur soutien ni leur désapprobation. Au silence
des manifestants répond le silence des spectateurs. Ainsi donc, il existe
aujourd’hui des Nicaraguayens qui se déplacent, s’habillent et dorment...
comme ça ? Comme ces gens sortis de la montagne, sales, harassés, mais têtus ?

CRISE DU CAFÉ

Ces manifestants silencieux sont des travailleurs et travailleuses
agricoles de la zone nord du Nicaragua. Pour la troisième fois depuis 2001,
ils ont quitté leurs haciendas de café et se retrouvent à nouveau sur le
bord de la route avec leurs familles pour demander rien de plus qu’une vie
décente.

En effet, depuis la fin des années nonante, alors que le prix du café
s’écroulait au niveau international, les propriétaires n’ont plus voulu
investir dans leurs plantations. Ils n’ont plus offert de travail à leurs
ouvriers et ouvrières, ni pendant l’année pour nettoyer, mettre de l’engrais
et soigner leurs cultures, ni au moment de la récolte. Ils se sont contentés
de faire ramasser ce qui avait poussé « à la grâce de Dieu ». Bien sûr, s’ils
ne pouvaient plus maintenir leurs plantations en bon état, ils ne pouvaient
pas non plus maintenir les milliers de familles travaillant et vivant dans
leurs haciendas, les privant d’un coup de salaire, de nourriture, de
logement, de maîtres d’école et de médicaments.

Toute cette population a attendu patiemment de voir comment allait
évoluer la situation et comment leurs patrons allaient obtenir de l’aide du
gouvernement pour leurs cultures et leurs travailleurs et travailleuses. Ils
ont attendu jusqu’au moment où la mort a commencé à faucher les premiers
enfants et les premiers vieillards par inanition et manque de soins
médicaux.

LES PREMIERS « PLANTONES »

Ils sont alors sortis de la campagne qui masquait leur drame pour
aller simplement la mettre au jour au bord de la route. Sans mégaphone, sans
pancarte, expliquant avec dignité à qui veut bien s’arrêter pour savoir la
raison de leur présence sur différents points de la route allant de Sébaco à 
Waslala, où se trouvent environ une dizaine de plantones (plantons), comme
sont alors baptisés ces regroupements.

Quelques personnes et organismes se réunissent aussi à Matagalpa pour
venir en aide à ces groupes qui manifestent leur révolte sans aucun moyen,
ni en termes d’alimentation, ni de transport, moins encore en termes d’
organisation. Par leur détermination et la timide solidarité urbaine, les
plantones parviennent à émouvoir les maires sandinistes de la région et
contraignent le gouvernement à prendre des mesures d’urgence.

En 2002, la même situation de fond se représente. Et, à nouveau,
plusieurs dizaines de morts de faim ou d’épidémie, soit dans leurs
communautés démunies, soit lors des plantones. Sous l’impulsion l’
Association des travailleurs de la campagne (ATC), la seconde révolte est
moins improvisée. Les familles en lutte marchent sur la capitale, Managua,
avec l’intention d’aller présenter leurs revendications directement au
président de la République, Enrique Bolaños.

ACCORDS NON HONORÉ

Ils n’ont toutefois pas à aller beaucoup plus loin que Sébaco : ils s’
arrêtent à Las Tunas, où le gouvernement vient signer en septembre 2002 des
accords qui promettent un volet social : travail temporaire et assistance
médicale principalement, et surtout un volet production : légaliser vingt
grandes fincas reprises par les travailleurs, répartir des parcelles de
terrain pour l’autosubsistance aux milliers de sans-terre, réparer les
routes du nord, aider à long terme les producteurs de café.

Les familles retournent une fois de plus dans leurs haciendas
respectives, rassérénées par les mesures sociales d’urgence, et par les
promesses pour leur futur. Mais, à part les emplois temporaires qui ont
calmé la faim pendant un temps, ces accords n’ont jamais été honorés,
obligeant les plantons à reprendre la lutte.

* Militants du mouvement de solidarité avec le Nicaragua.

Au bout du chemin, la terre

Cette année, les 5000 paysans-marcheurs auront mis moins de temps qu’
en 2002 pour faire plier le gouvernement. Parti du Nord du pays le 23
juillet pour rejoindre Managua, le cortège aura pu s’arrêter victorieux
avant que ne tombent les premières victimes de la faim.

Munis de leur cahier de revendications1 et du soutien de l’évêque de
Matagalpa, d’élus sandinistes et de l’ATC régionale, les paysans ont signé
le 9 août dernier un second Accord de Las Tunas avec des représentants du
gouvernement. Un texte cautionné par les maires de Matagalpa, San Ramón et
La Dalia et arraché après de longues et laborieuses négociations : cinq jours
et quatre nuits, dans un endroit infesté de moustiques, le même qui fut le
cadre des premiers Accords de Las Tunas, en septembre 2002.

Ces négociations n’auraient jamais abouti sans la détermination des
milliers de marcheurs et marcheuses contre la faim, qui sont restés unis,
nuit et jour, sur le lieu des tractations, et sans l’engagement de l’évêque
de Matagalpa, au nom de l’Eglise, à la fois comme modérateur habile dans les
discussions, et surtout, en coulisse, comme catalyseur des contacts
indispensables.

TOURNANT POUR LES PLANTONS

Sadrach Zeledón, maire sandiniste de Matagalpa qui a participé à la
négociation, estime quant à lui que la solidarité croissante envers la lutte
des travailleurs et travailleuses agricoles de la part de la société civile,
ainsi que la couverture médiatique de l’événement par la presse
internationale, ont poussé le gouvernement à négocier.

Mais, au-delà des circonstances, le magistrat estime que cette
nouvelle lutte des plantones aura vu émerger trois points fondamentaux et
novateurs. En premier lieu, prédit M. Zeledón, à l’avenir, le gouvernement
ne pourra plus tergiverser, et les accords devront être appliqués. D’une
part, parce qu’ils sont concrets et comportent un calendrier précis, d’autre
part, parce que l’Eglise, comme d’autres organismes de la société civile,
tels que le Centre nicaraguayen de défense des droits humains, se sont
portés garants de leur application.
Ensuite, poursuit le maire de Matagalpa, les travailleurs et
travailleuses agricoles ont gagné une grande bataille : celle de la terre.
Pour la première fois depuis la défaite sandiniste, ils ont réussi à 
retourner le cours de la contre-réforme agraire en imposant leurs
revendications d’accès à la terre pour quelque 2500 familles dans le
département. A cela s’ajoute une deuxième bataille gagnée, celle de l’
organisation de la lutte, qui ouvre de réels espoirs pour un renouveau
syndical de l’ATC.

LUTTE EXEMPLAIRE

Enfin, M. Zeledón souligne que la longue marche des plantons a permis
de rendre visible le problème des travailleurs et travailleuses du café. De
nombreux secteurs agricoles en lutte dans tout le pays pourraient suivre l’
exemple : celui du tabac à Esteli, celui de la canne à sucre sur la côte
pacifique, celui des petits paysans d’Achuapa, celui des coopérativistes de
Chinandega. VLr/GFa

1 Des parcelles pour les familles sans terre, légalisation des fincas
en possession des travailleurs, un emploi productif permanent, prise en
charge des soins médicaux, planification de logements ruraux et de cantines
infantiles, réparation des routes, soutien à la production de café.

Las Tunas II, le détail

En résumé, les Accords de Las Tunas II stipulent les mesures
suivantes :

* Deux mille cinq cents familles sans terre n’ayant jamais été
bénéficiaires d’un programme de réforme agraire recevront trois hectares de
terres cultivables. Ces parcelles familiales ne pourront pas être vendues.
Elles sont destinées à stabiliser les familles sur des parcelles pouvant
assurer l’autosubsistance. Les bénéficiaires payeront le 50% de la valeur
des parcelles, par contributions annuelles à partir de la cinquième année,
et ceci sur trente ans si nécessaire, sans intérêt. Un plan d’appui à la
production comportant la répartition de semences et d’animaux de basse-cour
sera mis sur pied pour ces 2500 familles. Puis, dans un an, un plan de
logement rural commencera à fonctionner.

* Les quinze haciendas de café passées aux mains des travailleurs et
travailleuses agricoles lors de la défaite sandiniste de 1990, en dispute
depuis des années suite aux réclamations des anciens propriétaires ou à la
banqueroute frauduleuse d’un important consortium agricole (Agresami),
seront définitivement accordées aux travailleurs et travailleuses ainsi qu’
aux démobilisés de l’Armée ou de la Résistance (ce qu’on appelait la
« Contra »). A part trois haciendas déjà parcellisées au titre de la réforme
agraire pour les démobilisés, les douze autres seront vendues à 40% de leur
valeur à payer sur vingt ans sans intérêt aux douze coopératives qui
exploiteront ces haciendas.

* Un emploi temporaire sera accordé à 5000 personnes jusqu’à la
prochaine récolte de café de novembre 2003. L’emploi pourra être de type
productif (travail sur les parcelles ou les haciendas) ou de type
communautaire (route, reforestation). Le montant du subside est d’environ 35
cordobas (2,25 dollars) par jour.

* Les mesures sociales (cantine scolaire, éducation, attention
sanitaire et médicaments gratuits) seront intensifiées. VLr/GFa

Source www.lecourrier.ch

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