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Ceux qui prétendent que la croissance démographique est le gros problème environnemental sont en train de blâmer les pauvres pour les péchés des riches

Le mythe de la surpopulation

Au début des années soixante, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) tint à Genève une réunion peu publicisée mais capitale, dont le but était d’examiner un danger majeur pour l’espèce humaine : la surpopulation du globe. Nous étions en train d’atteindre les six milliards et rien, désormais, ne pouvait plus freiner l’explosion exponentielle. Ni épidémies ni guerres n’allaient y suffire. Alerte rouge. Que faire ?

Assistaient à ce mémorable brainstorming des représentants de la science en marche et un peu aussi du capital, dont, entre autres, des cadres d’I.B.M., alors objet des attentions détonantes de la Rote Armee Fraktion (plus connue sous le nom de Bande à Baader - NDR), et feu Robert McNamara, occupé quant à lui à résoudre la quadrature du cercle au moins au Vietnam, à l’aide de napalm, de défoliants et d’agent orange.

N’y assistaient pas les Chinois, qui allaient opter chez eux pour la solution pragmatique d’un seul enfant autorisé par famille (fin des années 70).

N’y assistait pas non plus l’écrivain anglais John Cowper Powys, qui venait de mourir (1961) et qui aurait pu être pourtant de bon conseil, car il avait écrit, en substance : « La terre ne produit-elle pas assez de fruits pour nourrir tous les enfants des hommes ? Bien sûr que si. Il suffirait que ces fruits soient répartis entre eux équitablement et que certains hommes cessent d’accaparer stérilement ce qui est nécessaire à la survie de tous. » (Nous résumons.)

Au moment où les progrès foudroyants de la technologie ont rendu inutiles à ces « certains hommes » le travail fourni par la majeure partie des autres, mais où cette majeure partie, devenue improductive, va avoir le mauvais goût de continuer à manger...

Au moment où l’OMS semble avoir renversé ses priorités et, au coude à coude avec les détenteurs abusifs des moyens chimico-biologiques de sauver ou d’exterminer leurs semblables, prétend nous protéger, par la force, d’une pandémie fantôme...

Il devient urgent, pour la « majeure partie », d’identifier correctement les dangers réels qu’elle court et de prendre elle-même les mesures adéquates pour y faire face. Le révérend Swift étant mort, M. George Monbiot, pour sa modeste part, s’y est collé (le 28 septembre dernier, dans le Guardian). C.L.


Ce n’est pas une coïncidence si ceux qui sont obsédés par la croissance démographique sont d’opulents hommes de race blanche, qui ont passé l’âge de se reproduire : c’est bien la seule question environnementale pour laquelle ils ne sont pas à blâmer. Le brillant spécialiste des systèmes de la terre, James Lovelock, par exemple, a prétendu le mois dernier que « ceux qui ne voient pas que la croissance démographique et le changement de climat sont deux faces d’une même médaille, sont soit ignorants, soit refusent de voir la vérité. Ces deux énormes problèmes environnementaux sont inséparables, et discuter de l’un en ignorant l’autre est irrationnel. » (1) Eh bien, c’est Lovelock qui est ignorant et irrationnel.

Un article publié hier dans la revue Environment and Urbanization (Environnement et Urbanisation) montre que les endroits où la population a augmenté le plus vite sont ceux où l’émission de carbone dioxide a augmenté le plus lentement, et vice versa. Entre 1980 et 2005 par exemple, l’Afrique Sub-Saharienne a produit 18,5% de la croissance démographique mondiale, et à peine 2,4% de l’augmentation de CO2. L’Amérique du Nord n’a produit que 4% de population en plus, mais 14% des émissions de carbone excédentaires. Soixante-trois pour cent de la croissance démographique mondiale sont à imputer à des endroits du globe où l’émission de CO2 est très faible.

Même ceci ne rend pas une image exacte de la réalité. L’étude souligne qu’à peu près un sixième de la population est si pauvre qu’elle ne produit aucune émission de carbone significative. C’est aussi ce groupe dont la croissance en population est susceptible d’être la plus forte. Aux Indes, des foyers où l’on gagne moins de 3.000 roupies par mois ( ± 43 €) consomment, par tête, un cinquième de l’électricité et un septième du carburant d’un foyer où l’on gagne 30.000 roupies ou plus. Ceux qui dorment dans les rues ne consomment pratiquement rien. Ceux qui vivent de la récupération des déchets (2) (une grande partie de la sous-classe urbaine) économisent souvent plus de gaz à effet de serre qu’ils n’en produisent.

Beaucoup des émissions pour lesquelles les pays les plus pauvres sont blâmés devraient, en bonne justice, nous être attribuées. Les torchères des compagnies exportatrices de pétrole du Nigéria, par exemple, ont produit plus de gaz à effet de serre que toutes les autres sources de l’Afrique Sub-Saharienne mises ensemble. Même la déforestation, dans les pays pauvres, est causée principalement par les opérations de livraison de bois, de viande et de fourrage aux consommateurs des pays riches. Les paysans pauvres font infiniment moins de mal.

L’auteur de l’article, David Satterthwaite, de l’Institut International pour l’Environnement et le Développement, fait remarquer que la vieille formule enseignée à tous les étudiants en développement selon laquelle l’impact total (du CO2 sur l’environnement) équivaut à la population x la richesse x la technologie (I =PRT), est fausse. L’impact total devrait être mesuré ainsi : I = CRT, c. à d. consommateurs x richesse x technologie. Beaucoup de gens dans le monde consomment si peu qu’ils ne figureraient pas dans cette équation. Or, ce sont eux qui ont le plus d’enfants.

Alors qu’il y a une corrélation faible entre le réchauffement global et la croissance de la population, il y a une corrélation forte entre le réchauffement global et la richesse. Je suis allé jeter un coup d’oeil à quelques super yachts, me disant que je pourrais avoir besoin d’un endroit où traiter les ministres du Labour dans le style auquel ils sont habitués. D’abord, j’ai jeté mon dévolu sur le RFF 135 de la Royal Falcon Fleet, mais quand j’ai découvert qu’il ne consommait que 750 litres de fuel à l’heure, je me suis rendu compte que je n’allais pas impressionner Lord Mandelson avec ça. Je n’en mettrais non plus plein la vue à personne du côté de Brighton avec l’Overmarine Mangusta 105, qui ne pompe que 850 litres à l’heure. Le rafiot qui m’a tapé dans l’oeil est fabriqué par Wally Yachts à Monaco. Le Wally Power 118 (qui donne aux wallies - lisez tarés - une sensation de puissance) consomme ses 3400 litres à l’heure, quand il voyage à 60 noeuds. C’est presque un litre à la seconde. Une autre façon de le dire est : 31 litres au km.

Évidemment, pour faire un vrai tabac, il me faudra l’équiper en teck et en acajou, embarquer quelques jet skis et un mini-sous-marin, amener mes invités à la marina en jet privé et en hélicoptère, les nourrir de sushis au thon à nageoires bleues et de caviar beluga, et conduire la bête à une allure telle que la moitié de la vie sous-marine méditerranéenne sera réduite en purée. Propriétaire d’un de ces yachts, je ferai plus de mal à la biosphère en dix minutes que la plupart des Africains n’en font dans toute leur vie. Là , oui, on peut dire que ça chauffe, baby !

Une de mes connaissances, qui fréquente les gens de la haute, me dit que, dans la ceinture banquière de la vallée de la Tamise Inférieure, il y a des gens qui chauffent leur piscine extérieure à la température du bain d’un bout de l’année à l’autre. Ils aiment y regarder les étoiles en faisant la planche par les belles nuits d’hiver. Le carburant de chauffage leur coûte 3.000 £ par mois (soit ± 3200 €). Une centaine de milliers de personnes, vivant comme ces banquiers, épuiseraient les écosystèmes nécessaires à notre survie plus rapidement que 10 milliards de gens vivant comme la paysannerie africaine. Au moins les super-friqués ont-ils le tact de ne pas trop se reproduire, si bien que les riches vieillards qui jettent l’anathème sur la reproduction leur fichent la paix.

En mai, le Sunday Times a fait paraître un article intitulé : « Un club de milliardaires se mobilise pour faire rendre gorge à la surpopulation ». Il révélait que « certains éminents milliardaires américains se sont rencontrés secrètement » pour décider quelle bonne cause ils pourraient soutenir. « Un consensus a émergé pour adopter une stratégie stygmatisant la croissance démographique en tant que menace environnementale, sociale et industrielle potentiellement désastreuse ». En d’autres termes, les ultra-riches ont décidé que c’étaient les très pauvres qui étaient en train de saloper la planète. On se défonce pour trouver une métaphore adéquate, mais en vain : c’est au-delà de toute caricature.

James Lovelock est, avec Sir David Attenborough et Jonathan Porrit, un des parrains d’OPT (Optimum Population Trust, ou « Trust pour une Population Optimale »). C’est là une des douzaines d’organisations « caritatives » (3) dont le seul but est de décourager les gens de faire des enfants, au nom du sauvetage de la biosphère. Mais je n’ai pas été capable d’en trouver une seule dont le but fût de mettre en cause l’impact sur la biosphère du comportement des très riches.

Les pinailleurs pourraient me rétorquer que ceux qui se reproduisent rapidement aujourd’hui pourraient, demain, devenir plus riches. Mais, comme les super-riches accaparent une part toujours plus grande du gâteau et que les ressources comment à être à sec, cette éventualité diminue de jour en jour. Il y a de fortes raisons sociales d’aider les gens à contrôler leur procréation, mais de très faibles raisons environnementales. Sauf chez les populations les plus opulentes.

L’Optimum Population Trust feint d’ignorer que le monde va vers une transition démographique : les taux de croissance de la natalité baissent à peu près partout, et le nombre d’êtres humains a des chances, d’après un article paru dans Nature, de culminer, en ce XXIe siècle, aux alentours de 10 milliards. La plus grande partie de cette croissance se fera chez ceux qui ne consomment presque rien.

Mais personne ne prévoit une transition dans la consommation. Les gens font moins d’enfants au fur et à mesure qu’ils deviennent plus riches, mais ils ne consomment pas moins, ils consomment davantage. Comme le montrent les habitudes des super-riches, il n’y a pas de limites à l’extravagance humaine. On peut s’attendre à ce que la consommation augmente, de pair avec la croissance économique, jusqu’à emboutir les amortisseurs de la biosphère. Quiconque comprend ceci et continue à considérer que c’est la population et non la consommation qui représente LE gros problème, refuse, comme le dit Lovelock, de voir la vérité. (4) C’est la pire espèce de paternalisme : celle qui blâme les pauvres pour les excès des riches.

Mais où sont donc les mouvements de protestation contre la richesse puante qui détruit nos systèmes de vie ? Où est l’action directe contre les super yachts et les jets privés ? Où est cette fichue lutte des classes, quand on a besoin d’elle ?

Il serait temps que nous ayons assez de coeur au ventre pour mettre le doigt sur la vraie plaie. La plaie n’est pas le sexe, c’est l’argent. Ce ne sont pas les pauvres, ce sont les riches.

George Monbiot

http://www.monbiot.com

The Guardian, 29.9.2009, relayé par Information Clearing House
http://www.informationclearinghouse.info/article23624.htm

Traduction : C.L. pour le Grand Soir

(1) Voir notes justificatives des citations sur www.monbiot.com

(2) C’est-à -dire qui se nourrissent dans les dépôts d’ordures. (NdT)

(3) C’est-à -dire exemptées d’impôts.

(4) Ou, comme disait Mme la Comtesse de Ségur, née Rostopchine : se met à l’abri de la pluie dans la mare.

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