Pascale, vous êtes institutrice et vous vous définissez comme une désobéisseuse, de quoi s’agit-il exactement ?
Le mouvement de désobéissance civile est inédit en France dans l’Education Nationale. Il a débuté en novembre 2008 par la lettre d’Alain Refalo, instituteur à Colomiers, adressée à son inspecteur (voir document en pièce jointe). Son courrier, d’une argumentation parfaite, a trouvé de profonds échos chez moi. En l’état, la désobéissance ouverte, assumée, revendiquée, consiste à refuser un certain nombre de mesures dans une lettre adressée à son inspecteur, à l’inspecteur académique, au ministre de tutelle voire au président de la république dans le cas de Bastien Cazals. Mais nous voulons également nous ériger en une force de propositions constructives.
Nous n’appliquons pas les "nouveaux- vieux" programmes de 2008, mais continuons en revanche à travailler sur la base des ambitieux programmes de 2002, revus en 2007.
Nous épargnons aux élèves les nouvelles évaluations nationales, normatives, sans valeur pédagogique, inutilisables et dangereuses pour l’estime de soi, destinées à mettre en compétition les écoles entre elles, mais nous nous engageons à construire des évaluations portant sur les notions réellement étudiées, en fabriquant des outils de remédiation efficaces et adaptés.
Lorsque ces évaluations sont mises en oeuvre, nous ne communiquons pas leurs résultats par le logiciel-espion de l’Education Nationale.
Nous n’effectuons pas les 2 h d’aide personnalisée telles qu’elles sont prescrites, mais par contre nous proposons à TOUS les élèves de la classe de bénéficier de ces 2h volées sur le samedi matin, lors d’activités prenant en compte les difficultés des élèves.
Nous ne pouvons nous résoudre à désigner des élèves ni à les encadrer dans les stages de remise à niveau lors des vacances scolaires, mais nous nous efforçons, durant les 24 h de classe par semaine de mettre en oeuvre des procédés et dispositifs d’individualisation et de groupes de besoin afin que chacun y trouve son compte.
Concernant les directeurs, il s’agit d’un refus catégorique de ficher les enfants dès l’âge de trois ans dans le fichier base-élèves, visiblement illégal au regard des lois informatique et liberté, et dénoncé par l’ONU.
En quoi la désobéissance était nécessaire pour vous ?
Fatiguée de manifester en vain, de ronger mon frein avec un immense sentiment d’impuissance et de désarroi, j’ai accueilli comme un soulagement cette possibilité d’agir, de reprendre l’initiative. C’était une question de santé mentale, de cohérence entre mes convictions de professionnelle de l’éducation et mes pratiques d’une part, et d’honnêteté envers l’institution d’autre part. J’aurais pu agir clandestinement, discrètement dans mon coin (beaucoup le font, les profs ne sont pas débiles et dans leur majorité refusent ces "réformes" et détournent les heures de "soutien", ou ne les effectuent pas du tout), mais il fallait susciter le débat, alerter l’opinion publique et faire réagir nos supérieurs et le ministère.
Quels sont les risques pour l’enseignant que vous êtes ?
Les risques sont par exemple une forme subtile de sanction : l’inspection/matraquage, que j’ai essuyée l’an dernier, moins de 2 mois après l’envoi de ma lettre de désobéissance. J’ai également été convoquée par l’inspecteur d’académie qui m’a fait la morale et envoyé une lettre pour m’enjoindre de rentrer dans les rangs.
D’autres désobéisseurs ont eu des retraits de salaire allant jusqu’à 4 jours par semaine (par semaine !). D’autres ont vu leur déplacement d’office (récemment Erwan Redon dans un procès pour délit d’opinion), le retrait de leur poste de direction (Bastien Cazals, Isabelle Huchard, François de Lillo), des refus de promotion et un abaissement d’échelon (Alain Refalo)...
Pour faire face aux retraits de salaires et aux frais de justice, une caisse de solidarité a été mise en place avec succès. Et les tribunaux administratifs ont donné tort aux inspections ayant pratiqué ces retraits, quels qu’ils soient.
Qu’espérez-vous obtenir par la suite ?
Nous espérons déranger suffisamment le gouvernement et informer le public afin que soient enfin organisés des Etats Généraux de l’Education, en associant aux réformes tous les partenaires de l’école (parents, enseignants, chercheurs, éducation populaire que l’on étrangle...). Il est à signaler que le dernier rapport de l’OCDE, pourtant peu encline à contrer le gouvernement, nous donne raison sur de nombreux points. On peut lire le rapport complet à cette adresse : http://www.oecd.org/dataoecd/41/26/43636350.pdf
Que peuvent faire les parents qui souhaitent vous soutenir ?
Pour chaque enseignant désobéisseur les parents ont toujours répondu présents : refus d’envoyer leurs enfants en stage de stigmatisation, accord pour qu’ils participent tous aux 2 h de classe supplémentaires, marques de sympathie, témoignages extrêmement dignes lors des différents procès déguisés dirigés contre certains d’entre nous, création de comité de soutien...
Par ailleurs il existe un texte de soutien destiné aux citoyens qui souhaitent encourager notre engagement et les valeurs que nous avons exposées dans une charte, disponible sur le site http://www.resistancepedagogique.org
Pascale LA ROSA
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