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Brésil : latifundistes et soumission aux marchés - premier bilan ( 2 )

2 août 2003

Le dirigeant du MST Joà o Paul Rodrigues Chaves accorde encore du temps à Lula.

« L’ennemi ? Les latifundistes, pas Lula »

Au Brésil, où les propriétaires terriens se partagent
d’immenses domaines latifundiaires, la réforme agraire constitue l’un des plus importants engagements du président Lula. Malgré le peu d’avancées enregistrées, le puissant Mouvement des sans-terre se montre indulgent. Ce qui n’est plus le cas de certains députés brésiliens et d’intellectuels de la gauche internationale. Deuxième volet de notre série sur les premiers pas de Lula.

Propos recueillis par Sergio Ferrari

Depuis l’accession de Luiz Inácio « Lula da Silva » à la tête du plus grand pays du continent latino-américain, tous les regards sont tournés vers cette nouvelle « expérience brésilienne ». Le débat est ouvert sur le bilan des sept premiers mois du gouvernement Lula.
D’un côté, la lutte déclarée par le président ouvrier contre la faim, par exemple, a été inscrite dans l’agenda du pays et se profile même comme un nouvel axe revendicatif sur le plan international. D’un autre côté, les coupes dans les dépenses sociales paraissent contredire la sensibilité du Parti des travailleurs (PT) aujourd’hui gouvernant. Les fonctionnaires se sont mis en grève. Dans les campagnes, la bataille entre le Mouvement des sans-terre (MST) et les latifundistes, grands propriétaires fonciers, connaît une militarisation croissante. Ce qui laisse mal augurer de l’avenir...
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Joà o Paul Rodrigues Chaves, membre de la coordination nationale du MST - l’une des organisations paysannes les plus importantes de la planète -, analyse la situation complexe que vit présentement son pays.

Le Courrier : Début juin, Lula recevait pour la première fois depuis son élection les dirigeants du MST.

Joà o Paul Rodrigues Chaves : L’entrevue avec le président fut très productive parce qu’elle a réaffirmé le sentiment et l’évaluation politique faite auparavant par le MST. A savoir que le gouvernement Lula a été élu par les travailleurs et le MST. Le président va donc mettre en oeuvre la réforme agraire ; il existe un engagement historique de la part de Lula et du PT de procéder à des transformations sociales.
 »Lula l’a redit lors de cette entrevue, et il est apparu clairement au cours du dialogue que notre principale tâche, en tant que mouvement social, consistait à organiser les pauvres dans les campagnes.

Pourtant, les grands propriétaires s’opposent plus que jamais à une redistribution des terres.

- Le Brésil est un pays très riche, avec une abondance de terres disponibles. On pourrait sans problème concrétiser une réforme agraire. Mais jamais les gouvernants antérieurs ne se sont préoccupés sérieusement d’appliquer un programme de répartition des grandes propriétés. Maintenant que nous avons un gouvernement acquis au principe de la réforme agraire, automatiquement les grands propriétaires s’arment contre les mouvements sociaux. Nous avons de nombreux indices quant à l’existence de groupes armés dans les campagnes.1 Le MST ne se laissera pas provoquer par ces milices.

Cette militarisation a-t-elle été un thème abordé avec Lula ?

- Oui. Nous avons demandé au président d’inciter le Ministère de la justice et la police fédérale à suivre de près le processus de formation de ces milices. Nous ne voulons pas d’un nouveau massacre, comme celui de 1996 à El Dorado de Carajá ! La possibilité que de tels événements se répètent nous préoccupe beaucoup. Cela aurait de profondes conséquences politiques pour le gouvernement et l’ensemble de la société brésilienne.

C’est Miguel Rossetto, un militant historique du PT connu pour son progressisme, qui a été nommé ministre chargé de la réforme agraire. L’interprétez-vous comme un signal en direction des sans-terre ?

- Sans aucun doute. Nous avons le sentiment que le gouvernement va faire avancer la réforme agraire, et nous avons fortement appuyé la nomination de Miguel Rossetto2. Nous savons que c’est un dirigeant de gauche ayant fait ses armes dans le mouvement syndical. C’est vrai qu’il ne connaissait pas de manière détaillée la problématique de la réforme agraire. Mais il a la volonté politique que cette réforme soit mise en oeuvre, qu’elle soit pacifique mais massive et de qualité.

Durant ces sept premier mois, y a-t-il eu des redistributions de terres ?

- Très peu quant au nombre des familles qui en ont bénéficié. Comme tous le savent, le Brésil vit une profonde crise économique. Le président Lula a hérité d’une faillite gouvernementale totale. Avec évidement des conséquences sur le budget affecté à la réforme agraire. Néanmoins, le gouvernement s’est engagé à agir de manière plus décidée avant la fin de l’année.

D’ici là , peut-on comprendre que le MST a décrété une sorte de trêve politique avec le gouvernement du PT ?

- Le MST ne se trouve pas dans l’opposition, on ne peut donc parler de trêve politique. Il existe un accord entre le président et les mouvements sociaux qui soutiennent le gouvernement. Sans perdre de vue la perspective qui est la nôtre : nous renforcer et organiser les travailleurs ruraux. Il est évident que l’ennemi principal, c’est la grande propriété foncière, pas Lula.

Le MST continue à occuper des terres. Cela signifie-t-il que vous avez pris la décision politique d’appuyer le gouvernement, mais sans changer vos méthodes historiques ?

- Nous comprenons nos occupations comme une activité démocratique, pas comme un attentat contre le gouvernement. C’est pour cette raison que nous sommes convaincus qu’il faut continuer à occuper les terres improductives. Les occupations se poursuivront jusqu’à ce que la réforme agraire devienne une réalité.

Quand ce moment viendra-t-il ?

- (Rires) Nous aimerions bien le savoir, nous aussi ! C’est la grande question du peuple brésilien.

Ces dernières semaines, il y a eu d’importantes grèves de travailleurs et d’employés de la fonction publique. Qu’en pense le MST ?

- Nous respectons la grève ; nous l’appuyons même. Lula propose une réforme de la sécurité sociale, qui est très compliquée. Il y a de toute évidence une tentative, venant de certains secteurs politiques, de limiter les droits sociaux des travailleurs. Voilà pourquoi nous nous solidarisons avec une grève juste et légitime.

N’est-ce pas contradictoire, pour le MST et le mouvement social, d’appuyer aussi
clairement le gouvernement et en même temps de soutenir une grève qui conteste les projets de ce même gouvernement ?

- Il ne s’agit pas d’une grève anti-gouvernementale. Elle défend des droits acquis, elle s’oppose à la réduction de droits sociaux. Ce sont des contradictions qui existeront toujours dans un processus démocratique. D’autre part, il faut comprendre la nécessité d’une mobilisation populaire qui garantisse que le gouvernement reste à gauche. Notre tâche c’est d’assurer la continuité de la lutte pour le droit à la terre, au travail et à la dignité.

Comment le MST évalue-t-il le fait que le gouvernement continue d’appliquer les
accords conclus avec le FMI (Fonds monétaire international) ?

- Le gouvernement vit une période de transition. Il y a des accords qu’il ne peut cesser d’appliquer... Mais nous croyons qu’il est urgent d’amorcer un changement du modèle économique qui régit actuellement notre pays et qui a été hérité de la gestion de Fernando Henrique Cardoso (l’ancien président du Brésil, ndlr).

Cela signifie-t-il que le MST considère comme insatisfaisante l’actuelle politique économique gouvernementale ?

- Le premier semestre du gouvernement Lula écoulé, nous avons vu et comprenons quelle stratégie a défini le gouvernement. Mais cette première étape ne peut se justifier que si, après les six premiers mois, on constate la mise en oeuvre de changements réels.

La fin de l’année 2003 sera décisive pour l’orientation gouvernementale et l’avenir du pays.

- Certainement. Le gouvernement a jusqu’à la fin de l’année pour indiquer le cap.

Finalement, comment le MST interprète-t-il les contradictions à l’intérieur du PT ? Certains secteurs du parti, par exemple, se sont opposés publiquement aux réformes du régime des retraites...

- Je préfère ne pas faire de commentaires. Le PT a son autonomie et sa légitimité propres. Je pense toutefois que le PT aura de grandes difficultés pour concilier sa volonté d’organiser les travailleurs et de gouverner en même temps.

Traduction : H.P. Renk.

Collaboration : E-CHANGER

1 Un photographe de presse, qui couvrait une occupation du MST à San Bernardo (Etat de Sao Paulo), non loin de la maison de Lula, a été abattu dans des circonstances troubles, le 24 juillet (source : El Pais, 25 juillet 2003).

2 Deux interview de Miguel Rossetto à la Folha de Sao Paulo (16 mars 2003) et à Veja (23 mars 2003) ont été traduites en français dans la revue INPRECOR (Correspondance de presse internationale), n° 480/481 (mars avril 2003), www.inprecor.org.

Pour certains, Lula a déjà « trahi » ses idéaux

Ces dernières semaines, des voix critiques se sont font fait entendre au sein même de la formation politique du président Lula, le Parti des travailleurs (PT), et parmi des personnalités de la gauche internationale.
Un groupe de parlementaires du PT affiliés à des tendances à la gauche du parti, ont sévèrement critiqué le gouvernement en raison de son projet de réduction des retraites et visant à allonger la durée de cotisation.

Suite à cette bombe politique, des secteurs plus centristes du PT menacent ce groupe de députés « indisciplinés » de sanctions. C’est le cas du président du PT, José Dirceu, aujourd’hui secrétaire général de la présidence de la République. Les sanctions pourraient notamment se traduire par l’expulsion d’Helena Heloisa. Prenant part à une manifestation des fonctionnaires le 11 juin dernier, elle a été vivement applaudie par la foule. Plus tard, elle déclarait à la presse : « Je suis plutôt de la tendance Jeanne d’Arc que de celle de Galilée ». La première avait brûlé sur le bûcher alors que le second s’était résigné à abjurer ses théories devant les tribunaux de l’Inquisition...
A l’étranger, des intellectuels militants - comme l’historien belge Eric Toussaint et le sociologue étasunien James Petras - ont d’ores et déjà exprimé leur désillusion quant à la gestion gouvernementale de Lula.

SOUMISSION AUX MARCHÉS

Après avoir rencontré Lula alors en route pour le G8 à Evian, Eric Toussaint émettait trois critiques principales. La première a trait à la nomination à la tête de Banque centrale d’un grand patron brésilien. « Henrique Meirelles, qui a été président de l’une des plus importantes banques étasuniennes au Brésil, a reçu comme instruction de gagner la confiance des marchés financiers », souligne le président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM).

Mais il y a pire pour Eric Toussaint. « Le président Lula accorde une large autonomie à la Banque centrale, une mesure rêvée par les néolibéraux. Le pouvoir politique renonce toujours plus à un instrument central pour orienter l’économie du pays. »

Troisièmement, Eric Toussaint conteste la réforme du système des retraites en cours, « qui rappelle fortement les mesures prises par le gouvernement Raffarin et qui ont été décriées dans la rue et combattues par des grèves dans toute la France ». Pour le militant belge, d’autres éléments de la politique économique de Lula sont tout aussi contestables : « les taux d’intérêts élevés, le maintien des accords avec le Fonds monétaire international (FMI) ou la poursuite du remboursement de la dette extérieure ».

Quant à James Petras, il s’en est également pris à ce qu’il perçoit comme une soumission du nouveau gouvernement brésilien au FMI. « Lula a conclu un accord d’ajustement brutal avec le FMl, il a augmenté le pourcentage du produit intérieur brut affecté au paiement de la dette, en diminuant de 30% les budgets pour l’éducation, la santé, etc. Cardoso n’aurait pas fait pire », tempêtait le sociologue dans un texte publié sur le site Internet « Rebelión »1.
L’intellectuel étasunien pointe un doigt accusateur sur la nomination de José Alencar au poste de vice-président, « un grand capitaliste du textile, un exploiteur des travailleurs », et ce « sans même en référer à une assemblée de son parti ». La dérive de l’ex-syndicaliste se poursuivrait. « Lula commence à pactiser avec les partis bourgeois dans chacun des Etats du Brésil, parfois contre ses propres partisans », note James Petras. La « Jeanne d’Arc » du PT, Helena Heloisa, a ainsi retiré sa candidature au poste de gouverneur de son Etat parce qu’elle refusait l’alliance imposée avec le « Partido do Frente libéral » (PFL) justement dirigé par José Alencar.

James Petras n’est pas non plus tendre avec la réforme des retraites proposée par le gouvernement Lula. Réduire les retraites de la fonction publique au niveau de celles du secteur privé revient à assurer « l’égalité dans l’appauvrissement ». « Pour son plan « faim zéro », « Lula compte sur le financement des capitalistes. La pire forme de charité. Les gens ne veulent pas qu’on leur distribue des rations de nourriture, ils veulent des emplois », tranche-t-il.

PRÉSENCE AU WEF CONTESTÉE

Enfin, si l’on en croit James Petras, Lula n’aurait pas dû se rendre au World Economic Forum de Davos. « Le président brésilien a demandé à des grands capitalistes, comme le spéculateur George Soros et d’autres - ceux-là mêmes qui ont produit la pauvreté - de collaborer à la lutte contre la pauvreté. »

Depuis les premiers pas de Lula, l’évolution du Gouvernement brésilien suscite un débat toujours plus intense au sein de la gauche internationale, et même au delà 2. A gauche, on rencontre les opinions les plus diverses, depuis ceux qui évoquent déjà la « trahison « de Lula envers ses idéaux historiques jusqu’à ceux qui croient à l’existence de deux plans de gouvernement. Le plan actuel, qui devrait échouer, en permettant à Lula et au PT d’appliquer un deuxième programme et de lancer les réformes fondamentales. Passionnante, la dynamique brésilienne ne peut que déchaîner... les passions. SFi

1 www.rebelion.org (en espagnol et portugais).

2 Récemment, le journaliste suisse Jacques Pilet écrivait une lettre ouverte à Lula, où il félicitait ce dernier d’avoir respecté les lois de « l’orthodoxie financière », plutôt que d’avoir appliqué les « vieilles recettes du Monde Diplomatique », telles que la taxe Tobin...

Source : Le Courrier

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