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Un appel telephonique de l’enfer

En vérité il semble qu’il soit plus facile de sortir les Juifs du ghetto que de sortir le ghetto de certains Juifs. ils imaginent Les juges de la Cour pénale internationale comme une bande de cosaques ivres qui tentent d’organiser un pogrom.

Il y a une liaison téléphonique directe entre le paradis et l’enfer. Je peux le prouver.

L’idée m’a traversé l’esprit dimanche dernier, alors que j’escaladais un pic couvert de neige dans la région alpine de l’Italie, où j’étais invité à une conférence politique. Le soleil brillait, la température était d’environ 0°, autour de moi il y avait un paysage de pics blancs à couper le souffle. Plus loin en bas, de calmes vachers conduisaient leurs animaux vers leurs verts pâturages. Le paradis sur terre.

Et puis mon portable a sonné. L’appel venait de Tel-Aviv, où le thermomètre avait grimpé jusqu’à 32° et plus. Les nouvelles de la radio israélienne, que je réussissais à capter de temps en temps, parlaient de gens tués et blessés, d’attaques et de représailles, de bombes et de bombardements, de démolitions de maisons et d’expulsions et, par-dessus le marché, des fermetures d’usines, des licenciements massifs, un désastre économique. Un véritable enfer.

Mes collègues au pays appelaient pour me raconter un événement passionnant : le matin, Haaretz avait publié en première page une nouvelle terrifiante : « Gush Shalom a menacé des officiers : nous collectons des éléments contre vous pour La Haye. » (C’est le titre original en hébreu. Dans l’édition anglaise de Haaretz, c’était un ton légèrement en dessous.)

Quand il a appris la nouvelle, m’a-t-on dit, le Premier ministre a ordonné à son obéissant serviteur, le Procureur général, d’engager des poursuites criminelles contre nous. Le ministre de la Justice, Meir Shitreet, un politicien de troisième rang, a déclaré que nous étions une « cinquième colonne ». Le ministre de la Communication, Rubi Rivlin, considéré par beaucoup comme un clown, a affirmé solennellement que « c’est une trahison ! »

Un grand nombre de politiciens et de commentateurs ont commencé une campagne de lynchage. Des expressions comme « traîtres », « indicateurs », « Kapos » (la police juive des camps de concentrations nazis), « judenrat » (les comités juifs désignés par les nazis dans les ghettos) ont été répandues.

Il y avait, évidemment, une bonne raison à tout ce vacarme.

Au début de l’année, le mouvement de la paix Gush Shalom, comme de nombreuses personnes en Israël et à l’étranger, a décidé qu’on ne pouvait plus continuer de se taire sur le fait que, au cours des opérations des FID dans les territoires occupés, des actes atroces, violant à la fois le droit israélien et le droit international, étaient commis. Certains apparaissaient comme des crimes de guerre. Nous, à Gush Shalom, avons décidé qu’il était de notre devoir, en tant que citoyens israéliens qui portons la responsabilité des actes de notre gouvernement et de notre armée, d’élever notre voix et de lancer un avertissement pressant.

Le 9 janvier, nous avons organisé un colloque sur les crimes de guerre dans une grande salle à Tel-Aviv. Plusieurs professeurs de droit international et deux officiers supérieurs (retraités) étaient à la tribune. Un des orateurs était un héros de guerre, le colonel d’aviation Yigal Shohat, dont l’avion avait été descendu au-dessus de l’Egypte et qui avait perdu une jambe. D’une voix tremblante d’émotion, il a appelé ses camarades, les pilotes de combat, à refuser d’obéir aux ordres illégaux, comme le bombardement de quartiers civils.

Toutes les chaînes de télévision et les stations de radio ainsi que les deux principaux journaux avaient ignoré le colloque, auquel ils avaient été invités. Il était clair que tous les médias engagés avaient décidé de ne pas parler du problème des crimes de guerre.
Cela est devenu tout à fait clair quand nous avons demandé à Kol Israel, le réseau des radios publiques, de diffuser une annonce payante, informant les soldats qu’ils devaient refuser d’obéir à des « ordres manifestement illégaux » - reproduisant littéralement le libellé du jugement du tribunal militaire après le massacre de Kafr-Kassem de 1956. Kol Israel a refusé de la diffuser. Nous avons demandé à la Cour suprême d’ordonner à l’Autorité de l’Audiovisuel de diffuser la publicité, mais la Cour a répondu qu’elle n’était pas compétente pour cela.

Donc nous avons décidé d’engager une action directe. Nous avons distribué parmi les soldats un petit manuel exposant les interdictions de la Convention de Genève signée par Israël. Parmi celles-ci : les exécutions sans procès (appelées « liquidations »), les tirs sur des civils non armés, la torture, l’obstruction aux soins médicaux, l’assassinat de blessés (appelé « vérification du décès »), la famine provoquée, la déportation.
« Protégez-vous contre des poursuites à l’étranger ! », disait le manuel, « En tant que soldat d’une armée d’occupation, vous êtes particulièrement exposé à des poursuites pour crimes de guerre. Si vous respectez strictement les conseils du manuel, vous serez à l’abri de poursuites à l’étranger ! »

Le manuel concluait : « Soldat, souvenez-vous ! Pendant votre service militaire, que ce soit en service normal ou comme réserviste, vous devez refuser les ordres manifestement illégaux. Si vous avez été témoin d’un crime de guerre, votre devoir vous oblige à le signaler ! »

En même temps, nous avons envoyé des lettres individuelles à certains commandants et les avons avertis que leur action pourrait conduire dans l’avenir à leur comparution devant un tribunal israélien ou international. (Il n’y a pas de délai de prescription sur les crimes de guerre.) Dans les lettres, nous nous sommes appuyés seulement sur des faits publiés dans les médias, particulièrement sur des actions revendiquées par des officiers qui, ainsi, s’incriminaient pratiquement eux-mêmes.

Des copies ont été envoyées aux médias qui, tous, ont occulté l’information, de même qu’au responsable juridique de l’armée, qui n’a pas réagi.

Nous avons averti ces officiers supérieurs que les informations collectées par nous seraient mises à la disposition d’un tribunal israélien si, un jour ou l’autre, les tribunaux commençaient à remplir leur devoir, ou - en dernier ressort - à la Cour pénale internationale de La Haye.

On peut supposer que c’est un de ces officiers qui a donné l’information sensationnelle au correspondant militaire de Haaretz. Le journal libéral, qui, jusqu’à ce jour, avait ignoré toute l’information sur notre action comme sur presque toutes les activités des mouvements de la paix, a publié cette histoire à la une en gros titre.

Le résultat a été un déluge de diffamations. Les lignes téléphoniques des militants de Gush Shalom ont été inondées d’insultes et de menaces de mort. Les débats radiophoniques rivalisaient pour faire venir au micro les extrémistes les plus fanatiques, avec des présentateurs qui les poussaient et les soutenaient ouvertement. Les militants du Gush ont été subitement invités à des interviews à la télévision et à la radio, où ils se sont trouvés face à des animateurs qui se conduisaient comme des policiers interrogeant des prisonniers dans une cave du Shin-Beth.

Parmi les insultes qui nous étaient lancées, la plus édifiante était « indicateur ». Elle appartient au vocabulaire du ghetto. Quand les Juifs étaient une communauté sans défense exposée à la cruauté des autorités des « Gentils », un Juif qui dénonçait au autre Juif aux Goys était considéré comme le plus lâche des lâches. Le fait que ce mot soit utilisé aujourd’hui, 54 ans après que nous ayons eu notre Etat, alors que nous avons une des armées les plus puissantes du monde, montre que beaucoup dans notre pays vivent encore dans le monde du ghetto. En vérité il semble qu’il soit plus facile de sortir les Juifs du ghetto que de sortir le ghetto de certains Juifs. Les juges de la Cour pénale internationale leur fait penser à une bande de cosaques ivres qui tentent d’organiser un pogrom.

Notre but est, évidemment, la prévention. Nous voulions éveiller la conscience des officiers et des soldats sur ce sujet. Nous espérions qu’eux et leurs collègues prendraient en considération la question des crimes de guerre quand ils bâtiraient leurs plans, que nous leur fournirions la plume qui ferait pencher la balance au moment de la décision. Nous étions résolus à porter ce problème sur la place publique afin de mettre la pression sur les dirigeants politiques et militaires.

En fait, la campagne lancée contre nous a servi ce projet. Depuis une semaine maintenant les crimes de guerre sont devenus le sujet central en Israël. Aucun officier ni aucun soldat ne peut plus éviter que ses actions et ses fautes dans les territoires occupés ne soient regardés avec attention. Beaucoup d’entre eux ont pris conscience pour la première fois de ce que sont les crimes de guerre et combien ils peuvent affecter leur propre vie.

A partir de maintenant, ce sujet ne quittera pas l’ordre du jour.

Article original sur le site Uri Avnery et Gush Shalom


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