L’affaire Madoff contient encore de nombreuses zones d’ombre
LE MONDE | 01.01.09 | 13h20 - Mis à jour le 01.01.09 | 13h20
NEW YORK CORRESPONDANT
Par sa dimension et les énigmes multiples qui l’accompagnent, l’escroquerie géante organisée par financier Bernard Madoff suscite de plus en plus d’incrédulité et de suspicion - la première générant la seconde. Incrédulité : où est l’argent ? On ne perd pas jusqu’à 50 milliards de dollars soit 35,8 milliards d’euros - chiffre donné par l’intéressé - sans laisser de traces. Suspicion : on ne peut maquiller des comptes de cette envergure, tromper ses investisseurs et abuser les autorités de contrôle, en agissant "seul", comme l’a prétendu M. Madoff originellement. Surtout, on ne peut pas gérer une fraude "pyramidale" sur une aussi longue période (dix ans au moins, peut-être plus) sans bénéficier de complicités internes (des proches collaborateurs au sein de son fonds BMIS) et externes (financiers-relais et complaisance des régulateurs, donc de l’échelon politique).
Rien, pour l’heure, n’étaye publiquement ces soupçons, hormis leur logique. Mais David Kotz, l’enquêteur nommé sur l’affaire Madoff par la Securities and Exchange Commission (SEC), le contrôleur des marchés financiers new-yorkais, sera interrogé, lundi 5 janvier, par la sous-commission des marchés des capitaux de la Chambre. Le sera également Harry Markopolos, un ex-gestionnaire de fonds spéculatif qui, soupçonnant une vaste fraude, avait alerté la SEC dès 1999 sans qu’aucune des enquêtes qu’elle avait ensuite menées n’aboutisse à la moindre mesure concernant les opérations de BMIS.
EVASION FISCALE
Quel est le montant réel de la fraude ? M. Madoff a évoqué 50 milliards de dollars. Selon un relevé minutieux réalisé par l’agence Associated Press, la totalité des sommes que ses clients disent avoir perdues n’atteint à ce jour qu’un peu plus de 30 milliards. Les enquêteurs avaient donné à M. Madoff jusqu’au 31 décembre 2008 pour leur fournir la liste de tous ses biens et avoirs personnels. Le délai a été respecté, mais la justice américaine n’a pas autorisé que cet inventaire soit rendu public. Les enquêteurs veulent surtout savoir les lieux où les sommes encaissées par BMIS sont ou ont été déposées. Le FBI soupçonne que certains de ses investisseurs - institutionnels mais aussi organismes caritatifs - aient pu être de mèche avec lui pour faire évader leurs capitaux vers des paradis fiscaux.
Le New York Times, qui a révélé l’information, rappelle que les sites offshores ont joué un rôle clé dans des effondrements frauduleux récents, tels ceux du fonds Bayou Management, en 2005, ou de la société Enron, en 2001. Les autorités de régulation américaines ont décelé "au moins une douzaine" de ces entités en relation avec BMIS. Certaines y ont été créées par des investisseurs de M. Madoff, comme les américains Fairfield Greenwich Group, qui prétend avoir perdu 7,4 milliards de dollars dans l’effondrement de BMIS, et Tremont Group Holdings (3,3 milliards de dollars de pertes annoncées). Le quotidien new-yorkais cite aussi des banques suisses : l’Union bancaire privée et Banc Benedict Hentsch.
Les "misères" de M. Madoff ne s’arrêtent pas là : une de ses employées de maison a signalé la semaine dernière le vol, dans sa propriété de Palm Beach, en Floride, de deux statuettes en cuivre d’une valeur de 10 000 dollars...
Sylvain Cypel
Article paru dans l’édition du 02.01.09