RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

L’escargot zapatiste, la peur et la pluie

photo diariomeridiano90.blogspot.com/

Les crêtes voisines, hérissées de sapins, font inévitablement penser aux dessins des enfants d’ici. Pour mieux exorciser, probablement, la menace lancinante des hélicoptères et des blindés de l’armée fédérale mexicaine, les gosses plantent un peu partout, cachés derrière les lignes de montagnes ou dans l’épaisseur des taillis, des petits bonhommes et bonnes femmes portant le passe-montagne de l’EZLN.

Depuis l’est, de lourds nuages gris ont surgi tout à coup, et fondu sur Oventik. Mais la pluie a tardé. Comme pour nous laisser le temps, cette fois, de finir le travail collectif dans le chomtik. Tant mieux, cette activité est toujours un vrai plaisir, parsemé de petites découvertes, de moments de franche rigolade. Il s’agit d’achever le nettoyage des mauvaises herbes qui viennent manger le pain du maïs. En tâchant de ne pas abîmer les plantes amies, les aromatiques, l’amour en cage, les haricots qui grimpent sur les tiges déjà hautes et, bien sûr, tapies sous leurs larges feuilles, deux ou trois variétés de calebasses. En évitant également de trancher le cou ou une patte des poulets et des jeunes dindons venus ramasser les vers offerts à l’avidité de leurs becs par l’énergie des sarcloirs. Un dernier répit, le temps de remiser les outils dans la cabanne de planches, et l’averse se répand, avec une vigueur généreuse, sur le caracol. Il nous faudra pourtant tout à l’heure monter jusqu’à la clinique, tout près de la route, pour participer à la séance d’étude collective. La nuit tombe rapidement. En passant à côté de la grande salle de réunion, elle aussi en planches, mais couverte de peintures à la mémoire de l’immortel Zapata, ou rendant hommage à la plante sacrée du maïs, nous pouvons entendre la rumeur, percée d’éclats de rire et d’applaudissements, d’une foule nombreuse. Nous ne l’avons pas vue arriver, et ne soupçonnions pas qu’un meeting de cette ampleur allait se tenir ce soir...

On ne dira probablement jamais assez la brutalité de la guerre furtive menée contre les communautés indigènes zapatistes du Chiapas. Une offensive doublement criminelle, puisqu’à la puissance du déploiement militaire (une partie des blindés de l’armée mexicaine sont « made in France », ça fait toujours quelques emplois dans l’hexagone !), elle joint une intense politique de division de la population. La paramilitarisation, l’organisation de civils en bandes armées, sous le contrôle étroit de l’armée et des partis qui se partagent le pouvoir au niveau local, régional et national (PAN, PRI et PRD principalement), se poursuit systématiquement au Chiapas, comme dans les autres régions à forte densité de population indigène. Ses aspects sont multiformes : implantation de projets touristiques, qui font miroiter la création d’emplois et l’arrivée massive de devises dans des endroits où les sols cultivables sont l’enjeu d’une dispute impitoyable entre paysans traditionnels et entreprises agro-alimentaires ou agro-industrielles. Programmes gouvernementaux de « redistribution » des terres récupérées en 1994 à la faveur du soulèvement zapatiste. Une redistribution consistant à proposer gratuitement des titres de propriété individuelle sur ces terrains, dont le statut avait été gelé après le cessez-le-feu. On sait que la culture indigène rejette formellement la notion de propriété privée de la terre, et donc son achat ou sa vente. La survie et l’épanouissement de cette culture (de la vie, telle que la comprennent les femmes et les hommes ici) repose en effet sur une gestion collective de la « Terre Mère », au sein de l’organisation égalitaire et horizontale de chaque communauté. On déduit facilement le caractère empoisonné de ces cadeaux. Outre les trusts de l’agro-industrie, des compagnies chimistes ou minières internationales, des agences de tourisme et des entreprises immobilières ou de travaux publics sont à l’affût. Ces régions du Chiapas (dont le regretté André Aubry a ébauché une histoire passionnante) sont parmi les plus riches de la planète, sur le plan de la biodiversité, et leur sous-sol regorge de trésors.

La liste des agressions locales, elles-mêmes insérées dans une stratégie globale, ne cesse donc de s’allonger, et les conflits s’enveniment. Autour du caracol de Roberto Barrios, dans les régions zoque et chol non loin des ruines de Palenque, le territoire de la communauté de Choles de Tumbalá fait l’objet d’une âpre dispute entre les paysans et les gros propriétaires fonciers. Dans la forêt Lacandone, le prétexte de la « conservation de la nature » est employé pour livrer un territoire immense aux appétits des entreprises mondiales (dont celles de l’Union Européenne, grâce au programme Prodesis), qui cherchent à en exploiter les richesses tout en achetant le droit de polluer, avec le système des « puits de carbone ». Dans la région d’Agua Azul, l’exploitation touristique (rebaptisée « écotourisme ») des superbes cascades d’eaux bleues justifie la tentative d’expulsion des communautés zapatistes, dont les membres veulent continuer à vivre du travail de la terre, et refusent aussi bien la transformation en larbins des visiteurs des pays du nord, que l’émigration massive qu’entraìne fatalement la disparition de l’agriculture de subsistance. Plus au sud, à Nuevo Momón, c’est une coopérative de café liée au « commerce équitable », Cafés de la Selva, que les autorités ont utilisée pour essayer de chasser les zapatistes des terres récupérées. Enfin, dans les Hautes Terres des tsotsil , le conflit s’accentue aux portes mêmes de San Cristóbal, à Zinacantán, où les autorités locales perredistes (le PRD, parti de Andrés López Obrador, prétend représenter une alternative électorale de gauche dans tout le pays) mènent une politique discriminatoire et brutale contre les familles zapatistes minoritaires, parce que celles-ci refusent de se soumettre à l’arbitraire de l’état. A Huitepec, montagne qui constitue la principale réserve en eau de la capitale des Altos, le contentieux entre les zapatistes, qui ont établi une réserve indigène afin d’en empêcher le pillage et la destruction par une série d’entreprises (dont Coca Cola), et le président municipal, soumis à ces intérêts, n’est toujours pas réglé. Enfin, à Cruzton, dans le municipio de Venustiano Carranza, une entreprise minière canadienne manoeuvre pour obtenir l’expulsion de ces terres récupérées d’une communauté de 28 familles. Le 22 juillet, les policiers, sous les ordres du fiscal du district, un certain Señor Carbonel, ont brutalement attaqué les habitants. Pour la première fois, ils ont tenté d’arrêter des observateurs internationaux, heureusement défendus par les femmes du village. Ledit Sr Carbonel a procédé à un simulacre d’exécution, appuyant un pistolet sur le front de Victor Manuel Escobar, instituteur membre de l’Autre Campagne de San Cristóbal, et déchargeant l’arme après l’avoir déviée de sa trajectoire.

Les zapatistes, face à ces agressions, restent pourtant calmes et sereins. A ceux qui les interrogent sur leurs chances de pouvoir résister longtemps encore au rouleau compresseur de la machine capitaliste, ainsi qu’à la violence cynique d’un état de plus en plus militarisé (chaque semaine, plusieurs dizaines de personnes sont assassinées au Mexique, dans le cadre de la féroce guerre que se livrent les gangs du narco-trafic ; une guerre à laquelle les forces de sécurité, la hiérarchie policière et militaire participent pleinement, non pour réprimer le trafic, mais pour y participer (1) et s’y tailler la part du lion), ils répondent invariablement.

D’une part, qu’ils n’envisagent pas d’autre attitude que la résistance. Résister, c’est vivre (tsivokol ja’ kuxlej), lit-on sur les murs de l’école secondaire rebelle zapatiste autonome du caracol d’Oventik. D’autre part, même s’ils savent leur ennemi bien plus puissant qu’eux, momentanément en tout cas, ils rappellent que l’entreprise de destruction de leur culture a commencé voici très longtemps, cinq siècles au moins. Et qu’ils sont toujours là . Oyoxuk li-i..., Aquà­ estamos...Nous sommes toujours là ...

« Chez nous, disait l’autre jour un jeune zapatiste, la crainte de disparaître n’existe pas. Quand Marcos dit que nous n’avons pas peur de mourir, car nous sommes la pluie, il ne délire pas du tout. Dans nos langues, le « je » se dit « moi, la pluie » (« jo’on », en tsotsil). Le « nous », c’est aussi « nous, la pluie », etc. Tant qu’il y aura de la pluie, donc…

C’est dans notre culture, nos traditions, notre langue, que nous puisons le principal de la force qui nous pousse à aller de l’avant. A ne pas avoir peur, à résister ».

Dans les sociétés « avancées », la peur (du terrorisme, des Arabes, des Juifs, de Sarkozy, du chômage, du chef, du voisin, de l’Autre, de la pollution, de la maladie, du démantèlement de la Sécurité Sociale (2), de soi-même...il n’y a guère que Michel Drucker qui ne fasse pas peur, en Europe) accompagne en permanence les individus isolés que nous sommes devenus, dans ce chacun pour soi général.

Peut-on imaginer qu’un jour nous soyons capables d’aller chercher dans notre histoire, dans la culture de nos ancien-ne-s, dans nos langues, dans nos paysages, les raisons ou les moyens de retisser des liens solides, de résister, de cesser d’avoir peur ?

Ja’ jlo-il, c’est tout pour aujourd’hui. Dans une prochaine livraison, viendra le compte rendu d’une discussion (avec de jeunes zapatistes) sur les notions de progrès et de développement...

Jean-Pierre Petit-Gras

27/07/2008

(1) La répression est réservée aux mouvements sociaux, particulièrement aux plus déterminés d’entre eux. Hier, on apprenait l’assassinat de Miguel à ngel Gutiérrez, universitaire lié aux résistances indigènes dans le Guerrero. Gageons que la lumière tardera longtemps à se faire, du côté officiel.

(2) Dans les communautés zapatistes, la "sécu" c’est la solidarité avec les malades et les personnes âgées, organisée et gérée collectivement par les habitants eux-mêmes. Pas plus que dans les autres domaines (éducation, santé, justice), on ne délègue ici les tâches essentielles.

»» Article Original : http://cspcl.ouvaton.org/article.php3++cs_INTERRO++id_article=584
URL de cet article 6952
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

La rose assassinée
Loic RAMIREZ
Vieilles de plus de 50 ans, souvent qualifiées par les médias de narco-terroristes, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), restent avant tout une organisation politique avec des objectifs bien précis. La persistance de la voie armée comme expression ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’Histoire du groupe insurgé. En 1985, s’appuyant sur un cessez-le-feu accordé avec le gouvernement, et avec le soutien du Parti Communiste Colombien, les FARC lancent un nouveau parti politique : (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.