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Conférence du FBI sur le terrorisme au coeur du pays

Gros plan sur Big Brother

Kellman projetait des diapos avec des titres en rouge, et des lettres capitales en italiques comme dans la presse populaire, avec parfois des images insoutenables (dont aucune n’illustrait du bioterrorisme), utilisait des expressions comme "des agents qui présentent des menaces multiples" et parlait du besoin de rassembler des "données quantitatives massives" sur les habitudes des gens qui pourraient actuellement être exploitées grâce au "data mining" (extraction de connaissances à partir de données - ECD), si seulement les autres pays avaient la même volonté d’espionner que l’Amérique. (Faisant faiblement écho à Donald Rumsfeld, l’ancien secrétaire à la Défense, il a dit : "Comment savons-nous que nous ne savons pas ?").

(Nota bene : les liens dans le texte ont été rajoutés par le traducteur)

C’était la première fois qu’on me demandait de présenter mon permis de conduire pour parler à une conférence, mais n’étant pas du genre à faire des histoires (surtout à cette conférence), j’ai tendu docilement mes papiers à la femme chargée d’enregistrer les invités. Elle a scanné le document, puis a regardé son écran un instant, et souriant enfin, elle a annoncé : "Il est authentique". Elle m’a ensuite désigné le grand porte-carte noir que j’étais censé porter autour du cou. Il portait l’inscription : "FBI, 3° Symposium international sur l’agroterrorisme".

Pour la troisième année consécutive, les participants à cette manifestation à Kansas City étaient tous bien habillés et pas un seul recoin ne laissait la moindre chance à un attentat bioterroriste majeur.

La succession interminable des diapos PowerPoint montrait inlassablement les menaces que le commerce mondial, avec l’aide de Mère Nature, faisait planer sur notre alimentation, les cultures et les animaux. Il y avait pléthore de prédictions sinistres, et pléthore de solutions appropriées.

Il suffit, semble-t-il, qu’il y ait davantage d’ingérence de l’Etat dans nos vies privées et davantage de contrôle de notre alimentation par les entreprises.

"Comment savons nous que nous ne savons pas ?"

L’institution qui lutte contre l’agroterrorisme a pour objectif de réunir toutes les données dont elle peut s’emparer (des données qui recouvrent beaucoup plus que les cas de fièvre aphteuse du bétail ou les projets de fabriquer une bombe avec des pesticides). Son but est de créer une banque de données qui contiendrait les plus infimes détails de la vie humaine : ce que nous achetons, ce que nous mangeons, et quand et pourquoi nous allons chez le médecin ou à l’hôpital.

John Hoffman du département de la Sécurité Intérieure ("Department of Homeland Security") a présenté un exposé typique. Il a évoqué le système de biosurveillance (National Biosurveillance Integration System) qui partage "les données interdomaines avec le secteur privé" et contrôle les registres pharmaceutiques et les admissions aux urgences, système créé officiellement pour être averti très tôt des risques de " bio-accidents".

Grâce à un autre système de biosurveillance"(Biosurveillance Common Operating Picture"), les agences du maintien de l’ordre de tout le pays obtiendront des renseignements sur ces "bio-accidents", mais, ajoute Hoffman, "les hauts responsables au niveau national auront bien entendu davantage d’informations que nous autres".
Individuellement, la plupart des conférenciers du colloque n’avaient apparemment pas de funestes desseins. Ils semblaient en général motivés par le souci légitime de protéger la santé et la sécurité publiques.

Mais tous ensemble, en tant qu’éléments d’une bureaucratie envahissante conçue pour faire face à une calamité hypothétique, ils finissent par faire froid dans le dos.
Et au cours de son exposé, Barry Kellman, un des conférenciers, a réussi à incarner tout ce qu’il y avait à la fois de terrifiant et de sinistre dans ce symposium.

Le professeur Kellman de DePaul University, conseiller spécial d’Interpol, l’organisation internationale de police criminelle, a débuté son exposé en nous disant qu’il n’y a absolument aucun doute que des menaces terroristes pèsent sur nos réserves alimentaires, que les terroristes ont des projets en cours pour lesquels nous ne sommes hélas pas préparés. D’un ton théâtral, Kellman a promis de fournir d’abondantes preuves de ces complots, puis a parlé une heure entière sans citer un seul exemple, à part une vague déclaration prise sur un site web jihadiste.

La "communauté" des services secrets mondiaux doit, explique Kellman, "relever les anomalies", tels les achats d’articles de quincaillerie comme les Kärcher (aucune explication sur ce point) et être en mesure de "surveiller les hôpitaux et les dispensaires locaux" partout dans le monde. Interpol, d’après Kellman, a "actuellement engagé des pourparlers" avec l’OMS pour réunir des données sur la santé publique qui pourraient servir au "maintien de l’ordre" durant les périodes troublées (ce qui, fait-il remarquer, peut s’avérer difficile parce que "les groupes victimes de discrimination y verront peut-être du harcèlement").

Quand les poulets sont interdits, seuls les criminels élèvent des poulets.

Le H5N1, souche de la grippe aviaire, figurait parmi les sujets-phares du programme du colloque à cause de sa capacité à tuer des êtres humains et à nuire à l’économie. Le docteur Kristy Pabilonia de Colorado State University a présenté un panorama complet de cette maladie, montrant des images horribles de piles d’oiseaux morts des suites de la maladie à Hong-Kong, des "wet markets" (marchés de produits frais) en Indonésie où la volaille est vendue vivante et tuée sur place, et des statistiques qui indiquent que 2/3 des personnes qui contractent la maladie en meurent.

Elle a fait son exposé un peu avant l’heure du déjeuner, qui offrait le choix entre un plat de pâtes sans viande et du poulet grillé.

La préférence pour le plat végétarien a, semble t-il, été bien plus marquée qu’elle ne l’aurait été normalement avec ce genre de public.

Le lendemain, nous avons assisté à la projection d’un film habilement réalisé sur la grippe aviaire qui soulignait que les risques de contracter la maladie pour les êtres humains sont très faibles aux Etats-Unis parce que nos volailles sont élevées dans des "zones de bio-confinement dûment contrôlées et règlementées".

Ils parlaient de ce que vous et moi appellerions communément des "élevages industriels". Entasser des milliers de poulets ou de dindes dans des bâtisses en tôle toute leur vie ne les isole certainement pas d’oiseaux sauvages porteurs du virus, ni des êtres humains. Mais aussi, cela signifie que si une seule de ces volailles était contaminée, cela entraînerait rapidement la mort d’un nombre incalculable d’autres volatiles.

Ce genre de "zone de bioconfinement" peut être aussi efficace qu’un incubateur.
L’organisation Consumer Reports, qui a analysé l’année dernière des poulets à rôtir, a découvert que 83% d’entre eux portaient des traces de campylobacter ou de salmonelle, les principales bactéries responsables d’empoisonnements alimentaires.

"Il s’agit là d’une augmentation stupéfiante depuis 2003, où nous avions constaté que 49% des poulets contenaient l’une de ces bactéries ou les deux à la fois."

Le film projeté à la conférence soulignait que dans les régions d’Asie touchées par la grippe aviaire, le "problème principal, c’était les volailles élevées dans les petites exploitations agricoles" et que la centralisation de l’élevage de la volaille était nécessaire. Ont également été évoquées les inquiétudes que suscitait l’augmentation aux Etats-Unis des élevages de poulets destinés à la consommation familiale qui sont apparus à la suite d’une plus grande diversité culturelle et de l’engouement pour les produits naturels.

A l’issue de la projection, certains participants se sont demandé si le prétexte d’une menace agroterroriste n’entraînerait pas, à terme, et dans un avenir relativement proche, l’interdiction de la production de volailles fermières.

"Quand tout le monde est terroriste, plus personne ne l’est"

On se souvient que, dans son discours de démission en 2004, Tommy Thompson, le ministre de la santé a déclaré "Je n’arrive absolument pas à comprendre pourquoi les terroristes ne s’en sont pas pris à nos réserves alimentaires. C’est pourtant facile à réaliser."

A la conférence, David Acheson, porte-parole du secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques (FDA, Food and Drug Administration) a reconnu honnêtement que notre système alimentaire extrêmement concentré et dépendant des importations était en effet une proie facile. Il a indiqué que 80% des produits de la mer et entre 50 et 60% de nos produits frais sont importés, ce qui engendre un travail énorme pour les services de contrôles aux frontières. "Il est absolument impossible d’arriver à tout contrôler", a-t-il déclaré.

Acheson a expliqué qu’il y a à peine quelques années en arrière, presque toute la salade verte croquante s’achetait à la pièce, et si elle contenait des bactéries, cela n’affectait éventuellement qu’une famille tout au plus. Maintenant les feuilles de ces salades contaminées sont triées mécaniquement, mélangées dans un certain nombre de sachets de salade toute prête ("pas que ce soit une mauvaise chose", s’est-il empressé d’ajouter) et finalement réparties dans des centaines de foyers qui peuvent être contaminés.

Le gouvernement fédéral veut bien reconnaître l’existence de tels risques dans une conférence du FBI sur le terrorisme mais refuse d’envisager d’organiser une conférence pour débattre du rôle que joue la production agroalimentaire industrielle dans la création de ces risques.

Les fédéraux continuent de manifester un très vif intérêt pour ceux qu’ils appellent les "écoterroristes". Même si aucun de ceux ainsi surnommés n’a jamais menacé de s’attaquer à la production agroalimentaire, ni de porter atteinte à la santé d’êtres humains ou d’animaux, ni de commettre des actes de bio-/agro terrorisme, une session du colloque sur l’écoterrorisme a attiré un très large public, venu écouter Brenda Sinko, responsable au FBI de l’ "écoterrorisme".

Sinko a principalement cité comme exemples le Front de libération de la Terre, le Front de Libération des Animaux, et d’autres organismes radicaux qui détruisent les biens privés ou libèrent des animaux et, qui, il me semble, devraient être poursuivis pour faits de vandalisme par les autorités de leur état ou de leur localité.

Or, ces personnes relèvent du droit pénal fédéral car, dans l’esprit du FBI, ils "exercent une coercition sur la population" pour en retirer des "gains politiques ou sociaux".
Sinko a été, en fait, plutôt honnête vis-à -vis des groupes ou des individus dont elle contrôle les activités, disant qu’ils font tout pour éviter de tuer ou de blesser des êtres humains ou des animaux, et quand ils libèrent des animaux des centres de recherche, ils s’abstiennent d’ouvrir les cages étiquetées "animaux contaminés".

Mais au cours du débat, il s’est avéré que Sinko n’était pas allée assez loin. Les participants ont suggéré les noms d’une multitude d’autres associations à traquer, depuis "Humane Society" jusqu’à "People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), en passant par les "gangs" de rue.

Sinko a expliqué patiemment que les associations qui ne transgressent pas les lois ne peuvent pas être poursuivies et que celles qui le font ne relèvent pas du terrorisme si elles n’ont pas commis de crime répertorié au niveau fédéral et que l’accusation tient compte non pas de l’acte, mais des idées et des fréquentations.

Si vous commettez un délit pour de l’argent, vous êtes simplement considéré comme un criminel, mais si vous faites cela à "des fins politiques ou sociales", vous êtes considéré comme un "extrémiste" et éventuellement un "terroriste". L’équipe de Sinko ne s’intéresse qu’à ses derniers.

Et on n’a aucune envie de susciter leur intérêt. Il y a un an, lors du procès de dix personnes accusées d’avoir détérioré les biens de négociants en bois, de concessionnaires de 4x4 et d’autres commerces, les procureurs fédéraux réclamaient une condamnation pour actes de "terrorisme" ("terrorism enhancement") - ce qui aurait pu leur valoir jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle supplémentaire. Les membres du groupe ont été condamnés à des peines allant jusqu’à treize ans d’emprisonnement.

Le conseil national des avocats a dénoncé les demandes d’alourdissement de peines pour actes de terrorisme concernant de tels délits. Le directeur de l’association a déclaré : "Est-ce cela un terroriste ? Porter des accusations de terrorisme pour des crimes concernant les biens privés alors que ceux qui les ont commis ont tout fait pour réduire au maximum les risques d’attenter à des vies humaines, c’est absurde, que ce soit en matière de droit ou de sens commun".

Lauren Regan, du Centre pour la Défense des Libertés des Citoyens à Eugene, Oregon a dit la même chose mais plus succinctement : "Quand tout le monde est terroriste, plus personne ne l’est".

Agir sans l’aide de terroristes

L’attentat à la bombe en 1995 dirigé contre l’immeuble fédéral d’Oklahoma City pourrait être considéré comme un acte d’agroterrorisme dans la mesure où Timothy McVeigh et ses amis avaient employé pour fabriquer leur bombe des produits qu’on utilise couramment dans l’agriculture (du diesel et des engrais chimiques). Mais dans un rapport intitulé "La menace croissante des produits chimiques utilisés en agriculture", rédigé par Janet Moser et David Reed du Département de Sécurité Intérieure, ces armes potentielles n’ont guère été évoquées.

Moser et Reed se sont surtout étendus sur l’éventuelle utilisation de pesticides comme armes terroristes (d’ailleurs, le secteur des pesticides et celui des armes chimiques étaient autrefois étroitement liés), et leur discours était très persuasif. Alors, qu’il ne m’ont pas convaincu, moi, que des terroristes sont prêts à m’assassiner avec du 2,4 D (http://fr.wikipedia.org/wiki/Agent_orange) (du moins, pas plus que le gars qui vient tondre la pelouse chez mon voisin), ils ont fourni des preuves très convaincantes que les pesticides sont toxiques et dangereux. J’espère que les autres responsables fédéraux de l’assistance ont reçu le message cinq sur cinq.

On a encore eu droit à plein d’autres exposés, sur des sujets attrayants comme "la contamination des réserves d’eau par la salmonelle", "la menace d’épidémie de rouille noire qui pèse sur le blé" (http://www.lefigaro.fr/sciences/200...), et mon titre préféré "tirer profit des produits alimentaires dangereux". Mais, à part les propos du professeur Kellman, il n’y avait rien pour inspirer véritablement un brave soldat de la Guerre contre le Terrorisme.

Tout cela contrastait avec la Conférence sur la Défense et l’Espace à laquelle j’ai assisté en automne dernier, où les conférenciers et les auditeurs étaient galvanisés par la destruction volontaire de la Chine de son satellite météo. C’était un sacré avertissement dirigé contre le programme spatial américain, et donc, quand les conférenciers parlaient de leurs souhaits de se livrer à davantage de surveillance et d’espionnage, ils avaient au moins un "incident" auquel se référer.

Le symposium du FBI a au moins servi à démontrer que Tommy Thompson avait raison : il serait facile de s’attaquer au système agroalimentaire américain. Mais l’expérience montre que les terroristes choisissent des cibles non pas parce qu’elles sont faciles mais parce qu’elles offrent un spectacle sanglant.

Nous n’avons nul besoin de l’aide des terroristes pour détruire notre production alimentaire ou notre constitution, notre gouvernement et les entreprises privées s’en chargent tout seuls.

Par Stan Cox
Publié le 15 mai 2008

Stan Cox est l’auteur de "Sick Planet : Corporate Food and Medicine" (Pluto Press, 2008).

Notes :

Stan Cox explique dans les notes en bas de page :

"Bizarrement, j’ai été invité à faire un exposé à ce Symposium, en remplacement d’un collègue plus connu que moi.

Cette manifestation se tient tous les ans à Kansas City. Cette année, c’était du 22 au 24 avril.

Mon intervention devait porter sur l’impact des biocarburants sur les réserves alimentaires mondiales. Je ne voyais pas bien le lien avec le terrorisme, sauf que le fait que nous pensions à donner de la nourriture à nos voitures alors qu’il y a des gens qui meurent de faim pourrait rendre notre pays encore plus impopulaire, si c’est possible."

Traduction : emcee pour le Grand Soir

»» Article original sur CounterPunch
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Avec une animosité obstinée, certains dénigrent encore cette époque - ceux qui savent que pour tuer l’histoire, il faut d’abord lui arracher le moment le plus lumineux et le plus prometteur. C’est ainsi que sont les choses, et c’est ainsi qu’elles ont toujours été : pour ou contre les années 60.

Ricardo Alarcon,
président de l’Assemblée Nationale de Cuba
Allocution lors de l’inauguration de la statue de John Lennon à la Havane, Décembre 2000

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