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Mondialisation

Une catastrophe pas du tout naturelle

Il arrive que nous restions muets devant le malheur, quand il surgit des entrailles de la terre : une éruption volcanique, une vague géante qui submerge des villages et emporte des milliers de vies humaines. C’est ce qu’on appelle une catastrophe naturelle, souvent imprévisible. Mais rien n’est moins naturel que la catastrophe qui frappe depuis quelques jours Haïti, l’Égypte, le Bangladesh, la Guinée, le Maroc, la Mauritanie, le Mexique, le Sénégal, et jette dans les rues des milliers d’affamés.

Elle est le prolongement désespérant de l’ordre habituel du monde. Rien n’est plus inhumain et rien donc n’est plus humain. Tout était prévisible. Voici presque un an, Politis publiait, il faut bien le dire, dans l’indifférence générale, un cahier spécial qui annonçait ce qui arrive aujourd’hui. Une phrase barrait la première page du dossier : « Comment la production d’agrocarburants prépare une catastrophe humaine » [1]. Ce jour-là , sous le titre « L’escroquerie colonialiste des agrocarburants », notre ami Patrick Piro écrivait : « Le développement rapide des carburants issus de végétaux bouleverse l’agriculture mondiale et menace la sécurité alimentaire ainsi que les droits sociaux des pays du Sud. » Avec les émeutes de la faim, nous y sommes aujourd’hui. Et peut-être plus vite que prévu. On me pardonnera ces citations. Nous étions peu, mais nous n’étions évidemment pas seuls à tenter d’alerter l’opinion. Les Verts européens, autour d’Alain Lipietz, venaient de tenir un colloque sur la question. Mais ainsi va le système, toujours jusqu’au bout de sa logique, sourd et aveugle aux alertes.

La crise d’aujourd’hui, dont on ne peut évidemment mesurer ni la durée ni les conséquences, est donc le pur résultat de l’activité humaine. Elle est comme un condensé de la globalisation néolibérale. Quelles en sont les causes, à la fois multiples et étroitement liées ? Il en est une qui n’est pas trop souvent citée ces jours-ci, c’est la guerre d’Irak. Et pourtant ! Non seulement cette guerre a fait entre six cent mille et huit cent mille morts civils, mais en frappant le pays dont le sous-sol contient parmi les plus importantes réserves pétrolifères au monde, elle a provoqué une flambée des prix. Pour s’approprier l’or noir, et en maîtriser les coûts, les États-Unis ont réussi dans ce domaine comme dans les autres une politique de gribouille. C’est l’explosion des prix du baril qui a conduit les mêmes États-Unis à encourager des pays producteurs de matières premières à détourner le colza ou le maïs de leur destination alimentaire pour nourrir les réservoirs des 4X4. Le Fonds monétaire international parle de 20 à 50 % de la production mondiale qui auraient été transformés en carburant. En outre, la hausse des prix du pétrole a joué ensuite une seconde fois comme facteur de crise en provoquant un renchérissement des tarifs du fret. Enfin, dans un monde occidental incapable de maîtriser sa fièvre consumériste, et moins encore de penser la décroissance, la destruction d’aliments de base a été l’effet pervers d’une fausse préoccupation écologique. Quand il s’est agi de limiter la production de CO2, plutôt que de songer à d’autres modes de vie, on a organisé l’anéantissement de cultures de première nécessité...

Mais il y a un autre facteur à cette crise, et qui nous ramène à l’actualité de ces dernières semaines : la spéculation financière. Les spéculateurs, n’ayant plus guère d’appétence pour les « subprimes », ont investi dans les matières premières. A mesure que les signes de pénurie apparaissent, les fonds d’investissement achètent et thésaurisent. En quelques semaines, le blé, le riz et le maïs sont devenus des produits financiers de premier intérêt. On les revend à la hausse. On les assure. Dans un monde en folie, le riz ne se mange plus, il s’échange. En un an, du fait de ces facteurs conjugués, certains produits de base ont augmenté de 55 %. En une journée, le 27 mars dernier, le riz a augmenté de 31 % [2] . Les fonds s’enrichissent, mais les pays consommateurs, eux, ne peuvent évidemment plus suivre. D’où un risque majeur de famine planétaire. Bien entendu, le système va réagir à sa façon. Les institutions financières, coupables d’avoir déréglementé, vont cette fois mettre la main à la poche. Les États aussi.

Mais là où il faudrait tout repenser, la répartition des richesses, la gestion des prix et les modes de vie dans nos contrées, là où il faudrait rendre le commerce massivement équitable, on va concéder des aides d’urgence, certes nécessaires, mais qui ne toucheront pas le système. Au contraire, des voix, françaises notamment, s’élèvent déjà pour encourager au productivisme le plus intensif. L’ombre des lobbyistes des OGM se profile. Si bien que, selon une bonne habitude, la solution d’aujourd’hui risque fort de faire la catastrophe de demain.

Notes

[1] Politis n°954, du 31 mai 2007.

[2] Relire à ce sujet la chronique de Geneviève Azam dans Politis n°997, la semaine dernière.

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