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HAITI : dans l’engrenage de la libéralisation agricole

Pendant plusieurs décennies, les institutions internationales de financement ont présenté la libéralisation du commerce comme un élément fondamental de la politique économique qui devrait être poursuivie par les pays en développement. Non seulement on encourage ces pays à libéraliser leurs échanges, mais cette mesure constituait en général une condition essentielle à l’octroi de l’aide. Un grand nombre de personnes ont questionné le fait de savoir s’il s’agissait d’une stratégie appropriée pour un pays en développement et Christian Aid a documenté les dommages causés par la libération rapide des échanges dans un grand nombre de pays en développement . [1] Ce rapport se base sur la documentation existante concernant l’expérience d’Haïti en matière de libéralisation du commerce et en particulier, son impact sur les communautés rurales pauvres.

En Haïti, la libéralisation du commerce a été poursuivie dans le cadre de l’accord signé par ce pays avec le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. L’enveloppe de l’aide accordée au pays a été conditionnée par la libéralisation du commerce et le gouvernement n’avait d’autre choix que d’ouvrir son économie, dans le sens des réformes politiques proposées. Malgré l’adoption de toutes les mesures demandées, les institutions internationales de financement ont rarement clamé qu’Haïti était un succès. Depuis la libéralisation, l’économie du pays s’est dégradée de manière significative, en particulier le secteur agricole a subi une baisse très sensible. Ce rapport est une tentative visant à chiffrer les pertes provoquées par la libéralisation du commerce dans l’agriculture, pertes supportées principalement par la population rurale, dont 82 pour cent de personnes vivent dans la pauvreté.

En Haïti, les résultats de la baisse des droits de douane sur les produits agricoles ont été catastrophiques. L’augmentation des importations de produits alimentaires a été si spectaculaire qu’Haïti importe actuellement plus de produits alimentaires que n’importe quel autre produit. Alors que dans le passé Haïti était autosuffisante et subvenait aux besoins alimentaires de sa population, elle utilise actuellement environ 80 pour cent de ses recettes d’exportation uniquement pour payer des importations de produits alimentaires. Ceci a entraîné un déficit énorme de la balance commerciale qui, couverte actuellement par l’aide et les envois de fonds, ne constitue guère une utilisation optimale des ressources pour un pays aussi pauvre qu’Haïti.

Parallèlement à l’augmentation des importations de produits alimentaires, on assiste à une baisse de la production agricole. De nos jours, il est largement admis que cette tendance est étroitement liée aux effets de la libéralisation du commerce. Des pertes particulièrement importantes ont été enregistrées dans les secteurs du riz et du sucre, qui sont tous les deux importants pour un grand nombre d’agriculteurs pauvres. La production de riz a chuté de près de moitié et des baisses aussi élevées ont été enregistrées dans la production sucrière puisque les industries de transformation ont été obligées de fermer leurs portes. La libéralisation a également contribué à la destruction de l’industrie avicole, un secteur qui avait développé une chaîne d’approvisionnement semi-industrielle qui marchait bien. Les investissements antérieurs des bailleurs de fonds dans les industries avicoles et sucrières ont été gaspillés, en laissant Haïti endosser le remboursement de prêts improductifs. Les gains espérés dans d’autres secteurs, du fait de cette libéralisation ont été rares.

Avec un tel déclin du secteur agricole, les revenus des agriculteurs ont chuté considérablement. Nous estimons qu’environ 831,900 personnes ont été directement affectées par la baisse des revenus due aux effets de la libéralisation dans trois secteurs de produits uniquement. L’estimation du nombre de personnes affectées par le déclin de ces secteurs est prudente puisqu’elle n’inclut pas celles qui travaillent dans des secteurs connexes, tels que la production du maïs destiné à l’alimentation des animaux ou le traitement, le transport et la distribution des produits. De plus, le nombre de personnes touchées par le déclin dans d’autres secteurs agricoles n’est pas examiné de manière détaillée dans ce rapport.

Etant donné que les revenus réels ont chuté, la capacité de la population à assurer son alimentation et celle de sa famille a empiré en milieu rural. En même temps, l’inflation est élevée et on assiste à une dépréciation de la gourde, qui entraîne une augmentation des prix des produits importés. Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile pour les Haïtiens d’acheter de la nourriture. La libéralisation agricole a contribué à généraliser la faim en milieu urbain et rural. Alors que les Haïtiens continuent de dépendre de plus en plus des aliments importés, ces problèmes risquent de s’aggraver. Le déficit commercial du pays fera également l’objet d’autres pressions.

Comme l’indique ce rapport, la libéralisation du commerce a rapporté peu de bénéfices au pays. Tous les bénéfices sont réalisés principalement par un petit nombre d’hommes d’affaires privilégiés qui sont devenus impliqués dans le commerce comme importateurs. Alors que l’élite locale des affaires réalise des bénéfices, de lourdes pertes ont été enregistrées en milieu rural. Même les avantages pécuniaires envisagés pour les consommateurs urbains, sous forme de nourriture à meilleur marché, se sont révélés de courte durée. Les prix du riz, par exemple, ont tout d’abord chuté de manière significative, mais la dépréciation de la gourde et la manipulation des prix en Haïti par le petit groupe d’importateurs de riz qui contrôle le marché ont érodé les bénéfices.

La baisse de l’économie rurale a provoqué un exode massif de la population des zones rurales. Cette situation a un impact extrêmement négatif sur les zones urbaines, entraînant une augmentation de la population des bidonvilles et une détérioration épouvantable des conditions de vie. Une concurrence accrue dans l’économie informelle dans les zones urbaines entraîne également une baisse des revenus urbains. La violence urbaine et l’instabilité politique auxquelles on assiste à la fin de 2003 et au début de 2004 sont également un résultat des graves problèmes provenant du manque d’infrastructures urbaines, des faibles revenus et de la mauvaise gestion générale de l’économie. Malheureusement, les troubles ont perduré et une force de stabilisation de l’ONU est présente en Haïti depuis juin 2004.

Beaucoup de leçons peuvent être tirées de l’échec de la libéralisation du commerce en Haïti. L’impact a été généralisé, et a contribué à un grave déclin économique et social. Il est inacceptable d’abandonner à leur sort les agriculteurs pauvres qui sont incapables de concurrencer les produits importés. Un petit agriculteur d’un pays en voie de développement ne sera pas en mesure de faire la transition seul vers de nouvelles cultures et sans de nouveaux emplois, le seul résultat possible est l’augmentation de la pauvreté. Christian Aid n’est pas en faveur de l’octroi d’une aide permanente aux industries non viables, mais quand un grand nombre de pauvres sont impliqués dans un secteur qui n’offre aucune alternative réelle, nous croyons qu’un principe visant à « ne pas faire du tort » doit être appliqué à travers la politique commerciale.

Compte tenu du caractère dénaturé des marchés agricoles et des énormes différences dans les environnements de production entre les agriculteurs des pays développés et ceux des pays en voie de développement, la libéralisation du commerce peut facilement entraîner une baisse des revenus agricoles, une augmentation de la pauvreté en milieu rural et une augmentation du nombre d’affamés. Par conséquent, il s’agit souvent d’une stratégie inappropriée pour les pays en voie de développement. Christian Aid a fourni des exemples de politiques « protectionnistes » hétérodoxes bien conçues qui, dans le passé, ont marché dans d’autres contextes.i Cependant, les institutions internationales de financement, les Etats-Unis et l’Union Européenne (UE) qui poussent les pays en développement à libéraliser leurs échanges à travers des accords commerciaux régionaux et bilatéraux ou à travers des négociations avec l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) continuent d’ignorer ces leçons.

Malheureusement, en Haïti les dommages sont là . Cependant, plutôt que de donner lieu à un débat réel sur l’orientation prise par le FMI, la Banque Mondiale et les bailleurs bilatéraux, très peu d’institutions reconnaîtront publiquement cet échec. Par conséquent, on note peu d’intérêt à débattre sur la manière dont le secteur agricole, duquel dépend 70 pour cent de la population, peut renaître. S’il faut réduire la pauvreté en Haïti, on ne peut ignorer plus longtemps le développement du secteur agricole : un engagement réel s’avère urgemment nécessaire dans ce domaine.

Ce rapport formule des recommandations et propose quelques mesures que le gouvernement haïtien pourrait adopter pour une future relance du secteur agricole. Etant donné que les bailleurs s’engagent à nouveau dans le pays et sont actuellement en train de développer des stratégies et des priorités, c’est le moment idéal pour bien débattre de la question. Malheureusement, les bailleurs de fonds négligent déjà l’agriculture pour se centrer presque exclusivement dans des domaines tels que les zones franches et le tourisme comme priorités clés pour le développement économique. L’agriculture n’est même pas près de recevoir l’attention qu’elle mérite. Si cette situation perdure, la réduction de la pauvreté restera un but inaccessible en Haïti.

[1] Voir par exemple The Economics of Failure : The Real Cost of Free Trade for Poor Countries, Christian Aid, juin 2005 et Taking Liberties : Poor People, Free Trade and Trade Justice, Christian Aid, 2004

Extrait d’un document élaboré par Christian Aid en 2006 sur la libéralisation agricole en Haïti

Repris par AlterPresse

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