Marianne 2, jeudi 8 novembre 2007.
Le 8 novembre se réunissent les instances dirigeantes de la Banque centrale européenne. Celle-ci va, une fois de plus, préserver l’Europe de la crise des subprime. Pour combien de temps ?
« Il n’y a pas de krach. » a récemment déclaré Christine Lagarde, docteur tant mieux et, pour notre malheur, ministre des Finances français. Comme quoi parler anglais n’empêche nullement de ne rien comprendre au fonctionnement des marchés financiers.
« Cette crise est donc, à ce stade, salutaire », écrit dans Libération Olivier Pastré, l’un des nombreux docteurs tant mieux qui sévissent dans l’univers des économistes français.
Pour lui, la solution est simple : les emprunteurs de logements qui ont cru que l’on pouvait « s’endetter de 400 000 dollars en en gagnant 25 000 par an », doivent mieux lire les notices de leurs contrats de prêts ; les banques doivent mieux « contrôler leurs risques et surtout ne pas faire payer aux plus fragiles (et en particulier les PME) les errements des plus inconscients ». Etc, etc, ya qu’à , faut qu’on.
Avec de telles analyses, on comprend mieux pourquoi on parle si peu en France de la crise financière, comme si on pensait la conjurer et éviter, à la manière du nuage de Tchernobyl, qu’elle ne touche notre pays. Paradoxe suprême pointé par l’économiste Jean-Luc Gréau lors du colloque de Res Publica sur la crise financière : notre Premier ministre déclare la France en faillite, alors que le niveau très faible des taux d’emprunts affectés à la dette française témoigne de la confiance des marché en la solvabilité du pays, on découvre que les croissances britanniques et américaines sont adossées à un artefact économique, à savoir l’endettement des ménages, qui dépasse aujourd’hui le PIB au Royaume Uni. Autrement dit, les économies que l’on nous montrent en exemple, les Etats-Unis et l’Angleterre, sont, eux, dans des situations de faillite potentielle !
Des bulles récurrentes
Que se passe-t-il en réalité ? La plupart des économistes raisonnables le reconnaissent : nous vivons depuis dix ans une accélération des crises : crise du serpent monétaire européen de 1992 débouchant sur la création de l’euro, crise latino américaine puis asiatique de la fin des années 1990, crise de l’Internet des télécommunications de 2001-2002, crise de l’immobilier aujourd’hui qui va toucher d’abord les pays dans lesquels le boom immobilier a été le plys fort : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Espagne, Pays-Bas, Australie.
« Chaque crise, analyse Jean-Michel Quatrepoint, finit par se traduire par une défaillance du crédit : vis-à -vis de certains emprunteurs de crédits immobiliers aujourd’hui, des actionnaires des entreprises de nouvelles technologies au début du millénaire, des investisseurs des bourses asiatiques et latino-américaines à la fin des années 1990. »
Pourquoi cette forme récurrente et cyclique ? Parce que le système sort de chaque crise en la déplaçant. Ainsi, comme l’a bien noté l’économiste américain Paul Krugman, « Aux Etats-Unis, on a surmonté la crise américaine en créant une bulle immobilière. » En abaissant le loyer de l’argent, les banques centrales ont poussé les ménages à s’endetter pour acquérir des logements. Les lois adoptées permettant d’augmenter ses capacités d’endettement en fonction de la valeur du bien acquis, adoptées par les anglo-saxons et importées en France par Nicolas Sarkozy, ont soufflé sur la bulle : plus la valeur de son logement est bonifiée sur le marché, plus on peut s’endetter pour consommer. Ce qui, dans un premier temps, nourrit artificiellement la croissance. Mais au premier accident financier des ménages endettés, ils ne peuvent plus payer leurs mensualités de crédit. Si plusieurs dizaines de milliers de personnes sont dans le même cas, les ménages en difficulté ne peuvent plus trouver acquéreur pour acheter les appartements pour lesquels ils étaient endettés, ce qui les précipite dans la faillite. Du coup, les structures financières auxquelles étaient adossés ces prêts risqués sont elles-mêmes en difficulté, ainsi que les banques qui en sont propriétaire. Voilà , tracée à la serpe, la crise des subprime qui provoque une vague de quasi-faillites de banques de rang mondial. Pour le moment, seules les banques centrales sauvent l’économie mondiale d’une diffusion du krach immobilier aux autres secteurs : en prêtant aux banques en difficulté et en maintenant des taux d’intérêt bas, voire en les baissant davantage, comme la Fed américaine, elles atténuent les effets de la crise.
La bulle chinoise qui vient
Oui mais de même que la bulle immobilière actuelle est née de la crise des valeurs boursières Internet de 2001, la sortie de crise actuelle nous prépare une autre bulle : celle liée à la croissance de la Chine de l’Inde et de la Russie. La forte demande de ces pays est en train de créer un effet de rareté sur les matières premières et énergétiques, ce qui entraîne un processus inflationniste caractéristique des bulles. L’abondance de liquidités de ces pays leur permet d’intervenir sur les Bourses mondiales, notamment par l’intervention de fonds souverains. Mais là encore, les arbres ne monteront pas jusqu’au ciel, et c’est bien ce à quoi ne nous préparent pas les dirigeants de la France. Après les jeux olympiques de Pékin de 2008 ou l’exposition universelle de Shangaï de 2010, on découvrira les éléments malsains de la croissance chinoise : créances pourries dans les banques, système de corruption générale, etc. On entendra alors les pleurs des investisseurs occidentaux et des dirigeants d’entreprises qui misent tout sur la Chine depuis dix ans...
Philippe Cohen
– Source : Marianne 2 www.marianne2.fr
Subprimes, immobilier, faillites bancaires : retour sur la crise "financière", par Vincent Présumey.
A LIRE : Note sur l’éclatement de la bulle immobilière américaine, par Isaac Johsua.
Immobilier : Bulle, Krach, Boum !