RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Les fabriques de l’idéologie.








Regards, novembre 2007.


Parmi les institutions qui influencent et façonnent les « réformes » menées à travers le monde, la Banque mondiale a contribué à forger une doxa universellement applicable. Elle vient d’être sérieusement mise à mal par un rapport d’évaluation confié à un groupe d’économistes reconnus [1]. Après un peu de brosse à reluire, les évaluateurs passent aux affaires sérieuses : « une grande partie de la recherche est médiocre » ou « techniquement déficiente », et la Banque a eu tort de fonder ses prises de position sur de telles « nondémonstrations ». Beaucoup de chercheurs de la Banque « semblent penser que des outils techniques sont suffisants pour établir un lien de causalité ». Très peu d’études sont menées avec des chercheurs des pays en développement n’appartenant pas à la Banque. Le reste à l’avenant.

Premier exemple de ces dérives : les retraites. Tout l’argumentaire libéral en faveur des fonds de pension repose sur un théorème de ce genre : « puisqu’on s’attend en général à un taux de rendement financier supérieur au taux de croissance, les retraites par répartition ont besoin de contributions plus élevées pour assurer le même niveau de retraites que les fonds de pensions ». Conclusion : le système par répartition est moins performant. Mais ce type de raisonnement repose, selon l’évaluateur qui le cite, sur une « erreur grossière » que ne commettrait pas « un étudiant de première année » : les retraites plus élevées que les fonds de pension pourraient procurer au départ seraient ensuite payées par la « baisse des retraites de ceux qui viendront plus tard ».

Second exemple : les travaux de David Dollar. Cet économiste de la Banque mondiale est notamment le coauteur d’un article fameux établissant que la croissance est bonne pour les pauvres (Growth is good for the poor). Le commentaire est sévère : « Une bonne partie de cette ligne de recherche souffre de déficiences si graves que ses résultats sont très loin de pouvoir être considérés comme fiables ». Si elle a été mise en avant, c’est parce qu’elle allait dans le sens des positions de la Banque alors que d’autres travaux, par exemple ceux de Branko Milanovic, un autre chercheur de la Banque mondiale, étaient « ignorés ». Forcément : ils montraient que « c’est la croissance qui, en général, conduit à l’ouverture commerciale, et non l’inverse » et que cette ouverture a des effets « particulièrement défavorables sur les bas et moyens revenus dans les pays pauvres ».

Ce sont ces mécanismes de filtrage que décortique Robin Broad, une économiste qui ne faisait pas partie du panel [2]. Elle distingue six principaux mécanismes : recrutement, déroulement de carrière, sélection des papiers, découragement des discours discordants, manipulation des données, et choix de communication à l’extérieur. Les chercheurs qu’elle a interrogés avouaient qu’il n’était pas rare qu’on leur demande de faire une évaluation « pour prouver que le programme X fonctionne ». Cette approche jette les bases d’une véritable sociologie des centres de recherche en économie qui les étudierait en tant qu’appareils de production, en évaluant la force de frappe que représentent des bataillons de chercheurs payés à illustrer les bienfaits du néo-libéralisme.

Ces critiques bien ajustées n’empêchent pas les institutions visées de continuer imperturbablement leur « travail ». Le premier rapport de l’OCDE consacré à l’Inde déplore la rigueur de la législation du travail et suggère « d’ajuster le niveau de protection de l’emploi pour augmenter l’emploi ». Aux pays de la zone euro, l’OCDE recommande d’« assouplir la législation relative à la protection de l’emploi » et d’« accroître la flexibilité des salaires ». Et c’est sans surprise que le FMI félicite l’Union européenne pour les « réformes » des marchés du travail : DSK aura fort à faire pour donner une apparence « de gauche » à ses prochaines interventions.

La longue litanie de rapports suscités par le gouvernement français n’échappe pas à l’à -peu-près et au n’importe quoi ; ainsi, l’idée de la commission Attali, selon laquelle la libéralisation de la grande distribution permettrait de créer « plusieurs centaines de milliers d’emplois » relève du propos de comptoir plutôt que de l’analyse économique. C’est bien l’idéologie dominante qui se fabrique au sein de ces véritables usines et il n’est donc pas inutile de dévoiler son mode de production.

Michel Husson

Michel Husson, économiste, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales), membre de la Fondation Copernic.
Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ Etat social", La Découverte.



Fonctionnaires, régimes spéciaux : des économies ou des cacahuètes ? par Michel Husson.


SNCF, RATP, EDF, GDF : une « réforme » peut en cacher une autre, par Michel Husson et Pierre Concialdi.

Les fausses habiletés de Sarkozy, par Michel Husson.


Le gavage éhonté des riches se poursuit en douce, par SuperNo.






[1Les documents cités sont disponibles sur http://hussonet.free.fr/mondiali.htm.

[2Les documents cités sont disponibles sur http://hussonet.free.fr/mondiali.htm.


URL de cet article 5576
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
TOUS LES MEDIAS SONT-ILS DE DROITE ? Du journalisme par temps d’élection
par Mathias Reymond et Grégory Rzepski pour Acrimed - Couverture de Mat Colloghan Tous les médias sont-ils de droite ? Évidemment, non. Du moins si l’on s’en tient aux orientations politiques qu’ils affichent. Mais justement, qu’ils prescrivent des opinions ou se portent garants du consensus, les médias dominants non seulement se comportent en gardiens du statu quo, mais accentuent les tendances les plus négatives inscrites, plus ou moins en pointillé, dans le mécanisme même de l’élection. Ce sont (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« La politique étrangère américaine est ignoble car non seulement les États-Unis viennent dans votre pays et tuent tous vos proches, mais ce qui est pire, je trouve, c’est qu’ils reviennent vingt ans plus tard et font un film pour montrer que tuer vos proches a rendu leurs soldats tristes. »

Frankie Boyle, humoriste écossais

Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.