Jeudi 3 mai 2007.
Deux tiers des Français pensent que la France décline et c’est sans
doute principalement pour cela que Sarkozy sera le prochain président
de la République. De plus, la principale façon dont les médias ont
préparé son accession à la présidence, c’est par une propagande
incessante, depuis des années, sur le thème du déclin de la France,
ainsi que sur celui, relié, de la sécurité.
Il y a plusieurs façon de réagir à ce sentiment ; l’une est de montrer
que les statistiques utilisées pour « prouver » ce déclin sont très
sélectives (voir, par exemple, La désinformation économique joue un
rôle majeur dans l’élection française ; par Mark Weisbrot). Mais on peut
également répondre en se demandant quelles solutions les déclinistes
ont à proposer.
Ceux-ci mélangent habilement deux problèmes : le déclin de la France
par rapport aux pays émergeants, surtout en Asie, et celui de la France
par rapport à d’autres pays industrialisés, principalement les
États-Unis et l’Angleterre. La première forme de « déclin » est une
très bonne chose : elle signifie seulement qu’une partie du Tiers Monde
se développe. Mais, comme ils savent très bien qu’il est difficile
d’imiter la Chine et l’Inde, les déclinistes proposent d’imiter le
modèle anglo-saxon, qui est supposé éviter le déclin par une série de
mesures de flexibilisation du travail, de destruction des acquis
sociaux et des services publics, de mesures sécuritaires et de
réarmement moral.
Envisageons donc la situation de leur pays favori, les États-Unis.
Ceux-ci ont dépensé des centaines de milliards de dollars pour envahir
l’Irak ; ils y ont eu des milliers de morts, des dizaines de milliers
de blessés, et ils y sont complètement coincés ; ils ne peuvent pas
gagner, parce qu’ils ont réussi à se mettre à dos l’immense majorité
des Irakiens, et ils ne peuvent pas s’en aller, parce que ce serait la
fin de leur empire. Donc, ils vont s’enliser en Irak pendant de
nombreuses années, y perdre encore plus d’hommes, d’argent et de
prestige, tout en causant des souffrances inouïes et inutiles au peuple
irakien.
Et pourquoi sont-ils allés en Irak ? Entre autres, à cause de
manipulations de l’opinion sur la question des armes de destruction
massive. Ils ont des services de renseignement qui espionnent le monde
entier, une presse « libre » avec des moyens gigantesques, des
universités regorgeant de spécialistes sur tous les conflits et
problèmes de la planète. Malgré tout cela, ils n’ont pas été capables
de comprendre des choses élémentaires, que même un enfant voyageant aux
Moyen-Orient pouvait comprendre, à savoir qu’ils y sont détestés
principalement à cause de leur soutien à Israël, et que toute
intervention de leur part dans la région provoquerait un rejet massif.
Si ce mélange d’incapacité, d’ignorance et d’arrogance n’est pas le
symptôme d’une société en déclin, alors je ne sais pas très bien ce qui
pourrait en être un. La France, par contre, qui avait encore en 2003
une élite « vieillissante, dépassée, inadaptée au monde etc. », mais
capable de penser, ne s’est pas engagée dans cette folie.
Mais ce n’est pas tout : le reste du monde, et la France en
particulier, est sans cesse supposé « imiter les États-Unis ». Bien ;
imaginons que, par un coup de baguette magique, le reste du monde imite
réellementles États-Unis. D’où viendraient alors le pétrole et les
autres matières premières que les États-Unis importent en abondance et
sans lesquels leur société ne pourrait pas survivre très longtemps ?
D’où viendraient les travailleurs immigrés, souvent « clandestins »,
c’est-à -dire privés de droits, ou les produits importés à bas prix (et
non payés, c’est-à -dire financés par des déficits croissants), qui
permettent aux travaileurs ayant perdu leurs emplois industriels de
maintenir plus ou moins leur niveau de vie ? D’où viendraient
finalement les cerveaux que les États-Unis pillent au reste du monde,
parce qu’attirer par des haut salaires des gens déjà formés coûte
beaucoup moins cher que financer un véritable sytème d’éducation de
masse ?
Le fait est que le modèle américain est inimitable, parce que sa simple
survie suppose l’existence d’un monde extérieur aux États-Unis, et qui
ne leur ressemble pas. Il est vrai que la situation est assez semblable
en Europe, mais c’est précisément notre degré de proximité du « modèle
américain » qui est la meilleure mesure de notre déclin. De plus, la
France n’a pas la puissance de l’Amérique et a encore moins qu’eux la
possibilité de maintenir temporairement une situation intenable à long
terme.
Faire le choix de Sarkozy, c’est faire le choix d’une imitation
accélérée du modèle américain, c’est-à -dire le choix du véritable
déclin.
Jean Bricmont
Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique).
Pourquoi est-il important de bloquer Sarkozy ? par Jean Bricmont.
A quoi ressemblerait la France de Nicolas Sarkozy ? ( A l’heure où certains à gauche... )
Vidéo : Sarkozy-Royal vus des USA.