WSWS, 10 novembre 2006.
La démission du secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld indique combien aiguë est la crise qui a éclaté non seulement au sein de l’administration Bush, mais aussi dans tout l’establishment politique américain après les élections de mi-mandat du 7 novembre.
Au moins 29 républicains sortants ont été battus à la Chambre des représentants, donnant un contrôle décisif de cette chambre au Parti démocrate. Au Sénat, les démocrates ont obtenu 50 sièges et leur candidat en Virginie, Jim Webb, est légèrement en avance et va vraisemblablement déloger son adversaire républicain, ce qui donnerait aussi le contrôle de la chambre haute aux démocrates.
Le vote, qui est une répudiation écrasante par la population de la guerre en Irak, a jeté les élites politiques et médiatiques en état de choc. Dans des conditions où la population est si aliénée de la politique officielle que seulement 40 pour cent des personnes ayant droit de vote l’exercent dans les faits, la défaite écrasante des républicains n’est qu’un pâle reflet du mécontentement bouillonnant à travers l’Amérique.
Alors que le Parti démocrate est le bénéficiaire immédiat de ce virage contre la guerre, il n’a pas encouragé ces sentiments avant les élections pas plus qu’il ne les a accueillis après.
A la conférence de presse que la Maison-Blanche a tenue mercredi pour annoncer la démission du chef du Pentagone, Bush a déclaré qu’il reconnaissait « que plusieurs Américains ont voté hier soir pour signaler leur déplaisir devant le manque de progrès là -bas [en Irak] ». Il a rapidement ajouté, toutefois, « Et pourtant, je crois aussi que la plupart des Américains et des dirigeants des deux partis ici à Washington comprennent que nous ne pouvons pas accepter la défaite. »
Il y a tout lieu de croire que, loin de paver la voie à la fin de la guerre en Irak, le vote de mardi et la secousse qu’il a provoquée au sein du conseil des ministres de Bush va mener à une autre escalade du massacre.
Le retrait de Rumsfeld, l’architecte amer de l’invasion irakienne, fait partie de la tentative de construire un nouveau plan biparti pour la continuation de la guerre et la campagne globale de militarisme des Etats-Unis menée sous le couvert de la « guerre au terrorisme ».
Lors de la cérémonie de la Maison-Blanche où la démission de Rumsfeld fut acceptée et son remplaçant, l’ancien directeur de la CIA Robert Gates, fut présenté, Bush n’a laissé aucun doute que la politique fondamentale de l’administration demeurait inchangé.
« Les Etats-Unis sont toujours un pays en guerre, a-t-il déclaré. Nous devons demeurer à l’offensive et amener nos ennemis devant la justice avant qu’ils nous frappent encore. »
Gates a repris cette explication tordue et mensongère d’une guerre d’agression non provoquée. « Les Etats-Unis sont en guerre, en Irak et en Afghanistan, a-t-il déclaré. Nous luttons contre le terrorisme mondialement. »
En nommant Gates, Bush a louangé celui qui a fait carrière dans la CIA comme une personne qui « comprend les défis que nous confrontons en Afghanistan » à cause du rôle qu’il a joué en tant qu’adjoint au directeur de la CIA sous Reagan il « a aidé à diriger les efforts des Etats-Unis pour sortir les forces soviétiques de l’Afghanistan ».
En d’autres mots, il est un des dirigeants des services du renseignement américains qui a établi des contacts étroits avec Oussama ben Laden durant la guerre soutenue par la CIA qui a fait éclater la société afghane. Il a joué un rôle pour développer les mêmes terroristes islamistes que ceux qui ont finalement réalisé les attentats terroristes du 11-Septembre. Rien ne peut exprimer plus clairement le cynisme de l’élite dirigeante américaine que Bush claironnant un tel passé comme une qualification pour mener la « guerre au terrorisme ».
Les liens de Gates avec le terrorisme ne se limitent pas à ben Laden. Au milieu des années 1980, il était lié au réseau des agents secrets à la Maison-Blanche qui ont organisé l’opération Iran-contras, vendant des armes secrètement à l’Iran pour financer illégalement la guerre de terreur des contras qu’appuyaient les Etats-Unis contre le Nicaragua. Il est probablement lié aux tentatives secrètes dans les années 1980 pour fournir des armes au régime irakien de Saddam Hussein durant sa guerre contre l’Iran.
Qu’une telle personnalité ait été présentée comme le champion d’une « perspective neuve » sur l’Irak est l’avertissement le plus clair que des crimes encore plus horribles sont préparés contre l’Irak.
Les réactions au remplacement de Rumsfeld ont fait ressortir cela. Parmi les premiers à appeler pour une conférence de presse pour accueillir ce changement a été le sénateur de l’Arizona, John McCain, celui qui est en tête dans la course pour la nomination du candidat présidentiel républicain aux élections de 2008.
McCain a déclaré que la nomination de Gates offrait l’occasion de « corriger les erreurs du passé ». Il a dit que Washington doit reconsidérer « si oui ou non nous avons suffisamment de soldats en Irak pour offrir le niveau de sécurité indispensable à la défaite de l’insurrection ». Il a ajouté qu’il discuterait avec Gates de la « nécessité urgente d’augmenter la taille des troupes de l’armée et des marines ».
McCain a conclu sur la nomination du nouveau secrétaire à la Défense qu’elle offrait « une occasion pour une plus grande coopération bipartisane sur la politique en Irak - pour que les républicains et les démocrates de bonne volonté travaillent ensemble pour assurer la victoire ».
McCain a affirmé que les États-Unis devaient « descendre » le clerc radical chiite Moqtada al-Sadr, ce qui signifierait non seulement un assaut sanglant sur les forces miliciennes qu’il dirige, mais en plus sur les masses chiites pauvres à Bagdad qui sont devenues de plus en plus hostiles à l’occupation américaine.
La prédiction de McCain selon laquelle la nomination de Gates allait faciliter la « coopération bipartie » a été rapidement confirmée. Le chef démocrate au Sénat, Harry Reid, du Nevada, a déclaré : « En acceptant la démission du secrétaire à la Défense, le président Bush a fait un pas dans la bonne direction ».
Le sénateur de New York Charles Schumer, qui a dirigé la campagne sénatoriale des démocrates, a exprimé les mêmes sentiments, déclarant : « La nomination d’un nouveau secrétaire au département de la Défense est un bon premier pas, et nous espérons que cela indique que le président envisage un changement de cap en Irak. »
Le geste de Bush a été louangé à la suite d’une série de déclarations des leaders démocrates qui s’engageaient à collaborer avec la Maison-Blanche de Bush. La nouvelle présidente de la Chambre des représentants démocrates, Nancy Pelosi, a juré que les démocrates chercheraient un « partenariat avec le président et les républicains au Congrès » et ne tenteraient pas de faire de la « partisanerie ».
Gates est un membre du Groupe d’étude sur l’Irak, le comité biparti dirigé par l’ancien secrétaire d’État républicain James Baker et l’ancien chef démocrate au Congrès, Lee Hamilton. Ce comité fera bientôt ses recommandations sur la manière de renverser le fiasco militaire et politique américain en Irak. Beaucoup anticipent qu’il exigera vivement une approche plus « réaliste » qui laisserait tomber les prétentions démocratiques de Washington pour favoriser carrément une dictature militaire qui contrôlerait les masses irakiennes.
L’appui biparti pour la guerre se poursuit dans des conditions où le système à deux partis est de plus en plus en crise. Les résultats des élections de mardi ne représentent pas un mandat populaire donné aux démocrates, mais un rejet des politiques que l’administration Bush a réalisées avec la collaboration des démocrates eux-mêmes. L’élection a exprimé l’opposition populaire croissante à l’establishment politique au complet.
Le rejet de la guerre aux urnes est d’autant plus remarquable que le Parti démocrate et les médias de masse ont tenté de réprimer tous ces sentiments politiques.
Les démocrates ont fourni à Bush les votes dont il avait besoin en 2002 pour obtenir l’autorité nécessaire du Congrès pour mener sa guerre d’agression et ils continuent de financer l’occupation au rythme de 2 milliards $ par semaine. De la même façon, les attaques sur les droits démocratiques que l’on trouve dans des lois comme le Patriot Act et la Loi sur les commissions militaires ont été votées avec l’appui des démocrates.
Dans ces conditions, le retrait de Rumsfeld ne sert pratiquement qu’à soigner les apparences. Toutes attentes selon lesquelles ces changements de personnel ou la prise de la direction par les démocrates au Congrès mèneront à la fin de la guerre sont complètement déplacées.
L’opposition populaire à la guerre exprimée dans l’élection n’est pas dirigée contre la mauvaise gestion de l’opération par l’administration Bush. C’est un rejet de la légitimité de la guerre. La majorité des gens souhaitent un terme à la guerre qu’ils perçoivent comme une erreur et non nécessaire.
Toutefois, parmi l’élite dirigeante, les préoccupations au sujet de l’Irak sont diamétralement à l’opposé. L’élite dirigeante qui contrôle les deux partis voit la « victoire » en Irak comme absolument essentielle. Et il n’est pas seulement question des profits à être soutirés d’une prise de contrôle des réserves pétrolières du pays, mais de la défense de la position hégémonique de l’impérialisme américain à travers le monde.
Quelques soient les différences tactiques des démocrates avec l’administration Bush sur la politique avec l’Irak, ont peut prévoir assez assurément que le parti n’offrira aucune opposition à une escalade du bain de sang contre le peuple irakien. Aucun dirigeant officiel démocrate n’a protesté contre le siège sauvage de la ville irakienne de Fallujah lancé immédiatement après les élections de 2004. Si le Pentagone lance son offensive anticipée depuis longtemps contre les bidonvilles chiites de Bagdad, Sadr City, il est à prévoir que les démocrates vont encore une fois donner leur appui.
Au sein des cercles dirigeants des États-Unis, deux préoccupations commencent à devenir très vives. La première étant la situation désespérée en Irak. La seconde est plus près d’eux - la montée de la colère populaire aux États-Unis même. Les élections sont une indication du fait que l’appareil politique et médiatique de droite qui a été utilisé par l’establishment pour manipuler l’opinion publique s’est fracassé. Les médias ont été incapables d’anticiper et encore moins de prévenir, l’étendue massive du rejet des politiques du gouvernement qui a pris place dans les bureaux de vote.
Le grand danger c’est qu’ayant infligé une gifle électorale à l’administration Bush, les masses de gens manque d’une réelle alternative politique. Ceci permet à l’administration Bush de trouver de nouvelles méthodes pour mettre en oeuvre ses politiques militaristes à l’étranger et d’attaques contre les droits démocratiques et les conditions sociales au pays.
Alors que la Maison-Blanche de Bush fait publiquement l’éloge du bipartisme, il y a des indications à l’effet qu’il est prêt à poursuivre ses objectifs par d’autres moyens. A la veille des élections, le vice-président Dick Cheney a déclaré que la guerre en Irak « n’est peut-être pas populaire auprès du public. Ca ne fait rien. » Il a dit que la politique de l’administration sera « en avant à toute vitesse » pour la « victoire », peu importe ce que le peuple pense.
Dans le même ton, le Los Angeles Times citait Grover Norquist, le croisé anti-taxe qui a servi de proche collaborateur à la Maison-Blanche, qui a dit « Bush allait maintenant gouverner en large mesure en utilisant son pouvoir exécutif plutôt que de travailler avec le Congrès sur les projets législatifs. »
Dans la mesure où l’opposition populaire entre en interférence avec la poursuite de ses politiques, cette administration est prête à adopter des méthodes dictatoriales, incluant l’utilisation de la répression policière et étatique contre ceux qui s’y opposent.
Les élections ont placé ce gouvernement sur la voie de la confrontation avec les larges masses de la population laborieuse américaine. Les gains électoraux des démocrates ne vont pas inhiber ce processus, mais plutôt l’accélérer.
Le Parti de l’égalité socialiste a mené une campagne dans les élections de mi-mandat sur la base d’un programme demandant le retrait immédiat et inconditionnel de toutes les troupes américaines de l’Irak, la seule façon de mettre un terme à la boucherie dans ce pays.
Le PES avance également la demande, que tous ceux qui ont conspiré pour déclencher cette guerre illégale - incluant Bush, Cheney, et Rumsfeld - soient tenus politiquement et criminellement responsables.
Le Parti démocrate n’a pas l’intention d’intenter de telles poursuites. Dans sa déclaration mercredi, la nouvelle présidente de la Chambre des représentants Pelosi réitérait son voeu que « la destitution ne soit pas sur la table. » Cette promesse de loyauté vient avant toute enquête dans la conduite d’une administration qui a commis plus d’infraction de destitution contre la Constitution et le peuple américain que tout autre dans l’histoire.
Les politiques poursuivies par les démocrates au lendemain de leur balayage électoral confirment la perspective centrale avancée par le PES durant cette élection : le seul moyen viable pour mener la lutte contre la guerre impérialiste à l’étranger et contre l’inégalité sociale et les attaques contre les droits démocratiques aux pays est de développer un mouvement socialiste indépendant de masse de la classe ouvrière en opposition au système capitaliste des deux partis.
Comité éditorial du WSWS.
– Article original anglais paru le 9 novembre 2006.
– Source : WSWS www.wsws.org
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