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OMC : dette et migrations, par Claude Quémar.





27 septembre 2006.


Depuis trente ans, l’immigration est au coeur des débats des sociétés occidentales. L’irruption massive des « sans papiers » depuis dix ans sur la scène sociale apporte une nouvelle réalité à ce débat ; une réalité plus humaine, celle d’hommes et de femmes (de plus en plus de femmes) qui choisissent de quitter leur pays, pour des raisons de plus en plus complexes.

Mais les dernières années ont vu également le traitement de l’immigration passer du cadre national au cadre européen, voire mondial, avec les négociations au sein de l’OMC sur l’AGCS (Accord général sur le commerce des services). Le mode quatre de cet accord, concerne en effet le mouvement des personnes physiques.

Il est donc utile de remettre en perspective les enjeux migratoires pour le capitalisme contemporain, même si la direction et la dimension des flux migratoires n’ont jamais été réductibles aux seuls impératifs de l’accumulation du capital. La globalisation « néolibérale » en cours a redéfini également ces mouvements. Les nouvelles politiques européennes vont dans le sens d’une « marchandisation » accrue de l’immigration.


Des flux migratoires mouvants

Le monde a toujours connu des flux migratoires. Le peuplement de la planète en a été le premier exemple. Soit. Ces migrations sont devenues internationales avec la création des Etats-nations. Les décolonisations du XXe siècle ont fait passer le nombre de nations d’une cinquantaine à plus de 200. Mais les grandes vagues migratoires n’ont pas attendu cet éclatement : sans parler de l’esclavage, migration forcée, les vagues se sont succédées : diaspora chinoise depuis le XVIIIe siècle, peuplement du « nouveau monde » (51 millions de personnes entre 1846 et 1939), colonisation, conflits mondiaux... Le nombre de migrant-e-s s’élève aujourd’hui à environ 150 millions de personnes (résidant à l’étranger depuis plus d’un an), soit 2,5% de la population mondiale. Chiffre qu’il faut d’autant plus relativiser qu’il inclut non seulement les migrations vers les pays du Nord, mais aussi celles entre pays du Sud qui sont, de loin, les plus importantes. Par exemple, la France « accueille » 3,2 millions de personnes étrangères, la Côte d’Ivoire : 3,4 millions ! [1]

Ces mouvements sont de plus en plus complexes : les politiques d’endiguement des pays du Nord, l’éloignement des frontières (espace Schengen, par exemple), la séparation de moins en moins nette entre immigration économique et politique, les besoins en main-d’oeuvre qualifiée au Nord... tous ces phénomènes créent des étapes de transit pour les migrants. La frontière mexicaine, le détroit de Gibraltar, le détroit de Malacca entre l’Indonésie et la Malaisie sont autant de goulets d’étranglement. Des pays comme le Sénégal et le Maroc sont aujourd’hui pays d’immigration et d’émigration à la fois.

Mais ce qui a fondamentalement basculé au cours du XXe siècle, c’est le sens global de ces flux : ils sont essentiellement aujourd’hui issus du Sud, vers le Nord ou vers d’autres pôles du Sud (pays pétroliers en particulier). L’appauvrissement de ces pays par les politiques d’ajustement structurel, par le pillage de leurs ressources naturelles, par l’endettement qui permet de maintenir une domination issue de la colonisation, tous ces phénomènes créent ces mouvements d’une minorité de la population pour s’en sortir. D’une minorité, car rappelons que, hormis lors de vagues de réfugié-e-s liées à des conflits violents, ce n’est pas n’importe qui qui émigre. Un émigré subsaharien sur trois possède un diplôme supérieur. Ce sont les classes moyennes qui sont concernées, les plus aptes à valoriser leur savoir, linguistiquement et socialement. D’où l’imbécillité d’une formule comme « la France [ou la Belgique, ou la Suisse] ne peut accueillir toute la misère du monde ». De plus, désormais, la décision d’émigrer est prise par le migrant-e lui-même, souvent en accord avec sa famille, et non plus par les entreprises du Nord. S’il y a des immigré-e-s, c’est malgré tout parce qu’il existe une demande pour cette main-d’oeuvre, docile et flexible. Et plus seulement dans les secteurs traditionnels comme la construction, la restauration, l’agriculture, le nettoyage urbain... Aujourd’hui, ce sont des secteurs comme la santé ou l’informatique qui sont concernés.

Le reste des activités manufacturières ne va plus chercher sa main-d’oeuvre au Sud, on « délocalise » dès que son coût est de 6 à 10 fois inférieur à celui d’un salarié-e européen, de 1 à 3 pour les services informatiques et comptables. Ce phénomène ne touche pas l’Afrique sub-saharienne où, paradoxalement, la main-d’oeuvre est chère, à faible productivité et les « coûts de transaction » considérables (à l’exception de Maurice et Madagascar).


Un enjeu pour le capitalisme

Mais alors si il y a d’un côté une offre importante et continue et de l’autre une demande, où est le « problème » ? Le « problème » est double : adéquation de la main-d’oeuvre aux besoins au Nord et problème politique. Les besoins en main-d’oeuvre du capital sont mobiles : les transnationales profitent de la libéralisation des mouvements de capitaux, des investissements directs avec une très grande fluidité. Les maquilas en Amérique centrale sont un bon exemple. On déménage l’usine de montage de zone franche en zone franche en fonction des conditions du moment. La coïncidence entre besoins du capital et main-d’oeuvre est donc rarement réalisée. Enfin l’immigration a pris dans les pays du Nord une dimension politique avec la crise de surproduction des années 70. On a vu se multiplier les réformes législatives placées sous le sceau de la méfiance et de la nécessaire protection contre une immigration « subie » supposée porteuse de multiples dangers (terrorisme, déstabilisation des systèmes sociaux...).

Ces réformes successives ont un objectif quasi exclusif : diminuer l’attractivité du pays d’accueil par l’abaissement des droits des migrant-e-s. La France, la Grande-Bretagne sont en pointe dans ce contexte. Des pays comme le Maroc ou le Sénégal, attirés habituellement par la France, pour des raisons historiques et linguistiques, voient aujourd’hui leurs migrant-e-s préférer l’Espagne, l’Italie ou les Etats-Unis.


Une logique de prédation

Et c’est donc cette contradiction fondamentale que doivent gérer les pays du Nord : leur besoin en main-d’oeuvre, lié à une natalité en baisse (d’où l’attirance vers l’Espagne et l’Italie) et cette fermeture pour raison politique (montée de l’extrême droite, contre-réformes sociales...). La réponse en cours, lourde de dangers, est celle de « l’immigration choisie » en cours dans tous les pays du Nord : Union européenne, mais y compris la Suisse avec ses réformes actuelles de la loi sur les étrangers (Letr) et sur l’asile (Lasi) entérinée par un référendum le 24 septembre 2006. Il s’agit de choisir ses immigré-e-s, en fonction des besoins des entreprises locales et des « talents » des demandeurs-euses. Le « marché du travail international », « l’armée industrielle de réserve » mondiale : voilà le projet. La marchandisation de la force de travail prend ainsi une nouvelle dimension. Les projets actuels de l’OMC y sont directement liés. Nous assistons à ce qu’Antoine Math, du Gisti, appelle une « logique de prédation ».

Reste à savoir si la contradiction entre besoins économiques et xénophobie ambiante sera levée par ces politiques.

Il n’en demeure pas moins que ces politiques « d’endiguement » ont des conséquences sur les libertés. Le récent premier Forum social caribéen qui s’est tenu à la Martinique a vu sa participation restreinte par les refus massifs de visas par la France.


Un mouvement social qui sort de l’ombre

Le mouvement des sans-papiers est dans ce contexte un des grains de sable qui pourraient enrayer ce projet. Voilà des hommes et des femmes qui bravent ces obstacles, au risque de leur vie souvent, payent des passeurs pour arriver ici. Et dire : c’est à nous de choisir où nous voulons vivre.

Ils et elles n’ont plus rien à perdre : retourner au pays, c’est décevoir la famille qui les a envoyés, se retrouver condamné(e)s à un mariage forcé, à l’excision de leur fille, à la répression, à la misère. Les grèves de la faim entamées par des dizaines de sans-papiers, les occupations en Belgique sont la preuve de cette volonté de rester malgré tout.

Encore plus intéressant est la mise en réseau international des structures de migrant-e-s du Sud (les refoulé-e-s de Ceuta par exemple) et les associations du Nord (collectifs de sans-papiers, soutiens locaux...). Après le Forum de Bamako en janvier dernier, la conférence non gouvernementale euro-africaine, réunie à Rabat début juillet, a adopté un manifeste rappelant l’exigence première de la liberté de circulation.

Lors du Forum social européen d’Athènes, il a été décidé d’organiser une 3e journée d’action sur les migrations le 7 octobre 2006, en mémoire des évènements de Ceuta et Melilla de 2005.

Claude Quémar


 Source : CADTM - Collectif pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde(www.cadtm.org)

 Vu sur solidaritéS : www.solidarites.ch


« Emigration illégale » : une notion à bannir, par Claire Rodier.

Musée du Quai Branly : « Ainsi nos oeuvres d’ art ont droit de cité là où nous sommes, dans l’ ensemble, interdits de séjour », par Aminata Traoré.


Mali & Niger : la mondialisation néolibérale contre les plus pauvres, par Jean Nanga.




[1Chiffre d’avant la crise ivoirienne actuelle


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