Inprecor, novembre-décembre 2005.
L’une des caractéristiques de l’année qui s’achève est qu’elle a été riche de promesses concernant l’avenir de l’Afrique. Les grandes institutions des métropoles capitalistes ont presque rivalisé d’intentions généreuses à son égard, de la Commission pour l’Afrique de Tony Blair à la Société du Compte du Millénaire de G.W. Bush, de la Banque Mondiale sous la direction de Paul Wolfovitz au G8 réuni à Gleneagles, des Objectifs du Millénaire pour le Développement onusiens à l’engagement japonais lors du Sommet sur les Affaires Asie-Afrique (avril 2005, Djakarta). La manifestation la plus médiatisée de cette générosité a été l’annonce de l’effacement de 40 milliards de dollars de dette multilatérale, de 18 pays parmi les plus pauvres, presque tous africains.
Cependant toute cette générosité semble être sans effet sur la réalité. L’Afrique subsaharienne demeure soumise aux mécanismes ravageurs de la mondialisation néolibérale, que nous présentons à partir des cas du Niger et du Mali, deux pays des plus pauvres de la planète, selon le Programme des Nations Unies pour le Développement, dont les peuples ne font pas preuve de résignation.
Niger, pays le plus pauvre
Pendant le premier semestre 2005, trois millions de personnes de tous âges ont été exposées à la famine et abandonnées à leur sort au Niger. Des centaines de victimes surtout parmi les enfants qui mourraient au rythme d’une dizaine par jour de la sécheresse et de l’invasion des criquets ayant détruit les champs. Situation que le gouvernement de ce pays sahélien n’a pu contrecarrer par quelque dispositif préventif, hésitant même d’en accepter la réalité. Quant à la « communauté internationale », elle a attendu des mois et des morts, avant de se mobiliser, malgré l’alarme lancée par des associations locales et par maints observateurs [1] .
L’invasion des criquets et la sécheresse de l’année n’ont fait qu’aggraver une situation déjà déplorable due aux politiques économico-sociales exécutées par les différents régimes néocoloniaux qui se sont succédés depuis l’indépendance. Le passage du néocolonialisme classique des trois premières décennies à la néolibéralisation présentée comme solution n’a nullement produit l’effet promis [2] . Bien au contraire, malgré sa mise sous tutelle des institutions de Bretton Woods, sous forme de Programme d’ajustement structurel, depuis 1981, le Niger est ainsi, de nos jours, le pays le plus pauvre de la planète, selon les Indicateurs du développement humain (IDH) du PNUD : 63 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté , environ 83 % sont analphabètes, la mortalité infantile atteint 121,69.
Le fardeau de la dette publique extérieure, dont l’encours en 2005 s’élève à 832,1 milliards de Francs CFA (1,27 milliard d’euros), soit 66,3 % du PIB nominal est l’une des raisons de l’incapacité de l’État nigérien d’éviter ou de parer à cette catastrophe sociale. S’il était objectivement impossible d’agir sur la pluviométrie, au moins la lutte contre l’invasion des acridiens aurait été menée avec quelque efficacité, si l’État nigérien n’avait pour priorité le respect de l’échéancier du service de la dette publique extérieure, qui représentait 22,4 % des recettes budgétaires en 2004. Embarqué dans l’Initiative pays pauvre très endetté (PPTE), censée réduire le fardeau de la dette, l’État nigérien ne connaît, ces dernières années (à l’exception de l’an 2001), aucun arriéré de paiement du service de la dette. Ceci au détriment des secteurs sociaux, comme la santé et l’éducation dans lesquels l’économie des coûts a, par exemple, conduit au recrutement massif des volontaires sans formation et faiblement rémunérés, en remplacement d’une grande partie du personnel formé, qualifié [3]. Même pour répondre à l’urgence sociale d’éviter ou réduire l’impact de la crise alimentaire, il ne pouvait y avoir dérogation à l’exigence du « renforcement de la gestion publique pour aider à bien cibler et hiérarchiser les dépenses » [4] du programme de facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, dont l’État nigérien est « bénéficiaire ».
Humanisme néolibéral
Les victimes de cette famine ne correspondaient pas, sans doute, au profil du pauvre dessiné par le FMI et la Banque Mondiale. Ainsi, a-t-il fallu attendre la mise en spectacle médiatique du drame pour que soit, en partie, entendue la revendication de la distribution gratuite des vivres aux affamés. Une revendication de bon sens qui semblait une énormité pour le gouvernement et ses partenaires de la « communauté internationale » (États-Unis Union européenne), car leurs options c’était la vente des vivres à prix « modérés » aux affamés ou l’échange des vivres contre du travail.
Les familles qui avaient encore quelques têtes de bétail, décharnées, les vendaient à des prix on ne peut plus dérisoires. D’autres arrivaient à s’endetter, à défaut d’avoir la force de travailler. « Trade, not aid » [5], tel est le principe de la politique de « coopération » du gouvernement des États-Unis sur lequel veillait USAID, soutenu par l’Union Européenne et le Programme alimentaire mondial. Ce drame a été l’occasion de consolider les rapports marchands dans la société et l’individualisme qui les accompagne, amplifiés à l’époque néolibérale.
Il va de soi que cet humanisme néolibéral et spectaculaire ne pouvait que réduire l’ampleur du désastre, non lui apporter une solution radicale. Le projet de la « communauté internationale » tant répété est la « réduction de la pauvreté » à long terme, non pas son éradication, pourtant objectivement possible. Ainsi la crise alimentaire perdure : « Les prix sont toujours très élevés sur les marchés, ce qui empêche de nombreuses familles d’acheter la nourriture, à cause de la décapitalisation subie pendant la crise : pour rembourser les dettes contractées, les familles empiètent sur la récolte d’octobre, alors que seulement 2/3 de la terre ont pu être cultivés par manque de semences et de main-d’oeuvre, ce qui accroît leur vulnérabilité et le risque de malnutrition. Les effets de la crise vont se prolonger pendant l’année 2006 » [6]. Dans certaines régions, la situation des enfants s’est même aggravée. La « communauté internationale » manque de volonté pour réunir les 80 millions de dollars qu’exige la situation : seulement 16 millions de dollars ont été réunis au premier semestre 2005, alors que « les guerres d’Irak et d’Afghanistan coûtent aujourd’hui 5,6 millions de dollars par mois, soit, à quelques décimales près, l’équivalent du produit intérieur brut du Niger en un an. Et une rallonge de 202 milliards (pour les six prochaines années) vient d’être accordée au Département de la sécurité intérieure, chargé de protéger le territoire et les intérêts américains » [7] .
On est tenté de parler de « famine néolibérale » comme Mike Davis parle de « famines coloniales » [8]. Car, une famine déclarée c’est pour les généreux « donateurs » un futur marché possible. De façon classique, il s’agissait de faire changer les habitudes alimentaires des sinistrés. Par exemple, à une population traditionnellement consommatrice de mil, les « donateurs » offraient plutôt du maïs ou du riz qui deviendrait ainsi, subséquemment, un produit de consommation courante à importer.
Mais, de nos jours, il s’agit plus d’une opportunité à saisir pour faire accepter les produits génétiquement modifiés. Ainsi, la position du gouvernement nigérien en la matière a connu une évolution assez rapide depuis la reconnaissance officielle de la crise alimentaire. Alors que le Cadre national de biosécurité, élaboré en 2005, exprime une certaine prudence, en novembre 2005, Niamey, la capitale du Niger, est le lieu choisi pour organiser un séminaire régional sur « La couverture médiatique de la biotechnologie agricole - Contraintes et opportunités pour la presse en Afrique de l’Ouest ». Un séminaire organisé par l’Institut international de recherche sur les cultures en zones tropicales et semi-arides (ICRISAT), l’International Service for Acquisition of Agribiotech Applications (ISAAA) et l’UNESCO. L’ISAAA est un organisme qui a pour vocation la lutte contre la faim et la pauvreté dans les pays dits en développement, surtout par la promotion des cultures transgéniques. Ses principaux financiers sont Cargill, Dow AgroSciences, Monsanto, Pionneer Hi-Bred, Syngenta qui sont aussi les principales multinationales des OGM. A l’occasion de cette opération de consolidation de l’endoctrinement des journalistes [9] , a été ôté le cache-sexe sur l’expérimentation des céréales génétiquement modifiées dans la station de recherche de l’ICRISAT, à quelques kilomètres de Niamey, visitée par les séminaristes. A quelque chose malheur est bon pour les marchands d’OGM. Ainsi, cette crise alimentaire va légitimer un processus de mise en dépendance agricole accentuée, en matière de semences, de la paysannerie nigérienne, voire de disparition des plus pauvres, en tant que petits agriculteurs et petites agricultrices indépendants qui iront grossir les rangs du lumpen-prolétariat.
Vu qu’il s’agissait d’une ancienne colonie française, restée dans le giron de la Françafrique [10], il y avait une générosité très intéressée. Celle de la Compagnie générale des matières nucléaires (Cogema, du groupe Areva) [11]. Celle-ci est en grande partie redevable à l’uranium nigérien, pillé de façon jalousement monopolistique pendant longtemps. Mais les forfaits de la Cogema-Areva sont désormais exposés publiquement, grâce à la relative « ouverture démocratique » locale et au développement de la conscience antinucléaire, par l’ONG locale Agherin’man (bouclier de l’âme), la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD, France) et l’Association Sherpa (des juristes contre l’impunité dont jouissent les multinationales en matière de violation des droits des travailleurs en particulier, des droits humains et de l’écologie en général) [12]. Cette mise à nu des conditions de travail dans les mines (faible rémunération, exposition des travailleurs à la radioactivité sans véritable système de protection et de contrôle médical), de la pollution de l’environnement aux conséquences fâcheuses sur les populations voisines et l’environnement risque d’aboutir à une réduction des profits en cas de conformité aux normes internationales.
La néolibéralisation s’est en grande partie déroulée dans le respect des rapports françafricains. C’est par exemple Vivendi qui a pris le contrôle de la distribution d’eau [13]. Cependant, la privatisation des télécommunications du Niger a plutôt bénéficié à la firme chinoise ZTE en progression sur le marché africain. Ce malgré l’appartenance du Niger à la zone monétaire du Franc CFA. Cette concurrence parfois défavorable risque de se reproduire concernant l’exploitation à venir de l’or, des phosphates et du pétrole. C’est sans doute pour maintenir les relations privilégiées, quelque peu érodées, que l’État français semble accorder une grande importance à la bonne organisation des 5ème Jeux de la Francophonie (7-17 décembre, Niamey ). Alors que 2 millions de Nigériens risquent de manquer de « pain » pendant le déroulement des jeux [14] . La Francophonie, sauf pour les gogos, est en fait la vitrine culturelle d’une affaire plutôt politico-économique, pour l’État du capital français. Mais, avant ces jeux et pendant le calvaire des enfants et adultes malnutris, les projecteurs de l’actualité françafricaine vont être tournés sur le pays voisin, aussi bien géographiquement que dans le classement en matière sociale ou d’indifférence de la part d’une grande partie de l’humanité, comme le dit cet animateur d’Action contre la faim : « Le Mali et le Niger sont des pays oubliés par la Communauté internationale, qui réagit aux crises de manière ponctuelle et non sur le long terme. » [15]
Privatisations au Mali
Le Mali a été moins affecté par l’invasion acridienne et la faible pluviométrie dans la région. Toutefois, il partage avec le Niger presque les mêmes Indicateurs du développement humain, qui font de lui le 174ème pays sur 177 [16] respectant aussi scrupuleusement l’échéancier, autrement dit sans arriérés de paiement. Ainsi, la mauvaise fiche sociale est aussi la conséquence de la politique de l’État malien pendant la phase néocoloniale précédente, l’ayant placé sous la coupe du FMI et de la Banque Mondiale. Une décennie de « démocratie » n’a nullement amélioré la situation sociale héritée de la période dite non-démocratique. Bien au contraire. La succession des gouvernements élus c’est aussi la continuité de l’État en matière d’Ajustement structurel néolibéral, malgré la différence des rythmes en ce qui concerne aussi bien la privatisation que la libéralisation des marchés et autres préceptes néolibéraux de la Banque Mondiale et du FMI. L’actuelle équipe gouvernante, dirigée par le général Amadou Toumani Touré, semble plus déterminée que la précédente à satisfaire les institutions gestionnaires de la néolibéralisation, malgré des conséquences sociales dramatiques. Ce au profit des investisseurs dits stratégiques qui prennent le contrôle des secteurs les plus rentables de l’économie dite malienne.
C’est en effet dans le cadre de cette néolibéralisation qu’a eu lieu la privatisation de la Régie des Chemins de Fer du Mali (RCFM). L’actionnaire majoritaire de la nouvelle entreprise Transrail SA est au départ un consortium canado-français Canac-Getma [17]. Une privatisation qui est assez caractéristique des rapports de domination impérialistes : la RCFM évaluée à 105 milliards de FCFA (160 millions d’euros) a été octroyée à 5 milliards (7,622 millions d’euros). La nouvelle entreprise ayant fait le choix du plus grand taux de profit, priorité a été accordée au transport des marchandises, sur celui des voyageurs [18]. Ce qui a entraîné la suppression de deux-tiers des gares (26 sur 36) alors que pendant un siècle la vie s’était organisée autour de ces 36 gares (qui sont aussi des villages). Les habitants sont ainsi désemparés : les voyageurs et les familles des cheminots constituaient la clientèle pour leurs produits. Transrail a ainsi contribué au développement de la pauvreté en milieu rural. De plus, 612 cheminots ont été licenciés et certains acquis sociaux des cheminots, par exemple les pensions de retraite versées aux veuves, ont été soit revus à la baisse soit supprimés. Ce qui a suscité l’indignation et une résistance citoyenne pour le retour à la régie du rail malien. Un Collectif citoyen pour la restitution et le développement intégré du rail malien (Cocidirail) a vu le jour. Mais la répression n’a pas tardé à s’abattre sur lui. Son principal animateur, un ingénieur, ancien directeur adjoint de l’École Supérieure Africaine des Chemins de Fer, Tiécoura Traoré, a été purement et simplement licencié, en violation flagrante de la législation du travail. Le Cocidirail ne s’est pas pour autant démobilisé.
Contre-réforme agraire
D’autres secteurs importants de l’économie malienne sont victimes de cette restructuration néolibérale, avec des graves conséquences sur la vie des populations paysannes. C’est le cas de l’Office du Niger [19], productrice de riz depuis la période coloniale, nationalisée après « l’indépendance », soumise à une privatisation rampante depuis 1984, sous l’égide de la Banque Mondiale, avec à la clef la libéralisation de la commercialisation du paddy dès 1985, et une compression des effectifs de 70 %.
Depuis quelque temps, il y est question d’une réforme foncière qui menace les paysans jouissant de l’usufruit sur les terres de l’ON, mais aussi par leur mise en concurrence avec de gros investisseurs. Ce contre quoi ils résistent : « On affirme que nous sommes dans un État de droit, mais nous, les cultivateurs, ne le savons pas. Nous sommes considérés comme des esclaves. A l’ON, il n’y a que la corruption, la magouille et l’injustice qui prévalent. Nous avons payé les redevances légalement dans le délai fixé par le Président de la République. Et voilà qu’on nous retire nos champs de riz pour les donner aux nouveaux bénéficiaires qui vont récolter nos produits. Nous préférons mourir que de perdre nos champs. Si les autorités ne prennent pas leurs responsabilités, advienne que pourra » [20] , Ces paysans qui ont travaillé et habité légalement sur ces terres pendant des décennies refusent cette perte du droit d’exploitation des terres et leur remplacement par de gros investisseurs, sous le prétexte fallacieux de ne s’être pas acquittés à temps de la redevance eau. Ils sont par ailleurs confrontés à la hausse de plus de 200 % du coût des intrants agricoles. Seuls les plus pourvus financièrement survivront dans la jungle néolibérale.
Cette réforme foncière se réalise au moment où se développe la mobilisation des femmes paysannes pour l’accès à la terre. Ce qui rend plus difficile cette lutte ; c’est que les hommes tendent à la considérer secondaire, au lieu de s’y appuyer pour mieux faire avancer la cause commune. Mais, il ne suffit pas d’être victime d’une injustice pour être en mesure de perdre ses propres privilèges, même symboliques.
Avec l’ON, l’autre cible de la néolibéralisation dans le secteur agricole est la Compagnie malienne de développement et des textiles (CMDT ), l’ex-Compagnie française de développement et des textiles (CFDT). C’est la compagnie du coton, dont le Mali était le principal producteur de la sous-région. Sa privatisation est une pomme de discorde entre les institutions de Bretton Woods et le gouvernement malien qui en redoute les conséquences sociales et électorales, vu la place du coton dans la vie rurale et au-delà . Car, c’est plus du quart de la population malienne, soit environ 3,5 millions de personnes, qui vivent directement et indirectement du coton. Comme le disaient ces deux sexagénaires lors du Forum des Peuples de Fana (choisi comme site à cause de son statut de 2ème région productrice de coton), dans le cadre de la Conférence populaire paysanne (qui a aussi parlé de l’accès à la terre des femmes rurales) au cours de laquelle des échanges ont eu lieu avec des participant/es venu/es du Bénin, du Burkina : « S’il faut maintenant vendre notre espoir en privatisant la CMDT, vraiment nous ne sommes pas d’accord. » [21] La vie quotidienne des petits paysans et paysannes producteurs de coton connaîtra ainsi le sort de leurs compatriotes des gares ferroviaires et de ceux confrontés à l’ON. C’est autour de la CMDT qu’est organisée la vie sociale et les infrastructures. Mais le partenaire français, Dagris, ex-CFDT (actuellement actionnaire à 60 %) est à l’affût, refusant de contribuer au financement du déficit de la CMDT, pour mieux en accélérer la privatisation complète. Car, si le prix du coton aux producteurs est en baisse ces dernières années, le coton de la région du FCFA, dont le Mali a été le principal producteur jusqu’en 2004, est absorbé à 60 % par le marché chinois. Ce qui est en soi une aubaine pour tout investisseur qui se débarrassera de maintes charges sociales, avec la privatisation complète, qui est un engagement pris par l’État malien dans le cadre de l’Initiative PPTE, d’allégement de la dette. L’actuel gouvernement malien a pu obtenir de la Banque Mondiale et du FMI son report en 2008 car l’année 2007 est une année électorale au Mali. La dernière mission de la Banque Mondiale au Mali a mis au point les modalités de privatisation. Pour satisfaire tous ceux, capitaux multinationaux et privés, qui salivent, pour les profits à réaliser, c’est la filialisation, inégalement rentable certes, qui a été retenue.
Un autre aspect de cette restructuration, libéralisation du secteur cotonnier qui est préjudiciable à la petite paysannerie, c’est l’introduction des semences génétiquement modifiées que les petits producteurs participant au Forum des Peuples à Fana ont vigoureusement dénoncée. En effet, en collaboration avec la Banque Mondiale, USAID, les multinationales productrices des semences génétiquement modifiées Dow AgroSciences, Monsanto, Syngenta (Novartis), ont initié un Projet COTI-2 de « Développement de la culture du coton génétiquement modifié au Mali ». Ainsi est programmée la dépendance de la petite paysannerie à l’égard des semenciers. Sous prétexte de mettre le progrès technologique au service des pauvres sont préparées en fait leur dépendance et la marginalisation des plus dépourvus ou leur transformation en simple prolétariat agricole, surexploité [22] .
Législation du travail en danger
En effet, en échange de l’allégement de la dette, comprenant l’effacement surmédiatisé de la dette multilatérale, le Mali est tenu, comme le Niger, d’améliorer les conditions de réalisation du profit. Comme l’a dit le porte-parole du gouvernement malien, Ousmane Thiam, lors de sa visite à Paris, en septembre 2005, le Mali prépare « une simplification des procédures et des formalités liées à la création d’entreprises le retoilettage du Code des investissements, qui est non seulement plus attractif, mais qui met l’entrepreneur étranger sur le même pied d’égalité que le malien » [23]. Il s’agit non seulement de confronter le petit entrepreneur malien aux multinationales, mais aussi de réduire a minima la protection sociale des travailleurs. C’est ce qui est quasi-explicitement suggéré par le gouvernement des États-Unis, en disant que « les lois du travail sont restrictives au Mali et la difficulté de l’embauche et du licenciement sont des obstacles supplémentaires » [AGOA, Competitiveness Report, p. 23.]] . Le but est une généralisation de ce qui s’est produit à la RCFM contre les travailleurs organisés pour la défense de leurs droits.
La criminalisation de la défense des droits des travailleurs est un principe du néolibéralisme éprouvé aussi par les syndicalistes de la Société malienne d’exploitation (Somadex). Dans cette entreprise d’exploitation de l’or à Morila, appartenant à Bouygues, les travailleurs revendiquent principalement le payement de la prime de rendement indexée sur le taux de dépassement de la production [24]. Car, par frénésie accumulatrice, la Somadex a produit, en trois ans, 83 tonnes d’or au lieu des 33 tonnes prévues par la convention d’exploitation [25]. Ce qui signifie aussi une exploitation intensive de la force de travail. Les travailleurs revendiquent l’établissement de vrais contrat de travail, à la place des contrats de travail falsifiés, avec la complicité des nationaux, et qui ont causé le licenciement de trois cents travailleurs, sans paiement de leurs droits et indemnités. Des abus que les travailleurs n’ont pas admis, jusqu’à déclencher en juillet 2005 une grève face au refus de la direction de l’entreprise d’entendre leur demande de respect des droits [26]. La réponse de la direction, avec la complicité de certaines autorités locales, a été la répression. Pour légitimer celle-ci aux yeux de l’opinion, divers actes de violence commis dans le village ont été attribuésauxtravailleursen grève. Ainsi, une trentaine detravailleursontétéemprisonnés par la gendarmerie. Une vingtaine ont été par la suite relâchés, au moment où était arrêté (en octobre 2005), le secrétaire administratif du comité syndical, Karim Guindo. Pour échapper à cette répression, les autres dirigeants syndicaux, dont le secrétaire général, Amadou Nioutama, sont contraints à la clandestinité [27]. Leur principal délit est d’avoir voulu perturber l’accumulation du surprofit néocolonial par cette entreprise se comportant comme en territoire conquis. Ce qui pouvait par ailleurs servir de mauvais exemple aux travailleurs des autres entreprises exploitant l’or au Mali qui ne sont pas plus soucieuses des droits des travailleurs et de l’environnement [28].
Pourtant, cette arrogance a fini par lasser le gouvernement malien dont le projet de maintien au pouvoir à l’issue des prochaines élections pouvait être contrecarré par le non-respect, par Bouygues, à travers sa filiale Saur International, du contrat de partenariat d’Énergie du Mali (EDM) établi en 2000. En effet, Saur s’est avéré davantage intéressé par les profits à court terme (hausse des tarifs d’eau et d’électricité) que par les investissements qu’il s’était engagé à réaliser qui devaient favoriser l’extension des réseaux de distribution d’eau et d’électricité. Ainsi, l’État malien s’est vu obligé de lui retirer, en octobre 2005, son statut d’actionnaire majoritaire dans EDM, violant ainsi le sacro-saint principe néolibéral d’amaigrissement du patrimoine économique des États, alors que la réunion des ministres de l’Économie et des Finances de la Zone Franc (des 19 et 20 septembre 2005, à Paris) venait de lui recommander, entre autres, de « poursuivre la mise en oeuvre du programme économique et financier soutenu par le FRPC, notamment les réformes structurelles dans les secteurs cotonniers et de l’électricité ». Cet acte à motivation plutôt électoraliste lui a valu une mission spéciale de la Banque Mondiale et du FMI, dont le programme de lutte contre la pauvreté n’inclut pas la baisse des tarifs d’eau et d’électricité en faveur des pauvres, de surcroît par une entreprise majoritairement étatique.
Concurrence inter-impérialiste
C’est aussi une opération maladroite du gouvernement malien, organisateur du XXIIIème Sommet Afrique-France. Surtout en une période caractérisée par la poussée états-unienne sur le continent dans le secteur pétrolier en particulier et bien d’autres, dans le cadre de l’AGOA [29]. Le 4ème Forum Afrique-États-Unis (juillet 2005 à Dakar ) a été, entre autres, une phase de l’avancée des États-Unis sur le continent. Le Secrétaire américain à l’Agriculture, Mike Johanns, y a même prêché la communauté d’intérêts qui existerait entre les États-Unis d’Amérique et l’Afrique subsaharienne à l’OMC, contre l’Europe : « nous devrions serrer nos rangs pour dire aux Européens et aux autres qu’il est temps d’ouvrir leurs marchés à nos produits ». La promotion des OGM aussi s’inscrit dans le cadre de cette cause commune contre l’Europe, aussi peu soucieuse que les États-Unis du sort des pauvres et affamés d’Afrique subsaharienne [30]. Des délégations africaines du pré carré français y ont été sensibles. Déjà dans son discours d’ouverture, le chef de l’État sénégalais, l’économiste libéral Abdoulaye Wade, avait affirmé avec assurance : « L’AGOA symbolise une nouvelle vision des relations internationales () le chemin qui conduit l’Afrique vers la mondialisation » [31].
Sans qu’il soit déjà question de remise en cause du « partenariat » privilégié avec la métropole néocoloniale, le Mali et le Niger, font partie de ces pays sensibles à la poussée états-unienne [32]. Futurs producteurs de pétrole, ils entrent de ce fait dans ce qui est considéré à Washington comme le champ de la sécurité nationale des États-Unis. Ainsi, le gouvernement américain les a-t-il intégrés, à travers par exemple « l’Opération Flintock 2005 » [33] dans son programme de « lutte contre le terrorisme ». Toutefois ces différents aspects de la « coopération » états-unienne demeurent basés sur le respect des préceptes du néolibéralisme par les États « partenaires » africains. La soumission au Consensus de Washington demeure la condition cardinale.
Résistances
La reproduction de la pauvreté n’est pas une fatalité. L’année qui s’achève a été aussi une année de résistance à l’ordre qu’imposent aux peuples les maîtres de la mondialisation néolibérale et leurs relais locaux. Dans l’indifférence générale de l’opinion publique internationale, certaines organisations de la société civile nigérienne se sont alliées pour mobiliser, malgré les intimidations et la répression, contre la vie chère symbolisée par l’instauration d’une TVA de 19 % sur les denrées de première nécessité. Une mesure antisociale inscrite dans le cadre de l’intégration régionale de l’Afrique de l’Ouest. Si l’actuel président en exercice de l’Union Africaine, le chef de l’État nigérien, le Général Olosegun Obasanjo, n’a pas la cynique franchise de son collègue sénégalais Abdoulaye Wade exprimant son adhésion aux valeurs du capital états-unien [34], il n’en est pas moins un partisan. Ce qu’il ne cesse de prouver non seulement en confiant le département de l’Économie et des Finances à une technocrate de la Banque Mondiale, mais aussi en persévérant dans le projet de hausse du prix de l’essence et du pétrole lampant. Ce, malgré le succès à répétition des appels à la mobilisation, lancés par certaines centrales syndicales alliées au mouvement démocratique [35], contre cette mesure résultant d’une aliénation des ressources pétrolières au profit des multinationales et de quelques capitaux privés nigérians et qui ne ferait qu’aggraver la pauvreté de la majorité de la population nigériane. Quant à Thabo Mbeki, sa réélection en 2004 n’a pas empêché la contestation populaire de sa politique sociale, y compris par la centrale syndicale Cosatu, allié de l’ANC. Contre les revendications sociales dans les townships il a même envisagé d’envoyer la police. Ce qui n’aurait pas manqué de rappeler un passé récent. Ainsi, derrière son discours nationaliste sur la « Renaissance Africaine » se révèle plutôt un projet d’intégration d’une partie de l’élite noire dans les circuits du capital néolibéral [36].
Les élites gouvernantes africaines appliquent les préceptes du néolibéralisme aussi pour leurs intérêts privés. Elles préparent l’asphyxie de la petite paysannerie en articulant réformes foncières néolibérales et introduction des semences génétiquement modifiées. Ce que les associations paysannes présentes au Forum des Peuples à Fana, sommet alternatif au G7 (juin, Mali) ont vigoureusement dénoncé [37]. Malheureusement, la présence des associations paysannes d’autres régions d’Afrique, au-delà de l’Afrique de l’Ouest, a été faible. Il en a été autant des syndicats africains et d’autres composantes du Forum Social Africain, dont est pourtant membre le Forum des Peuples. Alors qu’il s’agit d’une occasion particulière : un forum à vocation continentale qui se tient toujours en zone rurale, qui permet aux paysans et paysannes de la localité choisie d’être présents plutôt que représentés, d’échanger avec ceux et celles d’ailleurs. Le voisinage du Mali et du Niger devrait être mis à profit pour consolider les solidarités permanentes, encore embryonnaires, à étendre dans la sous-région, pour commencer, où sévissent parfois les mêmes multinationales de distribution d’eau, d’électricité, d’exploitation minière, de vente des OGM. Ainsi, par exemple, entre cheminots du Mali et du Sénégal contre leurs États et les acquéreurs privés des chemins de fer nationaux. A l’instar des syndicats africains des dockers, de l’Afrique du Sud au Nigeria, se coordonnant pour la lutte contre les pavillons de complaisance.
L’organisation au Mali d’un sommet alternatif au 23ème Sommet France-Afrique est une initiative qui devrait se poursuivre. Non seulement contre la Françafrique, mais aussi contre les autres messes d’organisation de la paupérisation des peuples. Contre l’opinion favorable que semble avoir l’AGOA dans certains milieux, que semble illustrer le dialogue de la confédération des ONG du Sénégal (Congad) avec l’AGOA, il faut aussi rappeler la nature du capital états-unien, qui n’est ni moins impérialiste ni moins criminel socialement que le capital français. Pour mémoire, la récente intervention des États-Unis au Libéria, contre le régime oligarchique du seigneur de guerre Charles Taylor qui bénéficiait du soutien du capital français a favorisé l’exploitation par Firestone, en toute impunité, « de manière quasi-esclavagiste la main-d’oeuvre employée dans sa plantation d’hévéas au Liberia », dont dix mille enfants [38] .
C’est donc contre les différentes facettes de cet ordre qu’il faut s’organiser. Pour un autre monde possible débarrassé de l’exploitation des êtres humains par d’autres, de toutes les oppressions, il faut construire des solidarités permanentes, surtout avec les plus pauvres, pour une alternative radicale. Une radicalité altermondialiste africaine en solidarité avec les radicalités extra-africaines, sans les hiérarchies héritées des passés esclavagiste et colonial. Mais aussi sans négrisme, car l’alternative au racisme ne peut être un racialisme. Ainsi, un projet tel celui de l’African People’s Socialist Party, appelant à une Internationale Socialiste Africaine nous semble encore très marqué par le panégrisme de Marcus Garvey et risque de nourrir le racialisme, plutôt que le socialisme comme alternative démocratique à l’ordre multidimensionnel du Capital [39].
L’organisation du Forum social mondial polycentrique à Bamako, par la proximité géographique, est une opportunité à saisir, pour organiser la discussion collective et démocratique sur la solidarité permanente, pour une alternative africaine radicalement altermondialiste.
Jean Nanga, correspondant d’Inprecor pour l’Afrique subsaharienne.
– Source : www.inprecor.org, N° 511/512, novembre-décembre 2005.
Famine et marchandisation de la charité au Niger, par Jean Nanga.<BR>
Des villageois réduits à manger des feuilles.
Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) dans l ’agriculture : Enjeux et Etat des lieux en Afrique de l’Ouest.
L’USAID : comment faire pour que le monde ait faim de cultures génétiquement modifiées.
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