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L’obsolescence des idéologies universalistes libertaires devant les fractures géopolitiques induites par la globalisation transhumaniste

Comme nous l’écrivions précédemment, le second mandat de Donald Trump augure, par ses politiques chaotiques (erratiques pour certains, folkloriques pour d’autres), de nombreuses et lourdes incertitudes pour le monde. Mais celles-ci, quoique déstabilisantes et sans être porteuses de réjouissance pour l’humanité, ne sont pas moins éclairantes. Car, dans leur enchevêtrement paradoxal avec d’autres incertitudes, elles provoquent des fissures et ouvrent des brèches dans la forteresse capitaliste ; laquelle, dans sa phase néolibérale sauvage, « d’exploitation sans limite », dite globaliste et transhumaniste, est de plus en plus déshumanisante. Chemin faisant, ces fissures offrent, moyennant l’assumation de l’intelligence de la complexité, des perspectives vers de nouvelles lignes de front et augurent le besoin de nouvelles postures, plus dignes, courageuses, véridiques et éthiques, pour forger une résistance collective innovante des peuples contre la géostratégie de la globalisation. Résistance d’autant plus impérieuse, que les insignifiants anoblis qui pilotent la globalisation, dans leur dégénérescence, ne connaissent plus de limites et sont prêts à toutes les folies, toutes les inhumanités, quitte à sacrifier une grande part de l’humanité (Ukraine, Gaza, Haïti, etc…), pour maintenir leur hégémonie indigente. C’est pour chercher de nouvelles postures culturelles, plus stratégiques que militantes, capables de résister face à cette déshumanisation, que nous voulons problématiser les politiques chaotiques de Donald Trump. Car dans leur fracas, elles offrent un centre de gravité où chaque peuple peut s’ancrer, dans les racines de sa culture et de son identité, pour définir les bases de la nouvelle résistance contre la géostratégie de la déshumanisation. Il ne s’agit ni d’idéalisme, ni de sympathie envers Trump, ni de séduction fasciste, juste une pensée d’ouverture, comme posture stratégique basée sur les divergences structurantes pour un équilibre transformationnel plus digne pour les peuples.

La thèse de l’identité culturelle comme défi stratégique et non repli sectaire

Notre argumentaire soutient la thèse que, devant la multiplicité et la complexité des crises qui augmentent les fractures du monde, tout en structurant l’impuissance des peuples devant leur exploitation sans limites, c’est sur le terrain de la culture et de l’identité, non pas comme repli sectaire et réactionnaire, mais comme ferment stratégique d’une nouvelle écologie de valeurs et d’un “ Humaniste de la diversité ”, que se joue leur avenir. Et en cela les politiques chaotiques de Donald Trump, sont, par-delà leurs motivations, un atout inespéré que doivent exploiter ceux et celles qui prétendent lutter contre l’invariance de la déshumanisation qu’institue le capitalisme dans ses multiples transformations. De fait, l’incapacité des prétendues avant-gardes progressistes de part et d’autre dans le monde à décoder les signaux faibles du chaos trumpien, comme augures de nouveaux possibles hors de l’invariance de l’exploitation capitaliste, est un impensé stratégique qui confirme l’obsolescence des idéologies de l’après-guerre pour approprier la complexité du monde. Car, reposant sur des certitudes doctrinales et sur des impostures démocratiques, qui partagent le monde de manière simpliste en bons et méchants, elles offrent peu de marges pour faire surgir une pensée d’ouverture comme posture stratégique indispensable pour des actions innovantes.

Et pour cause ! Comme le dit Alain Charles Millet, « Toute situation complexe appelle la stratégie qui appelle en retour une pensée complexe » (La dialogique généralisée, fondement de la stratégie, cité in : Sur les pas de Jean-Louis Le Moigne, 2024, Projectique, n° 37, De Boeck Supérieur). Et pour que la stratégie rayonne, elle a besoin d’un ferment culturel dense et contextuel. Comme exemple de cas, on peut prouver que Haïti se fossilise anthropologiquement et se désintègre humainement à vue d’œil, c’est parce que de 1804 à 2025, ses élites culturelles ont toujours vécu dans l’imposture d’une culture qui n’est qu’enfumage, insignifiance et servitude (Jared Diamond, L’effondrement, Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, 2006, Gallimard).

L’hypothèse de notre argumentaire repose sur le postulat bourdieusien qui soutient que l’essence du néolibéralisme consiste à briser toutes les structures collectives capables de résister et de faire obstacle à la logique du marché pur (Pierre Bourdieu, Contre-feux. Propos pour servir à la résistance contre l’invasion néo-libérale, Paris, Liber-Raisons d’Agir, 1998). Et pour s’y prendre, la globalisation, qui est actuellement la forme dégénérée de cette logique asservissante et déshumanisante, a trouvé l’enfumage parfait pour mieux dégrader la culture et affaiblir la résistance des peuples, en orientant leur destin vers de pseudos valeurs universelles, les déracinant de leur socle identitaire.

Quand les pays du Nord conditionnent leur aide au développement aux pays du Sud à l’adoption du mariage pour tous comme règle de droit universel, il y a manifestement quelque chose qui heurte le fondement des valeurs et de la dignité des peuples. Cela ne sous-entend pas que les gens de même sexe n’ont pas droit à tous les droits comme les autres, mais faire du mariage pour tous, la condition suprême pour accéder à tous les autres droits est un enfumage et une imposture démocratiques. C’est d’autant plus vrai que l’ex secrétaire d’État, Antony Blinken, avait ouvertement déclaré que : «  Défendre et promouvoir les droits LGBTQI+ à l’échelle mondiale est la bonne chose à faire, mais au-delà de cela, c’est la chose intelligente et nécessaire à faire pour notre pays, pour notre sécurité nationale, pour notre bien-être ». Il ne fait aucun doute qu’il s’agit de la sécurité et du bien-être des États-Unis.

Dès lors, le bon sens commande de voir dans ces enfumages, non pas des droits effectifs pour la dignité des peuples, mais des stratégies d’abrutissement pour mieux protéger les structures invariantes de la domination séculaire du capitalisme. Or, signe d’impensé stratégique, les gauches, un peu partout dans le monde entier, parce que devenues majoritairement depuis mai 1968, des avant-postes culturels libertaires de toutes les débauches (au nom de la fameuse injonction : interdit d’interdire), se sont vautrées sur ces impostures, oubliant que les structures collectives de résistance des peuples se fondent sur leur identité culturelle et leur dignité. Une identité qui peut être pensée, loin du repli sectaire et réactionnaire que prônent les extrémistes de droite européens et les suprémacistes étasuniens, mais comme ferment écologique d’un humanisme diversifié (Alain Renaut, Un humanisme de la diversité, 2009). Un humanisme qui se veut à la mesure de la complexité du monde (Aimé Césaire cité par Julien Suaudeau, Mame-Fatou Niang, Universalisme, 2022) et non le reflet des injonctions globalistes que vendent les réseaux médiatiques, académiques et politiques, pour mieux verrouiller le monde sur son impuissance et son insignifiance, en propulsant les peuples dans des retranchements déshumanisants.

Et comme, pour paraphraser Albert Camus, « Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude » (Entretien accordé à la revue Caliban en 1951), le chaos trumpien actuel, qui fissure la strate droit-de-l-hommiste et culturelle déviante sur laquelle repose la domination séculaire et asservissante de l’Occident, est une bienveillante opportunité. Empressons-nous de dire que cette bienveillance est indépendante des intentionnalités (suprémacistes) et des finalités (mercantiles) recherchées par Donald Trump.

Le point de départ de notre thèse est le suivant : puisqu’il est admis que c’est par sa culture (Albert Jacquard, Inventer l’homme, 1984) ; (Edgar Morin, Le paradigme perdu,1973), qui est ressource pour l’action stratégique innovante (Alain Charles Millet, Homo Strategicus, 2022), et par son identité, qui est source de sa conscience-mémoire (Marie Loup Eustache, Conscience, mémoire et identité, 2013, Dunod), laquelle conscience-mémoire irrigue les flux de l’intelligence collective des peuples (Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, 1968), que l’homme peut orienter son devenir vers des possibles dignes (Claudine Sauvain-Dugerdil, Les possibles de l’individu, pp49-53, cité in : L’homme inachevé : Un devenir à construire : les « possibles » de l’homme, 1987, Cahiers de l’IUED), toutes les fissures dans la forteresse du capitalisme sont des bienveillances à exploiter. Et cela d’où qu’elles viennent, pourvu qu’elles permettent aux peuples de s’ancrer dans leur culture pour réapproprier leur souveraineté et leur dignité, combien émoussées et piétinées par la globalisation.

Les fractures géopolitiques et les nouvelles lignes de front

En effet, parce qu’elles affectent autant les peuples du sud que les alliances militaires, économiques et culturelles du nord, les ondes chaotiques trumpiennes bouleversent l’équilibre invariant sur lequel reposait, jusque-là, le destin ambivalent des peuples du monde (Pierre Hillart, La marche irrésistible vers le nouvel ordre mondial, 2007, Guibert). Une ambivalence d’autant plus inquiétante qu’elle tend vers la déshumanisation, puisque l’exploitation sans limite qui la sous-tend est accentuée par la double réalité asphyxiante, inégalité économique criante (François Bourguignon, La mondialisation de l’inégalité, 2012, Seuil) et chaos géopolitique permanent, que la globalisation (Samir Amin, L’Empire du chaos. La nouvelle mondialisation capitaliste, 1992, L’Harmattan). Toute une dynamique clivante qui ne cesse de séparer le monde en deux rives humainement opposées : une qui est exemptée des maux déshumanisants dont souffre une grande partie du monde, et une qui succombe à tous les fléaux jusqu’à l’érosion de leur dignité humaine : la tyrannie, la faim, les épidémies et l’illettrisme (Pierre Bergounioux, Globalisation, 2020, Gallimard).

En effet, malgré les avancées de la globalisation, il y a dans le monde la même invariance déshumanisante : Au nord, on retrouve la rive de l’abondance pour des élites minoritaires et déviantes qui, quoi qu’étant des fossoyeuses de l’humanité, sont protégées par l’impunité ; au sud, on trouve une majorité empêtrée dans l’impuissance et la pauvreté, jusqu’au bout de l’indignité (Jean Ziegler, Destruction massive : Géopolitique de la faim, 2011, Média Diffusion) ; (Thomas Guénolé, Le livre noir de la mondialisation, 400 millions de morts, 2020, Place des Éditeurs).

Par cette dualité invariante, qui se vit comme une menace existentielle pour la grande majorité des peuples, on comprend le besoin de certains peuples de trouver des lignes de résistance et des trajectoires de fuite, hors de la globalisation exister plus dignement. Ainsi a émergé ce multiculturalisme dont la Russie est un fervent défenseur et par lequel chacun « s’efforce d’être d’abord soi-même, de s’enorgueillir de son identité, sa langue, son histoire, sa religion, ses valeurs » (Jacques Huntzinger, Le globe et la loi : 5000 ans de relations internationales - Une histoire de la mondialisation, 2019, Les éditions du cerf).

Puisque les lignes de front des batailles présentes se gèlent autour du choc des cultures pour une ère de coexistence pacifique dans la solidarité et la dignité, Il semble de ce fait permis de croire que, parce qu’elles fissurent, quoiqu’involontairement, cette citadelle invariante, les politiques de Donald Trump recèlent une part de bienveillance qui laisse retentir les échos d’un vibrant Requiem pour le monde occidental (Pascal Boniface, 2019, Eyrolles). Alors, on se demande alors, comment faut-il se positionner par rapport à Trump ? Doit-il être perçu uniquement à travers le prisme monochrome de ses convictions réputées fascistes, suprémacistes ? Ou faut-il crever la bulle d’enfumage des idéologies obsolètes de l’après-guerre froide et faire preuve d’ouverture d’esprit pour voir, non pas l’individu Donald Trump, à travers une donnée isolée, qui le fige dans des certitudes doctrinales peu sympathiques, si tant est qu’il en possède, mais l’homme d’affaires devenu homme d’État qui, dans son pragmatisme, ébranle l’ordre géostratégique mondial connu depuis la fin de la guerre, en réglant ses comptes avec ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ?

C’est là le but de cette nouvelle tribune : problématiser l’obsolescence des idéologies qui découlent des alliances héritées de l’après-Seconde Guerre mondiale, en regard de l’évolution chaotique qu’imposent les incertitudes du monde et de l’émergence du multiculturalisme.

Des alliances surannées aux idéologies périmées

Et c’est de ce dont Pourtant, devenues surannées, avec l’effondrement du bloc de l’Est en 1991, ces alliances ont été maintenues et exacerbées contre tout bon sens, toute cohérence et tout pragmatisme. Volontairement et aveuglément, ces approches intelligentes, que le contexte de l’après-guerre froide imposait aux élites occidentales, notamment européennes, n’ont pas été adoptées. Car le but évident de ces alliances d’asphyxier la Russie et de contenir la Chine, pour maintenir l’hégémonie américaine comme pivot d’un certain ordre mondial, basé sur de prétendues règles de droit et promouvant des valeurs universelles que l’Amérique ne respecte et n’applique guère.

Et imprudemment, l’Europe, dans une flagrante insignifiance, quoiqu’aux frontières de la Russie, a laissé son espace géographique vital servir de territoire d’instrumentalisation et d’avant-poste de guerre par les États-Unis contre la Russie ; allant jusqu’à fermer les yeux sur les milles provocations, les violations du droit international et changements de régime orchestrés par leur tuteur étasunien. L’illusion de la protection du parapluie des EU, contre un prétendu impérialisme russe, mis en marche par le Tsar Poutine, a aveuglé l’Europe d’une telle insignifiance, qu’elle a oublié que la Russie fait partie de l’Europe, et que le tuteur provocateur et fossoyeur étasunien est continentalement à mille lieux du feu nucléaire russe. Ce que Donald Trump a dans une franchise brutale rappelé aux Européens ; et, depuis, ils se retrouvent sidérés et désemparés devant la nouvelle orientation stratégique que Donald Trump veut donner à la puissance des EU. Une orientation multipolaire qui fait de la force, du business (du deal), des valeurs traditionnelles et de l’identité culturelle, pour ne pas dire anthropologique, les piliers fondamentaux de la puissance. Et c’est cette conception de la puissance que les élites européennes ont abandonnée, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et notamment depuis 1991, en épousant, sans réserve, toutes les valeurs imposées par Washington comme universelles, qui révèle la profondeur de leur insignifiance et l’évidence de leur impuissance.

Pour le comprendre, il suffit de se replonger dans ce texte de Jean-Louis Bourlanges qui, en 2015, avait montré combien il est insignifiant pour un État d’abandonner le repère de ses valeurs, de sa tradition et de son identité pour s’abriter illusoirement derrière de pseudos valeurs universelles. C’est d’autant plus insignifiant que c’est ce repère qui éclaire et oriente l’évolution de son destin social. Il écrivait judicieusement : « Tocqueville l’a montré : une collectivité humaine ne peut construire son action [...] sur le mépris des principes et des valeurs qui fondent le pacte social qui la constitue. L’Union européenne est une invention de héros fatigués. Ces peuples épuisés se sont retrouvés pour éradiquer la violence qui les avait quasiment détruits. Leur allergie à la puissance est consubstantielle au contrat qui les lie ». D’où leur aversion pour ceux qui assument leur identité, leur souveraineté, leurs valeurs traditionnelles comme actifs premiers de leur puissance.

Poutine-Trump : une alliance de puissance en trompe l’œil du passé

Voilà pourquoi, aveuglées par leurs certitudes globalistes, les élites européennes sont incapables de donner du sens aux sursauts de résistance contre le déracinement culturel et identitaire et contre les injonctions de l’assimilation et de l’intégration. Et c’est pourquoi, nous voulons dans ce second acte, analyser les postures d’un certain courant progressiste qui, tout en revendiquant du bout des lèvres vouloir la fin de l’Empire de la déshumanisation, s’offusque des politiques de Trump, dont certaines, par leurs incertitudes multivoques, érodent les strates de l’Empire.

C’est ce paradoxe qui donne à Trump la valeur que nous lui accordons dans cette tribune. Car les incertitudes de ses politiques ouvrent de nouvelles fractures sur l’échiquier géopolitique international. Et il importe de les approprier systémiquement, pour ainsi dire stratégiquement, et non sympathiquement. Il est un fait que, pris dans ses certitudes fascistes et suprémacistes, Trump ne saurait inspirer de la sympathie à un esprit humaniste. Mais, comme l’a bien longtemps écrit Bachelard, quand on veut s’approprier le monde scientifiquement, la sympathie n’est pas le fond de la méthode (Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, 1934, PUF). C’est donc plus rigoureusement, à travers une ouverture d’esprit comme posture stratégique que nous allons tenter d’approprier les fractures ouvertes par les premières semonces politiques du second mandat de Donald Trump.

S’il est vrai que cette alliance stratégique n’est pas porteuse de promesse radieuse imminente pour l’humanité et qu’il n’y a pas lieu de trop s’en réjouir outre mesure ; toutefois elle n’est pas moins pleine de sens. Elle a deux vertus, et chacune d’elles apporte un apprentissage qui peut idéalement donner des pistes pour forger de nouvelles postures de luttes contre la géostratégie invariante de la déshumanisation.

La première vertu est qu’elle inflige une leçon d’intelligence complexe et contextuelle aux leaders européens en révélant la profondeur béante de leur impensé stratégique et la pauvreté de leur imaginaire : suivre aveuglément un voisin lointain qui ne cherche que son profit et à qui l’on confie son destin, alors qu’il s’amuse à provoquer le puissant et proche voisin que l’on méprise, et à qui on doit pourtant l’énergie bon marché de laquelle découle l’essor industriel et économique de l’Europe, est une faute stratégique qui mérite d’être problématisée. Et c’est ce que nous avons fait dans le premier acte de cette tribune, en montrant au demeurant que cet impensé stratégique est le reflet d’une déficience culturelle et d’un abandon identitaire.

La seconde est qu’elle ouvre des brèches vers des lignes de résistance innovante, plus stratégique qu’idéologique, et force ainsi à trouver d’autres manières de se positionner par rapport à la tornade Donald Trump.

Il est utile à ce point de rappeler combien cette alliance déstabilisante entre Trump et Poutine fait un clin d’œil trompeur au pacte sordide de non-agression conclu en 1939 entre Hitler et Staline, par Ribbentrop et Molotov interposés, qui devaient se détester mutuellement. Ceux qui ne pensent pas dans la complexité ne peuvent pas apprécier la dimension stratégique qu’avait cette alliance. De nombreux militants communistes, idéologiquement verrouillés sur leurs certitudes, avaient vu dans ce pacte germano-soviétique une trahison de Staline. Pour les mêmes raisons et/ou pour d’autres, ce rapprochement entre Trump et Poutine a aussi un écho plus stratégique qu’idéologique. D’autant plus que les deux protagonistes ne sont nullement verrouillés sur des certitudes idéologiques trompeuses, comme les Européistes. Si pour Trump c’est l’équilibre entre le deal et la force qui fait la loi de la puissance ; pour Poutine, c’est davantage une question existentielle, d’où sa conception de la puissance par la souveraineté, le respect des traditions culturelles et le droit à l’auto-détermination. Entre les deux, il y a peut-être un deal pour une coexistence pacifique entre de nouvelles formes de nationalisme, et c’est cela que les élites européennes n’ont pas compris. Le monde a changé depuis 1991. Le néolibéralisme a puisé les ressources de sa résurgence dans l’érosion de l’identité des peuples, en promouvant de pseudos valeurs universelles et en stigmatisant ceux et celles qui résolument s’attachent à leur culture et à leurs racines.

Ainsi pour la Russie, ce n’est pas seulement une affaire de business autour de l’Ukraine, mais de survie existentielle. Comme l’a écrit Marcelo Ramirez :

Le véritable axe du conflit n’est plus celui qui oppose la gauche contre la droite, mais le mondialisme contre le souverainisme. Ceux qui défendent la souveraineté nationale, la culture traditionnelle et le rôle de l’État dans l’économie s’opposent à ceux qui promeuvent la dissolution des identités nationales, l’élimination des frontières et la soumission de la politique aux corporations transnationales. C’est pourquoi les idées de penseurs comme Alexandre Douguine ont gagné du terrain auprès de ceux qui sont désillusionnés par la fausse dichotomie gauche-droite.

La Russie est devenue un symbole de résistance face à cette avancée mondialiste. Pendant que l’Occident se perd dans des guerres culturelles absurdes, promeut le transhumanisme et attaque toute forme d’enracinement culturel, la Russie a choisi de renforcer sa tradition, sa religion et sa souveraineté nationale. Ce n’est pas un hasard si les progressistes soutiennent l’OTAN et l’Ukraine, tandis que les conservateurs et souverainistes s’alignent sur la Russie. Il ne s’agit pas de sympathie, mais de survie : la Russie est l’antithèse du monde sans racines promu par le mondialisme.

La véritable bataille est entre ceux qui veulent préserver leur identité, leur culture et leur nation, et ceux qui travaillent à dissoudre tout cela dans le magma indifférencié du mondialisme. Ceux qui ne comprennent pas cela sont condamnés à être des marionnettes dans un théâtre d’ombres où la politique n’est rien d’autre qu’une farce soigneusement orchestrée

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L’anti Trumpisme : une posture progressiste en trompe-l’œil

Voilà pourquoi l’alliance entre Trump-Poutine, tout en faisant surgir des paradoxes, n’a pas moins des accents de bienveillance stratégique. Et pourtant, de nombreuses voix, progressistes, qui nous avaient habitués à la rigueur de leur analyse, se joignent au concert des vociférations globalistes pour désigner Trump et ses lieutenants « comme des fascistes chrétiens, des escrocs, des psychopathes, des imbéciles, des narcissiques et des déviants qui ont pris le contrôle du Congrès, de la Maison Blanche et des tribunaux, et cannibalisent l’appareil d’État étasunien. Or ces voix progressistes sont parmi celles qui, depuis des années, nous prêchent la bonne nouvelle de l’imminence de la fin de l’Empire et l’urgence de nouvelles formes de résistance. Ainsi parlait en effet Chris Hedges : « Toute résistance doit admettre que le corps politique et le capitalisme mondialisé sont morts.

Nous devrions arrêter de perdre notre énergie à tenter de les réformer ou à les supplier de bien vouloir changer. Cela ne signifie pas la fin de la résistance, mais cela implique de toutes autres formes de résistance » (Lien ici). C’est encore Chris Hedges qui écrivait en 2018, lors du premier mandat de Trump : « Donald Trump est l’aboutissement d’un long processus de déclin politique, culturel et social. Il est le produit de l’échec de notre démocratie. Plus nous perpétuons la fiction selon laquelle nous vivons dans une démocratie qui fonctionne, [...] plus nous nous précipitons vers la tyrannie. Le problème, ce n’est pas Trump, mais un système politique, dominé par le pouvoir des entreprises et les mandarins des deux principaux partis politiques, dans lequel nous ne comptons pas. Nous récupérerons le contrôle politique en démantelant cet État qui est au service des entreprises, ce qui passe par une désobéissance civile massive et s’inscrivant dans la durée [...]. Si nous ne résistons pas, nous allons vers un nouvel âge des ténèbres » (Lien ici).

Mais voilà qu’alors que Donald Trump, certainement sans le vouloir, est en train de démanteler les structures les plus opaques et les plus puissantes (CIA, USAID, FBI, UE, médias mainstream) de cet État prédateur, créant incidemment des brèches béantes pour précipiter le capitalisme mondialisé et wokisé dans les fosses de l’histoire, c’est le même Chris Hedges qui joue les vierges abusées et jette la pierre sur ce ‘‘démineur impromptu’’, en le qualifiant de « cannibale » à l’assaut de l’appareil d’État de l’Empire du mal. Loin d’être le seul exemple de la diabolisation primaire de Trump, de nombreuses autres analyses tentent, plus légèrement, de faire passer Donald Trump pour un éléphant dans un magasin de porcelaine, en estimant que ses réformes rocambolesques pour affaiblir l’État profond, parce que lancées à la vitesse de la lumière, risquent de bousculer la bureaucratie et de mettre à terre tout l’édifice institutionnel des EU. Tandis que d’autres, n’hésitent pas à voir en Donald Trump et son équipe de démolisseurs des agents, au service de Poutine, qu’il faut à tout prix combattre.

Un tel constat ne saurait ne pas inviter à remettre en cause la valeur stratégique du prisme idéologique droite / gauche, à travers lequel les groupements humains se positionnent autour du capitalisme. Manifestement, ce prisme idéologique, dans sa segmentation en cases spectrales figées, allant des nuances de brun pour le fascisme (droite et ses extrêmes) aux nuances de rouge pour le communisme (gauche et ses extrêmes) est dépassé. Il s’institue comme un vrai impensé, puisqu’incapable d’offrir une brèche comme pensée d’ouverture, pour faire surgir, par-delà les divergences idéologiques, des fronts de résistance plus larges, capables d’éroder la forteresse capitaliste le long des contours de ses failles.

Et il y a lieu de se demander, au risque de choquer plus d’uns, en quoi cela pose problème pour un anti mondialiste et anti globaliste authentique, voir un résistant humaniste, que les circuits intégrés du logiciel atlantiste soient en train d’être court-circuités et désintégrés ? Surtout quand on sait que ce logiciel est le grand attracteur qui régule les algorithmes du chaos et le grand propulseur de la déstabilisation dans le monde. C’est sous cet angle problématique que nous avons voulu analyser l’intentionnalité des réactions gauchistes primaires envers Donald Trump, pour montrer paradoxalement, malgré ou à cause de son assumation décomplexée des théories suprémacistes et de sa conception mafieuse du pouvoir, le 47ème Président des États-Unis, est ce qu’il pouvait arriver de mieux au monde. Car en amplifiant les fissures et les fractures de part et d’autre de l’atlantique, il offre un angle stratégique pour mieux entrevoir les impensés des uns, les impostures des autres connexions occultées entre les forces globalistes ou atlantistes et les forces gauchistes ou progressistes. En cela Donald Trump est un mal nécessaire.

Dans sa vulgarité immonde, Donald Trump est la face sauvage du néolibéralisme que les Obama, les Clinton, les Macron, les Merkel, les Biden et les Trudeau ont habilement cherché à enjoliver pour mieux faire perdurer la géostratégie du chaos et de la déshumanisation, par l’érosion de toute pensée critique et l’annihilation de toute résistance. Si Trump est si détesté c’est parce que les stratèges globalistes savent qu’en exacerbant les fissures du monde, il peut permettre de regroupements intelligents vers des lignes de résistance et de fuite hors de l’invariance de géostratégie de la déshumanisation.

Donald Trump est un paradoxe, et l’incapacité des forces dites progressistes du monde à adopter une ligne pragmatique cohérente, pour exploiter les incertitudes qu’il apporte, offre un prisme qui tend à prouver les limites des approches idéologiques des prétendues forces progressistes. Il semble que la spirale de l’indigence pour tous a érodé les capacités cognitives des forces progressistes qui, du reste, ont toujours méprisé l’intelligence de la complexité. Or les paradoxes et les incertitudes ne sont que des manifestations de la complexité des faits sociaux, et comme tel, ils exigent une pensée complexe pour leur donner du sens. Et le sens est ce qu’il manque cruellement au monde aujourd’hui.
C’est en partie ce que le sociologue Alain Caillé a écrit : « Jusqu’ici, une des principales raisons de notre incapacité à sortir du néolibéralisme planétaire a été un certain déficit de ressources théoriques. Mais c’est aussi le manque d’une philosophie politique, largo sensu, qui nous permette d’aller au-delà des grandes idéologies de la modernité – libéralisme, socialisme, anarchisme ou communisme.
(Référence de la citation d’Alain Caille : Pablo Servigne, Gauthier Chapelle, L’entraide, l’autre loi de la jungle, 2017, Les Liens qui Libèrent).

Conclusion

Notre but n’était pas de convaincre, nous n’avons pas la prétention d’avoir le monopole de la vérité des évènements du monde. Mais nous assumons cette caillasserie à contre sens des certitudes des bien-pensants comme une manifestation de pensée complexe. Du reste, quand on pense dans la complexité, on n’a pas besoin de quorum, il suffit d’être pertinent et cohérent. Pour cause, la pertinence et la cohérence font partie des critères de performance analytique qui permettent de rendre compte de la réalité dans ses dimensions complexes : subjective, objective, rationnelle et paradoxale (Michel Charolles. “ Cohésion, cohérence et pertinence du discours. Travaux de Linguistique ” : Revue Internationale de Linguistique Française, 1995, 29, pp.125-151).

Notre argumentaire est pertinent car il est fondé sur le fait que sa raisonnance est en adéquation avec les problématiques contextuelles du monde. En ce sens, il n’essaie pas d’imposer une certitude sur la rupture de l’alliance entre les États-Unis de Trump et l’Occident globaliste, non plus de glorifier comme un Grand Soir pour les peuples l’alliance impromptue entre la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump. En effet, notre argumentaire admet que Trump est un paradoxe politique. Mais un paradoxe non banal et qu’on ne peut stratégique ignorer ou mépriser. Car, dans ses contradictions et ses stupidités, il représente une faille sous la strate capitaliste invariante et fait ainsi office de signaux faibles annonciateurs de possibles émergents pour les peuples. C’est à eux de trouver le cadre de sens qui leur permettra de profiter de cette brèche, sans doute provisoire, qui s’ouvre à travers les mailles des verrous sanglants par lesquels le capitalisme s’agrippe à leur destin pour mieux les déshumaniser.

Quant à la cohérence de notre argumentaire, elle se situe dans le prolongement de l’assumation de la complexité. En effet, cet argumentaire rejoint les penseurs systémiques qui croient que l’aspect paradoxal d’un évènement est non une contradiction insoluble, mais une ouverture pour des discussions plus nuancées de l’évènement (Rachad Antonius, “ Complexité et cohérence : approche épistémologique de certaines controverses politiques ” in : Edgar Morin et le paradigme de la complexité, Revue interventions économiques, No 69, 2023).

Et, pour terminer, paraphrasons Edgar Morin : puisque « la manière de penser dans la complexité se prolonge en façon d’agir complexe », il est urgent que les nouvelles lignes de résistance contre la globalisation soient tissées dans la reliance culture, identité, stratégie et complexité. Et pour cause ! Quand la pensée complexe bande l’arc raisonnant de la pensée stratégique, c’est l’angle de portée de la flèche de l’innovation qui s’agrandit et se précise. Et la valeur stratégique d’une pensée de résistance se mesure à l’aune des possibles qu’elle offre pour innover et orienter le destin des peuples hors de la déshumanisation invariante du capitalisme.

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Ramon CHAO
(précipitez-vous pour acheter Cuba Miracles, cet "objet -livre", merveille de couleurs, d’odeurs et de musiques) Le « dictateur » cubain Fidel Castro vient de passer les rênes de l’Etat à son frère Raúl. C’est bien la première fois qu’un chef d’État abandonne ses fonctions motu proprio. Un certain nombre d’hommes politiques n’ont pas, eux, daigné se démettre de leur fonction avant de mourir. Souvenons-nous par exemple des longues agonies des entubés Georges Pompidou, François Mitterrand, (…)
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(...) je suis d’accord avec le fait que le tsunami a été une merveilleuse occasion de montrer, au-delà du gouvernement des Etats-Unis, le coeur du peuple américain.

Condoleezza "oui, j’ai un grain" Rice
devant la commission sénatoriale des relations étrangères US - janv. 2005

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