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Que pensent les Vénézuéliens de leur élection présidentielle ?

Ironie de l’Histoire. Alors que Le Monde, le Figaro, Libération, Radio France etc… dévoilent les plans de Donald Trump et d’Elon Musk pour refuser une éventuelle victoire de Kamala Harris, ces médias ont participé au banc d’essai trumpo-muskien au Venezuela. En juin, un mois avant l’élection présidentielle, nous avions analysé la complicité des médias français dans la préparation des violences de l’extrême droite vénézuélienne (1), à la remorque des médias états-uniens et des tweets signés par le propriétaire de « X » accusant le « dictateur » Nicolas Maduro de « fraude » puis appelant, ouvertement, à le renverser.

Mais que pensent les vénézuélien(ne)s de leur élection présidentielle ? Roger D. Harris, membre de l’organisation états-unienne de défense des droits humains Task Force on the Americas résume une enquête d’opinion réalisée sur place. (Note de Venezuelainfos)
Photo : à Caracas, partisans d’extrême droite du fake-président Juan Guaido, auto-proclamé sur ordre de Donald Trump, en 2019.

Cela fait près de trois mois que les Vénézuéliens se sont rendus aux urnes le 28 juillet, et il y a encore des contestations au niveau national et à l’étranger concernant le vainqueur de l’élection présidentielle. Ce n’est pas inattendu. Les États-Unis n’ont pas reconnu la légitimité des deux précédentes élections présidentielles au Venezuela et avaient annoncé bien avant cette élection que si le candidat choisi par Washington perdait, ce ne pouvait être qu’à cause d’une fraude.

L’autorité électorale officielle vénézuélienne (CNE) a déclaré le président sortant Nicolás Maduro vainqueur avec 52% des voix. Le plus proche concurrent, Edmundo Gonzalez Urrutia soutenu par les États-Unis, a obtenu 43% des voix. Ce résultat a ensuite été audité et confirmé par la Cour suprême vénézuélienne (TSJ). Gonzalez a affirmé avoir des preuves démontrant sa victoire, mais a refusé de les montrer à la TSJ, même lorsqu’il a été convoqué.
Washington conteste le vote

Le président américain Joe Biden avait alors rapidement appelé à de nouvelles élections au Venezuela. Tout aussi rapidement, les conseillers de Biden sont revenus sur cette déclaration. La position actuelle des États-Unis est que l’élection était certainement frauduleuse, mais ils attendent que Caracas publie les données sur les bureaux de vote individuels avant de déclarer la désignation par Washington du président effectif.

L’autorité électorale vénézuélienne n’a pas publié de données détaillées sur le décompte des voix. L’audit de leur Cour suprême semble être considéré comme suffisant par le gouvernement. Comme l’a noté Misión Verdad dans divers médias sociaux en espagnol, il est courant en Amérique latine que les tribunaux résolvent les différends électoraux :

◾ Pérou 2021 – Keiko Fujimori a allégué une fraude contre Pedro Castillo. Le tribunal électoral national a certifié Castillo un mois et demi plus tard.

◾ Brésil 2022 – Jair Bolsonaro a contesté la victoire de Lula da Silva devant la cour électorale supérieure. La cour a certifié Lula 43 jours plus tard.

◾ Paraguay 2023 – Deux candidats n’ont pas reconnu la victoire de Santiago Peña. Le tribunal électoral a ratifié les résultats certifiant Peña un mois plus tard.

◾ Guatemala 2024 – Bernardo Arévalo a été certifié 5 mois après avoir remporté les élections, lorsque les contestations du premier et du second tour ont été réglées par la cour électorale suprême.

◾ Mexique 2024 – Xólchit Gálvez a contesté la victoire de Claudia Sheinbaum. Le tribunal électoral a certifié le vainqueur deux mois plus tard.

Même aux États-Unis, lorsque Donald Trump a allégué une fraude contre Joe Biden dans plusieurs États en 2020, les tribunaux ont rejeté les plaintes, et Biden n’a été certifié que 41 jours plus tard.

De toutes manières, il est presque certain que les États-Unis ne reconnaîtront pas un gouvernement Maduro comme légitime, indépendamment de la qualité de la documentation de l’élection. Comme l’observe un blogueur britannique, « La CIA a réagi avec déception après que les plus grandes réserves de pétrole du monde se soient retrouvées à nouveau avec le mauvais dirigeant. »

Entre-temps, une presse occidentale enthousiaste affirme que les États-Unis ont déjà reconnu Gonzalez comme le président légitime du Venezuela, malgré l’absence d’une telle déclaration de Washington… pour l’instant.

Mais que pensent les Vénézuéliens ?

Oscar Schemel, directeur du respecté institut de sondage vénézuélien Hinterlaces, a abordé cette question. Schemel s’est exprimé lors d’un webinaire le 24 octobre, parrainé par le Réseau de solidarité vénézuélien et organisé par l’Alliance pour la justice mondiale.

Schemel est sans doute l’une des personnes les plus qualifiées concernant l’opinion publique au Venezuela. Son entreprise, Hinterlaces, prend le pouls de la nation toutes les deux semaines. Leurs sondages ont été corrects, prédisant la plupart des élections dans le pays à quelques points près, alors que la plupart des autres sondages vénézuéliens ont été déformés et politiquement biaisés.

Schemel lui-même est un indépendant, connu pour son objectivité. Il n’a pas hésité à critiquer le gouvernement vénézuélien. D’autre part, il s’oppose farouchement aux mesures économiques coercitives unilatérales américaines – appelées euphémiquement sanctions – sur son pays.

Ce que rapporte Schemel, c’est que la principale préoccupation des Vénézuéliens n’est pas de savoir qui a remporté la course électorale, mais plutôt l’état de l’économie et, plus précisément, leurs revenus personnels. Hinterlaces rapporte que 72% des Vénézuéliens veulent « clore l’étape électorale et continuer à travailler ».

Les Vénézuéliens ont des opinions contradictoires sur le vainqueur de l’élection. Selon un sondage Hinterlaces réalisé le 9 août, une majorité significative de 59% pense que Maduro a gagné. Une opposition très divisée, explique Schemel, n’avait pas la capacité de mobiliser les électeurs.

Les chavistes pro-gouvernementaux et les secteurs mécontents de la population en général sont las de la polarisation et aspirent à la paix civile. Les sondages montrent un soutien constant de 35% pour le Parti socialiste du gouvernement (PSUV). Mais même les fidèles du parti recherchent un socialisme plus efficace et productif. Un noyau dur de 14% se situe dans le camp de l’opposition engagée. Mais malgré le fait que Washington ait désigné Gonzalez comme le leader d’une « opposition unifiée« , aucun politicien de l’opposition ne semble avoir de base effective sur le terrain, selon Schemel.

L’extrême droitier Edmundo Gonzalez, était totalement inconnu avant d’être désigné, sans primaires, comme candidat présidentiel par une autre leader de l’extrême droite adoubée par les États-Unis, Maria Corina Machado. Cette dernière était inéligible à une fonction publique en raison de délits passés. Quoi qu’il en soit, Gonzalez a volontairement quitté le Venezuela pour l’Espagne le 8 septembre, coupant l’herbe sous le pied de l’opposition. Son départ à bord d’un avion militaire espagnol a été négocié avec le gouvernement vénézuélien.
L’intervention états-unienne au Venezuela

Gonzalez et Machado ont accueilli favorablement les sanctions états-uniennes contre leur pays et ont appelé à des mesures encore plus sévères pour forcer Maduro à quitter ses fonctions. En revanche, Hinterlaces rapporte que 63% des Vénézuéliens pensent que les dirigeants qui ont appelé à des sanctions devraient être poursuivis en justice.

Gonzalez a fait campagne sur une plateforme de privatisation de presque tout, ce qui va à l’encontre du sentiment populaire majoritaire. Hinterlaces rapporte, par exemple, que 61% des Vénézuéliens rejettent l’idée de privatiser PDVSA, la compagnie pétrolière d’État.

Schemel a condamné les près de mille sanctions imposées par les États-Unis. Ce qui équivaut à un blocus économique a dévasté PDVSA, la principale source de fonds pour les services publics. Sous l’impact des mesures économiques coercitives unilatérales américaines, Schemel rapporte que le rôle de l’État en tant que garant du bien-être social a été érodé. La « guerre multidimensionnelle » de Washington, selon les termes de Schemel, a conduit à une baisse de la qualité de vie. Cette attaque « injuste et inégale » a généré de l’anxiété et de la colère au sein de la population. Mais c’est aussi pourquoi la majorité de la population, selon Schemel, favorise un mélange de mesures économiques socialistes et privées, conformément à la vision chaviste. Environ 70% ne croient pas que l’opposition puisse résoudre les problèmes économiques du pays.

Cette majorité souhaite voir le modèle chaviste fonctionner de manière plus fructueuse, selon les données de Schemel. Ils ne veulent pas un changement de régime, mais aspirent plutôt à la réconciliation et à l’union. Dans approximativement six semaines, le 10 janvier, l’Assemblée Nationale investira son prochain président, non reconnu par les pays sur orbite de Washington en Amérique Latine comme en Europe mais déjà reconnu par la plupart des puissances du Sud global. Gonzalez, incroyablement, affirme qu’il sera de retour à Caracas pour recevoir l’écharpe présidentielle.

Et que fera Washington ? La vice-présidente américaine Kamala Harris déclare « nous n’utiliserons pas l’armée états-unienne » contre le Venezuela si Maduro ne quitte pas volontairement ses fonctions. Une telle déclaration de la vice-présidente de la puissance hégémonique mondiale est à saluer. Mais le simple fait qu’elle puisse tenir de tels propos sur un État souverain en dit long.

Roger D. Harris

Traduction : Bernard Tornare

Note : (1) « Comment les médias français préparent la violence de l’extrême droite au Venezuela. » https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/06/20/comment-les-medias-francais-preparent-la-violence-de-lextreme-droite-au-venezuela/

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/10/30/que-pensent-les-venezueliens-de-leur-election-presidentielle/

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