« Il faut que tout change pour que rien ne change ! »
Giuseppe Tomasi de Lampedusa
Récemment, la presse internationale s’est faite largement l’écho de l’élection présidentielle au Sri Lanka. De manière assez stupéfiante et presque unanimement on a dans les médias mainstream, sur les réseaux sociaux ou à travers les déclarations péremptoires de politiciens de droite comme de gauche, signalé ou salué l’arrivée au pouvoir d’un président « marxiste », voir « marxiste-léniniste », mieux encore « communiste ».[1] De tels commentaires ont suscité à Colombo une hilarité générale ! On en plaisante encore.[2]
Bizarrement, personne ne s’est posé la question de savoir pourquoi au même moment les dirigeants américains, ceux de l’Union Européenne, le FMI étaient eux aussi visiblement séduits par la nouvelle, applaudissant à ce qui était un évènement, pourtant prévisible. La bourse de Colombo est repartie nettement à la hausse et la roupie a gagné quelques points. Le monde des affaires sri lankais a poussé un ouf de soulagement. La multinationale pétro chimique Shell qui avait soutenu l’impétrant, la Banque mondiale et la Fondation Bill Gates se sont immédiatement déclarées ravis.[3] Sommes-nous en train comme on pourrait l’imaginer d’assister à une soudaine conversion des représentants de l’oligarchie, à un tremblement de terre politique ou plutôt à une manipulation rondement menée ?
Faits et effets !
La réponse est simple ! Le nouveau Président, Anura Kumara Dissanayake n’est ni anticapitaliste, ni antiimpérialiste, ni même social-démocrate et certainement pas communiste. Quitte à décevoir ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités, il ne faut pas confondre l’effet et les faits. Or, il est bien connu, « les faits sont têtus » ![4] A y réfléchir à deux fois et à s’y tenir, rend les choses plus simples à comprendre.
C’est pourquoi, à lire certains articles situés politiquement à « gauche », on ne peut qu’être étonné par les approximations, la superficialité, l’absence totale de prudence et de précaution dans les analyses que l’on peut trouver sur quelques sites qui visiblement connaissent mal le sujet. Je ne veux accabler personne ! Mais, le minimum minimorum n’aurait-il pas dû être de commencer par s’informer ? Fort heureusement d’autres l’ont fait et on produit des commentaires autrement plus pertinents et utiles si l’on veut comprendre l’imbroglio sri lankais.[5] Alors, considérons les faits !
Au retour d’un voyage en Chine, et alors que je me trouve à Colombo de nombreux amis en France et à l’étranger m’ont sollicité afin de donner un avis, non comme un expert ou un spécialiste, ce que je ne suis pas et ce que je ne cherche pas à devenir, mais plus à cause de mes liens avec le Sri Lanka, ce pays magnifique que j’aime énormément. Je pourrai écrire « je sais que je ne sais rien », je m’en garderai bien. J’ai vécu une quinzaine d’années au Sri Lanka, y compris au moment de la guerre, j’y ai des liens familiaux, et j’ai la chance de connaître personnellement un grand nombre de militants politiques sri lankais, de ministres et présidents, de syndicalistes, de journalistes et diplomates, d’écrivains, d’artistes mais surtout un peuple formidable parmi lequel je compte un grand nombre d’amis et de camarades. Modestement, j’apporte ici mon témoignage et rien d’autre, n’étant nullement inquiet, ou préoccupé par le statut qui est le mien.
Alors, qu’en est-il du JVP ?
Anura Kumara Dissayanake, le nouveau président sri lankais, plus connu sous le sobriquet d’AKD est le principal dirigeant du JVP,[6] un parti politique qui à sa fondation en 1965 se réclamait du marxisme léninisme et professait un guévarisme teinté de maoïsme, mais aussi paradoxalement de chauvinisme cingalais et d’hostilité à la minorité tamoule, en particulier vis-à-vis des travailleurs des plantations de thé. Cette organisation au départ, lycéenne, étudiante et rurale fut à la tête de deux insurrections armées en avril 1971 et 1988/89. En 1971, le JVP combattait le premier gouvernement de gauche de Sirimavo Bandanaraike qui comptait plusieurs ministres communistes et trotskistes.[7] En 1988/89 il se retourna contre ses alliés de droite de l’UNP, c’est-à dire du parti comprador avec lesquels il avait lutté contre les Indiens. Dans les deux cas, ces rebellions armées se conclurent dans le sang, les massacres et plusieurs milliers de victimes. Les principaux dirigeants du JVP furent emprisonnés, torturés et exécutés sommairement dont Rohana Wijeweera, son fondateur.
Ce que l’on sait moins c’est que ce groupuscule gauchiste aux multiples scissions, exclusions et règlements de comptes souvent violents fût habilement promotionné et manipulé en différentes périodes par le redoutable président J.R. Jayewardene (J.R.), dirigeant de l’UNP.[8] Ce dernier fût l’homme de l’ouverture du pays au libéralisme dans la foulée du Chili de Pinochet. Il lui fallait pour cela imposer un état répressif afin de protéger les intérêts privés et les investisseurs étrangers. Pour se justifier et légitimer cette politique autoritaire et réactionnaire J.R. avait besoin d’un opposant radical sur mesure. Il fît jouer ce rôle au JVP.[9]
Ainsi, à la suite de l’intervention armée de l’Inde dans l’ile aux épices en 1987,[10] à la demande du président Jayawardane, on assista à la constitution surprenante d’un front commun anti-indien allant du gouvernement réactionnaire et pro occidental de J.R. Jayewardene et de son successeur du même parti Ranasinghe Premadasa,[11] au JVP et jusqu’aux aux séparatistes du LTTE, les fameux Tigres Tamouls.[12]L’Inde, subit alors une défaite humiliante, on chassa les indiens et on imposa même à Rajiv Ghandi, alors premier ministre indien des négociations et des compromis qui plus tard lui coutèrent la vie de ne pas les avoir respectés.[13] Ce fût aussi l’occasion pour ces trois forces politiques réunies de profiter de l’occasion pour se livrer ensemble à la liquidation de nombreux opposants, de militants de gauche, dont de nombreux communistes,[14]de syndicalistes, d’intellectuels qui avaient le tort de défendre l’idée d’un combat en faveur d’un Sri Lanka socialiste et uni par-delà la diversité ethnique et religieuse. Après la rupture de cette alliance de circonstance, une répression atroce devait suivre. Elle s’abattit sur le pays et on comptabilisa de nouveau des milliers de victimes tout particulièrement dans les campagnes et la jeunesse.
Finalement en 1993, le JVP fut autorisé à légaliser ses activités, il ne s’opposa pas au retour aux affaires en 1994, d’un gouvernement nationaliste de centre gauche très modéré afin de permettre à celui-ci de poursuivre sa guerre contre le LTTE. Plus tard, en 2004, on vit même Anura Kumara Dissayanake (AKD) participé au gouvernement de l’ancienne présidente Chandrika Kumaratunga[15] comme ministre de l’agriculture pour finalement s’y opposer par la suite sous le prétexte de la coopération du gouvernement avec le LTTE au sujet de l’aide à apporter aux victimes tamoules du Tsunami.[16]
L’évolution politique du JVP s’est ensuite accélérée après la disparition inattendue et surprenante du dernier survivant de la direction historique du JVP, Somawansa Amarasinghe.[17]Anura ayant pris la direction du parti, celui-ci procéda d’emblée à une sorte d’« aggiornamento » en forme de séance d’exorcisme à l’égard du passé révolutionnaire du JVP. Il vient d’ailleurs de renouveler cette mise à jour révisionniste. Il fallait démontrer que le parti avait changé. Il fit donc publiquement son acte de contrition pour regretter les graves erreurs commises par ses prédécesseurs. Dorénavant, le parti allait changer et accepterait le jeu politicien, le respect de la constitution, celui des alliances électorales, le système de « crossover »[18] et les arrangements ayant pour but de participer aux institutions de la bourgeoisie. A une question qui lui fût posé en juillet 2015 sur sa vision d’une société de justice Anura répondit : « La politique du JVP n’est pas de prendre aux riches pour donner aux pauvres ».[19]
On s’éloignait de la rhétorique révolutionnaire en faveur d’un discours plus raisonnable, bref on changeait radicalement en se déclarant disponible. Toutefois pour conserver un semblant d’identité on allait maintenir pendant quelques années encore, la faucille et le marteau, le rouge des drapeaux ainsi que la référence à la figure de proue de Rohana Wijeweera, et même les portraits géants de Marx, Engels, Lénine que les militants avaient l’habitude de porter à bout de bras dans les manifestations mais qui depuis quelques temps étaient arrimés sur les toits de Mercédès derniers modèles. Bref, le parti n’était plus celui des temps héroïques de la clandestinité et de la lutte armée, mais on cherchait toutefois à en garder les apparences. Aujourd’hui tout a changé, on a renoncé à la faucille et au marteau, fini également les drapeaux et les chemises rouges et il y a lourd à parier qu’on ne reverra pas de sitôt les portraits géants des dirigeants historiques du mouvement ouvrier international. Pour bien se faire comprendre, quant à cette mutation, Anura, qui aime à rassurer le monde des affaires et l’élite du pays n’hésitait plus à affirmer : « nous n’avons rien contre les riches, nous ne sommes pas opposés à ce qu’ils s’enrichissent, mais ils doivent payer leurs impôts, nous ne voulons pas que les pauvres soient plus pauvres ».[20] On ne saurait mieux dire !
Aux élections présidentielles de 2010, le JVP apporta son soutien au général Fonseka, un conservateur de tendance bonapartiste, allié constant de la droite sri lankaise. Ce fût un échec retentissant. Par la suite, les compromis déclarés du JVP ou non avec tout ou partie de l’oligarchie locale et des forces compradores sri lankaises étroitement liées à Washington, Bruxelles et Londres vont se poursuivre, mais sans être marquées pour lui par des résultats électoraux significatifs. Malgré ses efforts afin d’obtenir une respectabilité, l’influence du JVP au Parlement sera jusqu’à aujourd’hui réduite à 3 députés sur 225.
Une nouvelle donne internationale !
Dans la même période, le contexte international va changer. La conflictualité avec la Chine voulue par les Etats-Unis et ses alliés dans la région va s’accélérer en particulier avec la mise en place de la Quad[21] dont le récent meeting à Wilmington (USA) a renforcé significativement les prérogatives entre autre en matière de lutte contre le terrorisme, de sécurité des états membres dans une perspective de confrontation plus ou moins imminente avec Beijing.[22] C’est ce qu’illustre également l’accord donné par Manille aux Etats-Unis afin d’installer et maintenir sur son propre sol des missiles longues portées.[23] La Quad complète ainsi le rôle dorénavant dévolu à l’OTAN en Asie du Sud-Est depuis la conférence de Madrid de juillet 2022.[24] Ces changements et préoccupations géo stratégiques ont évidemment une incidence directe sur les orientations politiques du Sri Lanka.
L’ile est en effet placée au cœur de l’Océan Indien et depuis des siècles son intérêt n’est plus à démontrer. Pour les Etats-Unis et comme le disait brutalement John Kerry,[25] alors secrétaire d’état de Barack Obama, « Les Etats-Unis ne peuvent se payer le luxe de perdre le Sri Lanka, à cause de son importance stratégique dans le combat contre la Chine ».
Pour cela, et depuis le Pivot to Asia de Barack Obama de 2012,[26] il fallait installer à Colombo un gouvernement docile à l’égard des Etats-Unis, conciliant vis-à-vis de l’Inde et surtout sachant garder ses distances avec la Chine. C’est pourquoi au nom de la défense des droits de l’homme, de la lutte contre la corruption et de l’exigence de ‘bonne gouvernance’, les Etats-Unis vont multiplier les tentatives de « Regime change » vis-à-vis du charismatique Mahinda Rajapksa devenu entre-temps président du Sri Lanka. Sa popularité élevée reposait sur le fait qu’il avait contribué à maintenir l’unité du pays, su résister aux pressions des occidentaux,[27] ramener la paix, préserver la souveraineté du Sri Lanka après sa victoire politique et militaire contre le séparatisme des Tigres du LTTE, et développer les infrastructures du pays avec l’aide de la Chine. Cela faisait beaucoup ! Beaucoup, trop ! Mahinda, est un nationaliste qui n’a jamais hésité à défendre des positions antiimpérialistes. Ami proche de Yasser Arafat, de Fidel et Raoul Castro, d’Hugo Chavez et des dirigeants chinois. En fait, il est l’héritier politique de l’ancienne première ministre, puis chef d’état Sirimavo Bandanaraike,[28] une des fondatrices du Mouvement des Non Alignés, amie personnelle de Chou Enlai et de Mao Zedong.
Trois méga projets !
Les interventions de la part des occidentaux et au premier rang des Etats-Unis vont donc s’amplifier, il faut en finir avec Mahinda qualifié de « criminel de guerre ». La manipulation de l’opinion internationale va s’accélérer. On va multiplier les campagnes médiatiques internationales incessantes de discrédit du Sri Lanka assimilé à un état génocidaire à l’égard des Tamouls. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève va, au nom de l’ingérence humanitaire et sous la pression des occidentaux, faire voter à répétition des résolutions contre Colombo, exemples typiques des politiques de deux poids-deux mesures.[29]
Dans le même temps et avec l’aide de Georges Soros et de son Open Society fortement implanté au Sri Lanka, du National Endowment for Democracy, et de USAID[30] dont les moyens vont être sensiblement renforcés, les Etats-Unis vont surtout se donner les armes d’une manipulation de grande envergure par une ingérence tous azimuts, multipliant la présence d’ONG, de think-tanks comme l’Advocata Institute et bien sûr en recourant aux politiciens locaux, en finançant des syndicats dont certains liés au JVP/NPP.[31] Le but est alors de faire avaliser trois méga projets permettant de transformer le pays en une plateforme offensive, un porte avion géant tourné contre la Chine : les programmes ACSA, SOFA et MCC.[32]
C’est là, un enjeu déterminant pour la souveraineté du pays mais pourtant un sujet sur lequel on n’entendra jamais la moindre contestation d’Anura Kumara Dissayanake. En privatisant les terres l’objectif des Etats-Unis est de couper le pays en deux à partir d’un corridor terrestre équipé d’un train à grande vitesse, permettant de relier par voie rapide le port et l’aéroport de Colombo à celui de Trincomalee le plus grand port en eau profonde de l’Asie du Sud-Est afin d’en faire la base navale et naturelle de la 7e flotte des Etats-Unis. Ce dispositif sera complété en accordant aux soldats de l’armée américaine des privilèges les mettant à l’abri pour quelques délits que ce soit vis-à-vis de la loi et de la justice sri lankaise.
Face à ces projets destructeurs de l’indépendance nationale du pays on aura du mal à trouver une quelconque opposition du JVP. Pas la moindre protestation ou dénonciation des ambitions impérialistes américaines dans la région et les dangers qu’ils font courir. Qui ne dit mot consent ? Pourtant les initiatives, les déclarations et les luttes de personnalités intellectuelles, de partis de gauche comme le PC ou le LSSP ou encore de syndicats se multiplient et arrivent à maintenir une pression sur les gouvernements de droite qui se succèdent après les défaites électorales de Mahinda Rajapaksa.
Ces actions vont permettre pendant plusieurs années de contrecarrer les plans des Etats-Unis.
La victoire de Gotabaya et le Aragalaya
En 2019, la victoire électorale écrasante aux élections présidentielles de Gotabaya Rajapaksa, le propre frère de Mahinda va rebattre les cartes, et lui donner une majorité absolue au Parlement. Gotabaya à une double nationalité : sri lankaise et étasunienne ! Ce ne sera pas indifférent à la suite des évènements.
Le nouveau rapport des forces va contribuer à mobiliser l’espoir d’un changement, mais en fait bien provisoirement car tel le cheval de Troie, la manipulation se poursuit dans le but d’abuser les gens. De manière inattendue les décisions unilatérales et précipitées du gouvernement de Gotabaya vont provoquer une crise sociale, économique, financière ouverte sur fond de pandémie de Covid 19. L’exemple de sa décision aventuriste d’interrompre du jour au lendemain les importations de fertilisants dans le but de transformer l’agriculture sri lankaise en tout organique, va entraîner les protestations massives des paysans. Cette évolution négative va contribuer à l’exaspération. La colère est à son comble et les déceptions sont fortes, surtout provoquées par les hausses de l’alimentation, les coupures d’électricité, le rationnement des carburants, la disparition de certains produits pharmaceutiques. Tout cela se conjugue avec la baisse spectaculaire des rémittences des travailleurs migrants sri lankais en particulier dans les pétromonarchies du Golfe, le naufrage du tourisme. La roupie va s’effondrer et la dette va exploser soumettant rapidement le pays aux requins de la finance internationale. Les inégalités vont se creuser encore plus avec des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres.
Ce sont dans ces conditions propices à l’explosion de mécontentements légitimes qu’après la visite à Colombo de l’interventionniste US Victoria Nuland[33] que va s’organiser avec des moyens matériels jamais vus auparavant une contestation très médiatisée et d’une ampleur sans précédent. En fait, se met en place, bis repetita placent une sorte de Maïdan à la Sri Lankaise. Ce ne sera finalement rien d’autre qu’un coup d’état en forme de révolution de couleur, une manipulation énorme rondement mené depuis l’ambassade des Etats-Unis. L’action a lieu principalement à Colombo mais pas seulement. On baptise celle-ci « Aragalaya » (la lutte),[34] puis on choisira « Gota go home ». Elle mobilise largement une partie de la jeunesse, comme les beaux quartiers. Les évènements sont orchestrés entre autres par Amita Arudpragasam une des porte-paroles du mouvement qui vient de naître mais pas aussi spontanément que le disent les médias. Elle est diplômée d’Harvard et Princeton, et son ONG « Vérité Research » est considérée comme un département de travail de l’Ambassade US de Colombo. Elle est financée par le NED à hauteur de 75 000 dollars. Elle n’est pas la seule, car on retrouve très vite au cœur des évènements d’autres protagonistes liés au mouvement OTPOR, celui ayant précipité la chute de Milosevic, le mouvement des parapluies à Hong Kong et bien sûr le Maïdan Ukrainien. On trouve également la Asia Foundation,[35] financé par USAID, des fondations, et des multinationales comme Bank of America, Boeing et Chevron. Le JVP et Anura Kumara Dissanayake, qui depuis quelques temps ont leurs entrées à l’ambassade des Etats-Unis[36] ou qui reçoivent à leur siège l’ambassadrice des Etats-Unis, vont jouer les seconds rôles dans ce mouvement de contestation pour lequel ils apportent un soutien tout en interpellant le gouvernement sur les risques d’anarchie et en déclarant leur disponibilité pour rétablir le calme dans le pays. Pour contribuer à diriger les manifestations et les revendications sociales vers une voie de garage, les syndicats liés au JVP vont bloquer et saboter les grèves, en particulier dans les transports, en écartant les syndicalistes de base dans la conduite du mouvement. Le JVP va ainsi contribuer à faire évoluer la contestation sociale vers des mots d’ordre politiques se cristallisant sur la corruption, le rejet de Gotabaya Rajapaksa et sa famille dont l’homme à abattre n’est autre que Mahinda Rajapaksa. Mahinda et son fils refusent de quitter le pays et plongent alors dans la clandestinité.
C’est alors qu’on va assister au même scénario qu’à Kiev avec l’éviction du président Viktor Yanukovych. Dans le cas sri lankais, on va faire appel aux gangs liés au crime et à la pègre afin de radicaliser la violence. Elle est marquée par l’incendie de la vieille maison familiale des Rajapaksa à Tangalle, l’occupation du palais présidentiel pillé et vandalisé, des destructions de voitures officielles, les agressions physiques contre des personnalités, des morts et des blessés.
Cette évolution rapide de la crise va conduire à la démission de Gotabaya. Avant son départ précipité vers Singapour on lui fait passer un deal avec Ranil Wickremesinghe, l’inamovible dirigeant de la droite sri lankaise devenu entre-temps premier ministre sur proposition de Gotabaya. Tout cela bien sûr, sous les auspices de l’ambassadrice des Etats-Unis, dont la mission après avoir enfin dégager les Rajapksa est de faire jouer à Ranil le rôle de Régent chargé de préparer l’accès au trône de celui sur lequel les Etats-Unis ont porté leur dévolu.
Pour veiller aux apparences, Ranil sera le nouveau Président et on s’arrangera même pour qu’il ne soit pas élu. Plusieurs fois ancien premier ministre, libéral, ami de Georges Soros, c’est un pro occidental sans complexes. Pour les besoins de la cause et lui permettre d’occuper la fonction plus rapidement on fermera les yeux sur la Constitution et on se contentera d’un vote au parlement. C’est parfaitement antidémocratique mais personne ne trouve rien à y redire et pour cause. Très vite les organisateurs du mouvement de contestation vont s’effacer pour laisser les mains libres au nouveau président et son gouvernement. On assiste alors à une sorte de consensus général en forme d’union nationale de circonstance de toutes les forces politique y compris du JVP. Pourtant le mécontentement social est toujours fort d’autant qu’il n’a rien obtenu de tangible, mais aucune force sociale ou politique ne le prend en charge. De plus, Ranil fait appel à la répression et menace de faire intervenir l’armée si les choses ne rentrent pas dans l’ordre. Finalement, le mouvement s’essouffle et s’achève. Enfin, le paysage étant dégagé, la manipulation peut passer à une autre étape. Toute l’attention va être portée sur le plan de sauvetage de l’économie sri lankaise que Ranil veut obtenir du FMI et qu’il finira par décrocher avec l’appui des Etats-Unis et l’assentiment de toute la classe politique, y compris le JVP.
Dette, faillite et manipulation.
En avril 2022, le Sri Lanka qui traverse sa pire crise économique depuis 1948 annonce qu’il suspend le remboursement de sa dette de 46 milliards de dollars. Le pays se déclare en défaut de paiement et en quasi faillite.[37] Pourtant, il n’a nul besoin de le faire d’autant que cette situation est créée artificiellement. D’emblée le gouvernement de Ranil Wickremesinghe se prononce en faveur de négociations avec les institutions internationales lui permettant de restructurer sa dette et de respecter ses obligations. Pour lui éviter les fourches caudines du FMI, la Chine se propose d’aider Colombo, mais en vain. Du fait des sanctions contre la Russie le gouvernement en prend acte et se prive délibérément d’un pétrole à moindre cout, ce qu’il pouvait négocier et obtenir facilement y compris à travers l’Inde. Les pressions US forcent le pouvoir a refusé ces solutions contraires aux prétentions américaines. Le choix est donc fait de venir mendier auprès du FMI et de ses conditionnalités. On est là, bien loin des propositions faites le 3 aout 1985 par Fidel Castro à La Havane[38] en faveur de l’annulation de la dette par un combat sans relâche des pays du Sud.
Aujourd’hui, fort heureusement nous n’en sommes plus là les choses ont changé, les gouvernements des pays en développement ont plus que jamais besoin de s’unir et agir ensemble contre la folie meurtrière et le totalitarisme des pays occidentaux en déclin, tout comme de leur système financier injuste et en faillite. C’est d’ailleurs ce à quoi contribue le mouvement en faveur du multilatéralisme et de la dédollarisation qu’encourage les BRICS et un nombre de plus en plus important de pays comme la Chine avec ses propositions en faveur d’une « communauté de destin » dont Les Nouvelles Routes de la Soie (BRI) auxquelles adhèrent près de 150 pays est un exemple.
Malgré ce mouvement très prometteur, Anura Kumara Dissanayake n’est pas disposé à le soutenir. Avant même d’être élu, il fait déjà le choix de capituler. Il cède et renonce à mener bataille au nom de la fatalité. Il ne prononcera pas un mot sur ce que doit devenir la coopération internationale sud/sud, rien sur le système dictatorial de Bretton Woods dont il est urgent de sortir, silence sur des échanges commerciaux entre pays sur un pied d’égalité à partir des monnaies nationales comme le pratique déjà de nombreux états afin de s’émanciper de la tutelle du dollar. Que le libéral Ranil Wickremesinghe n’en dit pas un mot, rien de surprenant à çà, mais que dire alors du pseudo marxiste Anura Kumara Dissanayake ? N’est-ce pas significatif et révélateur ? Cela va se confirmer !
Après ce long détour dont on m’excusera, le but étant de faire comprendre qui sont les acteurs de cette histoire sri lankaise, nous pouvons passer au deuxième acte de ce complot mené de main de maitre par les Etats-Unis et dont le mouvement Aragalaya aura été le premier acte. Car, il y a bien sûr une continuité, une cohérence dans tous ces événements et donc aucune divine surprise. Tout s’articule parfaitement. Le tempo est donné depuis l’Ambassade des Etats-Unis. Les élections présidentielles de septembre 2024 seront la prochaine étape. Elles auront pour but l’installation d’Anura Kumara Dissanayake dans le fauteuil présidentiel. Imaginez un « marxiste » à la tête du Sri Lanka avec la bienveillance et le soutien des Etats-Unis. Bravo l’artiste !
Anura président
Sans surprise donc, Anura arrive en tête de l’élection du 21 septembre, il est le candidat soutenu par le JVP/NPP[39] nouvelle appellation de l’alliance de petits partis et de professions libérales, universitaires, les ONGs, hauts fonctionnaires d’état et surtout de représentants du big business sri lankais. Le NPP créé avec le JVP en 2019 compte 22 organisations très diverses, groupes féministes, activistes LGBTQ, artistes et même un parti communiste alternatif qui n’a rien à voir avec le vieux PC du très respecté Dew Gunasekara. Cette constellation à l’image de marque « société civile » sur le modèle occidental et à l’esprit ONG soucieux du sociétal et beaucoup moins de la contradiction capital/travail est représentative des classes moyennes et du monde des affaires que l’on a convaincu de se mobiliser en faveur d’Anura en le soutenant de toutes les manières possibles. Cette coordination va se retrouver autour d’un mot d’ordre simple « le pays pour Anura » son symbole sera « la boussole ». En fait, on retrouve là, la véritable base sociale du JVP. Celle-ci a d’ailleurs peu évolué. Elle demeure celle d’une petite bourgeoisie urbaine éduquée, mouvementiste et occidentalisée, critique des relations avec la Chine sensible également aux préoccupations wokistes.
La victoire d’Anura est typiquement un vote de classe moyenne et n’est donc pas ce que l’on peut appeler un vote populaire comme ce fût le cas avec l’élection en 2019 de Gotabaya Rajapaksa avec 52,25%. Anura obtient 42,31% des votes. Les deux candidats de droite Ranil Wickremesinghe avec 17,27% et Sajith Premadasa avec 32,76% qui sont à l’origine issus du même parti obtenant ensemble : 50,03%, soit la majorité en voix et pourcentage. Il n’y a qu’un tour, celui arrivé en tête emporte la mise.
Dans ces résultats, personne n’ose rappeler qu’aux précédentes présidentielles 5 ans auparavant le résultat d’Anura Kumara Dissanayake était de 3%. De 3% à 42% une progression spectaculaire jamais vue dans n’importe quelle élection et où que ce soit. Il est vrai que pour accéder à l’establishment dominant et manipuler les attentes populaires, Anura n’aura pas ménagé ses efforts. Ses sponsors : le monde des affaires, les médias, la police et l’armée, Delhi et Washington peuvent être satisfaits. Il ne reste plus qu’à attendre le retour sur investissement.
C’est ainsi que le 23 septembre, Anura Kumara Dissanayake a prêté serment et est devenu le 10e président du Sri Lanka. Immédiatement, il a dissous le parlement et convoqué des élections générales pour le 14 novembre, il a nommé une libérale liée au monde des affaires mais aussi aux Etats-Unis, connue pour son hostilité à la Chine, la Dr. Harini Amarasuriya comme première ministre. Une décision que l’on peut qualifier d’anticonstitutionnelle dans la mesure où celle-ci selon les pratiques en vigueur au Sri Lanka doit être une élue issue du suffrage populaire. Ce qui n’est pas le cas ! L’objectif est donc de donner le ton et d’emblée de rompre avec le système précédent afin de permettre à la « société civile » d’accéder à des fonctions officielles. Ce choix n’est donc pas anodin. Elle est issue elle-même de la mouvance ONG, membre du JVP tout en appartenant à une famille de riches planteurs qui furent les ennemis jurés du JVP du temps de ses insurrections. Ce qui ne manque pas de surprendre. Elle a fait ses études aux Etats-Unis et à l’Open University de G. Soros. Elle se déclare elle-même de « centre gauche ». Aux côtés de Julie Chung, l’entreprenante ambassadrice des États Unis, elle a été introduite auprès de Samantha Power,[40] patronne de USAID et proche parmi les proches de Barack Obama. Au service de celle-ci, Amarasuriya a joué le rôle d’intermédiaire pour introduire les principaux dirigeants de la droite sri lankaise anti-Rajapaksa auprès de l’administration US.
Julie Chung se frotte les mains.
Faut-il ajouter qu’Anura a décidé de choisir comme collaborateurs les plus directs mais aussi pour diriger les administrations et les services publics de jeunes technocrates et des dirigeants d’entreprises liées à la finance et à la technocratie. Ce ne sont pas des nouveaux venus, bien avant le NPP dont ils sont des membres actifs ils agissaient en faveur de changements compatibles avec l’idéologie libérale. Là encore les Etats-Unis ont beaucoup investi dans la détection et la promotion de ces jeunes leaders. Au fond le dieu romain au double visage, Janus a du beaucoup inspiré Anura et les dirigeants du JVP/NPP.
Le vote en faveur d’Anura s’appuie d’abord et avant tout sur le rejet d’un système politique désuet et anachronique qui a marqué l’histoire du pays depuis l’indépendance. Deux partis en alternance dominaient alors la vie sri lankaise et se partageait le pouvoir à tour de rôle : le SLFP de centre gauche, nationaliste, ayant donné naissance après sa scission au SLPP. L’autre, l’UNP le parti de l’élite compradore dirigé depuis des décennies par l’ex-président Ranil Wickremesinghe, ce parti ayant également connu une scission qui aura donné naissance au SJP de Sajith Premadasa.[41] Ces deux forces étant l’une comme l’autre minées par la corruption et le népotisme.
Le rejet des partis politiques institutionnels, de leurs candidats corrompus et le plus souvent incompétents est devenu le sujet sempiternel des discussions au Sri Lanka au point de perdre de vue le fond des choses et laisser place aux réactions émotionnelles. On s’est chargé de les entretenir, les médias y contribuant, en particulier Channel 1 News first appartenant à un des dix plus grands conglomérats financiers et Industriel du pays : le groupe Maharaja, les ‘Think-Tank’ et bien sur les ONG en particulier celles liées à Georges Soros qui jouent leur partition. Celles-ci sont dispersés depuis plusieurs années dans le pays à travers un vaste maillage en réseau enfin il ne faut pas oublier le rôle des prédicateurs évangélistes.[42]
Si, le problème de la corruption est bien réel et particulièrement contagieux, tous les partis sont visés, JVP compris. Pourtant, si on parle souvent des corrompus on ne le fait jamais des corrupteurs. Par exemple, en février 2015 le Gouverneur de la Banque Centrale, sous le précédent gouvernement de la droite, a été directement impliqué dans un scandale financier qui a couté au pays la bagatelle de 35 milliards de roupies, environ 11 millions de dollars. Il n’a pas été arrêté et continue à couler des jours heureux à Singapour.[43] On a soupçonné le premier ministre de l’époque Ranil Wickremesinghe d’être impliqué.
Dans l’une de ses premières interventions comme président, Anura a jugé bon de réunir les fonctionnaires du ministère de l’agriculture pour leur parler de corruption afin d’y mettre un terme.[44] On ne va pas contester une telle démarche. Seulement Anura Dissanayake oublie toujours de parler de la corruption de très haute volée, du blanchiment d’argent, du trafic de devises, des transferts de fond des grandes entreprises financières sri lankaises vers les paradis fiscaux. Le Sri Lanka est devenu un Hub international réputé en ce domaine, or c’est à cela qu’il faut s’attaquer. Le problème semble-t-il c’est que l’on trouve ces mêmes entreprises sri lankaises dans l’affaire des Panama Papers tout comme dans le soutien au nouveau président.
Malgré cela, reconnaissons que le JVP/NPP a été habilement conseillé de reprendre à son compte et de manière sélective la lutte contre la corruption ! Les gentils organisateurs de la campagne électorale vont d’ailleurs compléter cette exigence avec le besoin d’une autre « culture politique ».[45] On en fait donc le thème principal de la campagne, d’Anura. Mais comme cela ne suffit pas, on va immédiatement conjuguer ces deux mots d’ordre (corruption, nouvelle culture politique) avec celui de « bonne gouvernance », un des sujets de prédilection du FMI et de la Banque Mondiale. Cela permettra ultérieurement à l’ambassade des Etats-Unis, au FMI, à Bill Gates, au coordinateur local de l’ONU et à beaucoup d’autres de saluer les valeurs morales et éthiques des thèmes de campagne d’Anura Kumara Dissanayake.
La vote en faveur d’Anura est donc avant tout un vote de rejet, un vote contre la corruption des politiciens locaux, du moins c’est ce que le JVP/NPP prétend. Ce n’est pas un vote d’adhésion à un programme économique et social progressiste, encore moins à un programme socialiste. Car au fond, le programme JVP/NPP n’est qu’une gestion d’un capitalisme qui se veut plus efficace et qui par-dessus tout respecte les règles du système dominant, celui de la finance mondialisée. Pour le NPP, il faut en finir avec la « mauvaise gestion ». Mais, il faut surtout transférer au business les sources de profit encore sous le contrôle de l’état et ne conserver à celui-ci que ses fonctions régaliennes, ce n’est rien d’autre que le projet de bonne gouvernance à la sauce libérale de la Banque Mondiale. C’est pourquoi, le JVP/NPP propose de privatiser les entreprises publiques considérés non rentables. C’est ce que recommande également Mc Kinsey qui, à Colombo, a ses bureaux voisins de ceux du premier ministre. Cette société d’audit bien connu entend faire procéder à une réingénierie technocratique de l’état, restructurer celui-ci en le débarrassant de ses charges de redistribution et responsabilités publiques, en le plaçant au service des puissances étrangères et de la finance internationale. Pour Mc Kinsey, Advocata et le FMI/Banque Mondiale, il faut en finir avec la souveraineté populaire et dynamiter le service public, ils choisissent sans hésitations Anura Dissananayake comme leur candidat ! En ce sens le programme du JVP/NPP est éminemment politique dans ce pays qui a eu et a encore un réseau important d’entreprises nationales et ou la terre appartient aux citoyens qui ont tant contribué par leurs luttes à la qualité de l’éducation et de la santé des gens. Là, sont les conditions du FMI/Banque Mondiale et de ses partenaires que le nouveau président a fait le choix de suivre et respecter.
Finalement, un gouvernement provisoire a été mis en place et tous les portefeuilles ont été distribués entre les 3 députés du JVP, y compris Anura. Pour l’heure ce qui domine c’est l’attente des gens parmi les plus modestes. Elle est forte, les illusions ne le sont pas moins comme si aux yeux d’un grand nombre mettre fin à la corruption des fonctionnaires et des politiciens allait résoudre tous les problèmes comme par magie. Sous peu, le réveil risque d’être douloureux, d’autant que le président et son micro gouvernement à trois se sont engagés à respecter à la lettre les conditionnalités imposées au pays par le FMI.
Bien avant les élections présidentielles, Anura et celle qui allait devenir sa première ministre ont multiplié les déclarations apaisantes. Ce fut le cas avec le meeting de plusieurs centaines de chefs d’entreprises le 4 septembre tenu à l’hôtel Monarch Imperial convoqué par le Forum des Affaires. Là, Anura, ses assistants et collaborateurs réaffirmèrent leurs choix de collaboration loyale avec le monde des entreprises mais surtout leur respect des engagements pris auprès du FMI/Banque Mondiale.
Le Economic Transformation Act
En fait, un évènement révélateur aura précédé les élections, il est politiquement déterminant pour comprendre la suite des évènements : le Economic Transformation Act (ETA), défendue par Ranil et son gouvernement avant les élections, il a été approuvé par le Parlement sans vote et donc par consensus unanime le 25 juillet 2024.Cette loi nouvelle doit être considéré avec deux autres lois également adoptés avant les élections le Public Financial Management Act et le Public Debt Management Act. C’est-à dire trois lois permettant d’engager des réformes institutionnelle, fiscale, monétaire. Ces lois immédiatement publiées au journal officiel sont sans précédent, elles vont constituer une jurisprudence. C’est ce que voulait le FMI/Banque Mondiale. Leur rédaction va passer officiellement dans la loi sri lankaise et par ses différents articles l’ensemble des conditionnalités et réformes imposées par le FMI/Banque Mondiale. Tous les membres du Parlement ont approuvé, y compris les 3 députés du JVP dont Anura Kumara Dissanayake. Anticipant les réactions et résistances populaires qui a termes ne manqueront pas, le Parlement sri lankais a dans une ultime trahison de la souveraineté nationale et des intérêts des gens fait le choix de garantir et protéger les exigences du FMI/Banque Mondiale en plaçant le pays sous sa tutelle et donc celle des Etats-Unis.
Il s’agissait d’obtenir du FMI un prêt de 2,9 milliards de dollars d’une durée de 48 mois. Comme toujours, les conditions imposées unilatéralement sont brutales et draconiennes, le pays n’a ainsi plus droit de battre monnaie, la gestion de la dette qui devrait relever de la mission de la Banque Centrale le sera dorénavant confié à une « institution indépendante ». C’est la soumission pieds et poings liés. Cette capitulation ne pourra qu’aggraver la situation des plus pauvres qui représentent déjà officiellement près de 25% de la population. Tendance qui ne cesse de s’aggraver avec la hausse spectaculaire et continu des produits de première nécessité, des tarifs de l’énergie, des transports, des produits de santé, du matériel scolaire pour les enfants.
Pour atteindre les objectifs du FMI et réduire la dette extérieure estimé à 37 milliards de dollars, rien ne garantit que le pays puisse se libérer des contraintes qu’on lui impose et comme c’est souvent le cas le service de la dette risque de nouveau grimper, entraînant de nouvelles mesures contraignantes. Santé et éducation sont déjà particulièrement visés.
Le plan du FMI/Banque mondiale.
Les objectifs du FMI/Banque Mondiale à atteindre sont les suivants.[46] Ils sont approuvés par Anura Kumara Dissanayake et le JVP/NPP avant toutes nouvelles discussions et réunions avec le FMI qui doit intervenir immédiatement après l’installation du président dans ses fonctions. On suit donc fidèlement le programme mis au point par l’ambassadrice des Etats-Unis. Le FMI exige, il faut donc :
Augmenter la fiscalité indirecte, qui est régressive puisque les pauvres paient de manière disproportionnée plus que les riches, à travers notamment le rôle de la TVA (VAT) ;
Augmenter les taux d’intérêt bancaires, rendant l’emprunt plus coûteux, ce qui va pénaliser les micros et petites entreprises nombreuses dans le pays ;
Restructurer la dette intérieure, dont les fonds de retraite du secteur public étaient les principaux investisseurs, ce qui a entraîné une réduction drastique de la valeur finale des prestations et donc des pensions. Au Sri Lanka on n’a pas de système de retraite dans le privé, on perçoit en fin de carrière un fond de providence que l’on place et l’on vit sur les intérêts bancaires qu’il peut produire ;
Réduire les effectifs du secteur public pour diminuer la masse salariale de l’État, ce qui érode encore plus les services publics et crée des opportunités de marché pour les prestataires du secteur privé ;
Supprimer les subventions sur les biens publics tels que le carburant pour le transport, et l’électricité en laissant libre cours aux prix du marché ;
Démanteler le système de sécurité sociale au profit de « filets de sécurité sociale » qui « ciblent » des groupes spécifiques en fonction de leurs revenus et de leur patrimoine ;
Précariser le marché du travail par une déréglementation du code du travail.
Consolider les terres agricoles en grandes exploitations pour les cultures commerciales (d’exportation), favoriser l’agro business en délivrant des titres fonciers aux petits exploitants qui pratiquent actuellement la culture vivrière ;
Geler les projets de dépenses en capital du gouvernement, avec des implications pour l’infrastructure publique, la fourniture de services publics, l’industrie de la construction et l’emploi ;
Il s’agit également de poursuivre les privatisations d’entreprises non stratégiques, c’est le cas dans l’immédiat d’Hotels, d’Hôpitaux, de certaines assurances, de Sri Lankan Telecom, et probablement de Sri Lankan Airlines ;
De poursuivre l’encouragement aux investisseurs étrangers et de favoriser le tout à l’exportation. Dans ce sens on favorisera la création de zones de non droits et de sur exploitation des travailleurs à travers de nouvelles zones franches, notamment par la création de 3000 petites zones franches paysannes contribuant ainsi à l’agro industrie.
Sans aucune surprise, le nouveau président Anura reçoit donc une délégation du FMI de haut niveau conduite par Peter Breuer chargé du dossier Sri Lankais afin de confirmer sa fidélité à l’approbation par le parlement de la loi Economic Transformation Act. Anura tout en sachant qu’il n’y a rien à négocier cherche à obtenir de petits aménagements à la marge. Il faut quand même maintenir les apparences !
Son objectif est électoraliste en vue des prochaines élections générales car celles-ci seront sans doute plus difficile à gagner. Pour cela il propose de desserrer l’étau des prix des produits de première nécessité comme le riz ou en supprimant la TVA sur d’autres denrées . Il n’ y aura pour l’heure aucune réponse positive quant au fond de l’accord conclu. Pour le FMI qui va se féliciter de ce premier entretien avec le président, il n’ y a rien à réviser d’autant « que la reprise délicate du Sri Lanka est à un moment critique et la mise en œuvre de tous les engagements est donc essentielle ».[47]
Toutefois on va confirmer la restructuration d’une partie de la dette.[48] En fait, elle avait déjà été négociée et acceptée le 19 septembre[49] par Ranil Wickremesinghe avec les institutions financières occidentales détenteurs d’obligations d’état. Ce sera la compagnie US CitiGroup Global Markets[50] qui coordonnera la réalisation financière du deal au nom de ses partenaires mais sous conditions : le respect des engagements pris auprès du FMI et l’interdiction d’émettre la roupie. Pour que les choses soient encore plus claires vis-à-vis de ses interlocuteurs Anura décidément très conciliateur va accepter de maintenir le gouverneur de la Banque centrale Nandalal Weerasinghe à son poste, il avait été nommé par Ranil Wickremesinghe. C’est un ancien directeur du FMI, un banquier. Dorénavant et selon la réforme de la banque centrale approuvé avant les élections il n’aura plus de compte à rendre au Parlement. C’est aussi le cas pour le Secrétaire du Trésor Mahinda Siriwardana qui est lui-même un ancien dirigeant du FMI. Anura fait bien les choses, le FMI a tout lieu d’être satisfait.
Le prix social à payer sera donc très lourd et le « donnons-leur une chance » qui est la réaction de beaucoup de gens ne pourra déboucher que sur d’amères désillusions. Les promesses de reconstruire l’économie et d’améliorer les conditions de vie à partir du programme du FMI/Banque Mondiale est donc un abus de langage du JVP/NPP pour ne pas dire une falsification en forme d’escroquerie politique, une manipulation.
A peine installé et pour compléter le tableau, c’est dans ce contexte qu’Anura a multiplié les rencontres. De manière très significative il a reçu la Fondation Bill Gates dans le but de poursuivre le grand projet de digitalisation de l’agriculture souhaité par son prédécesseur dont l’application ailleurs a contribué à favoriser l’agro business. Au Sri Lanka, le philanthrope Bill Gates n’entend pas s’en tenir que là. Il veut contribuer au développement des ressources humaines dans les entreprises publics et privés, à la lutte contre le réchauffement climatique, et même au panier repas quotidien des écoliers. Sur la digitalisation Bill Gates apportera son savoir-faire, ses conseils et bien sûr son aide financière.[51] Mais, juré, promis sans corrompre qui que ce soit.
Dans ces conditions et devant autant d’engagements, on ne s’étonnera pas de voir le président libéral sortant Ranil Wickremesinghe déclaré sa confiance et apporté son soutien à celui qu’il appelle déjà : « Mon président ».
La visite de Subrahmanyam Jaishankar !
« Nous ne représentons pas un projet extrémiste et sommes prêts à travailler avec tous les états et sans conflits ».[52] C’est le choix qu’Anura fait en faveur de la neutralité et en fait le refus de prendre position en faveur des forces de progrès qui aujourd’hui construisent une alternative à la crise d’un occident en déclin. S’engager dans cette voie serait renforcer le camp des pays émergents de la région qui ont pourtant à différents moments soutenu le Sri Lanka. Ce serait surtout s’engager dans un nouveau mouvement d’émancipation et de décolonisation, contribuer à une dynamique en faveur d’une zone de paix dans l’Océan Indien, combattre la multiplication des tensions et des conflits voulus par l’impérialisme US et ses vassaux, faire le choix d’une coopération sans conditionnalités politiques sans ingérence et dans le respect des souverainetés. Seulement, ce n’est pas l’orientation prise par Anura et le JVP/NPP. Il est d’ailleurs remarquable de constater que ce parti qui se réclame de la gauche n’a jamais organisé la moindre manifestation de protestation devant l’imposante ambassade des Etats-Unis à Colombo ni exprimé la moindre critique de la politique criminelle d’Israël et des Etats-Unis, la moindre solidarité avec la résistance du peuple palestinien ou de tout autre peuple d’ailleurs.
C’est là, l’illustration d’un autre renoncement significatif dont le but non avoué est non seulement de ménager de manière opportuniste les objectifs stratégiques nord- américains, mais finalement faire le choix de s’y rallier en se soumettant à Washington.
Cette déclaration d’Anura, cité plus haut faisait suite aux trois jours de rencontre à Delhi avec S. Jaishankar, le ministre des affaires étrangères de l’Inde. Ce dernier vient de se rendre à Colombo pour rencontrer l’ancien et le nouveau président mais surtout pour veiller à ce que le Sri Lanka demeure un vassal obligé du pré-carré Indien.
Là encore on assiste à un revirement à 180° par rapport à ce qu’était à la rhétorique anti indienne du JVP. Cette fois il s’agit d’admettre l’hégémonie indienne dans la région et satisfaire les demandes de celle-ci surtout quand elles prennent un caractère stratégique. C’est le cas avec le contrôle et la gestion des tankers pétroliers stratégiques de Trincomalee dont l’exploitation a été donné à l’Inde sans aucun appel d’offre. Préoccupé par les enjeux géopolitiques de la région à fortiori après le coup d’état au Bangladesh, l’instabilité du Myanmar et les tentatives de déstabilisation des Maldives, l’Inde fait monter les enchères d’autant plus facilement que le JVP/NPP a décidé de lui accorder une sorte de domaine réservé.
Dans trois autres importants dossiers, le gouvernement JVP/NPP va s’engager à faire la part belle aux entreprises indiennes. C’est le cas avec l’installation d’un Centre de coordination maritime de secours piloté par Barhat Electronics une entreprise dépendant du Ministère de la défense de l’Inde. Autre cas révélateur, le vaste projet d’énergie renouvelable installés sur deux iles au large de Jaffna et qui doit être confié au groupe du multi milliardaire Indien Gautam Adani, ami proche de Narendra Modi, et cela au détriment d’entreprises sri Lankaises sans parler des lourdes critiques au sujet des conséquences sur l’environnement. Enfin la porte est ouverte pour la prise en charge par l’Inde d’un vaste programme d’identification biométrique de tous les Sri Lankais (unique authentification data).
Évidemment à travers ce volontarisme bienveillant à l’égard de l’Inde il s’agit dans l’esprit du JVP/NPP de rassurer les Etats-Unis et de faire pièce au rôle et à la place de la Chine dont l’influence au Sri Lanka comme dans la région est importante. A ce sujet, Harini Amarasuriya, la nouvelle première ministre, a clarifié ce que seront les positions du gouvernement vis-à-vis de la Chine. Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour Beijing ! Amarasuriya a été clair, en reprenant à son compte les calomnies et les fake news propagées sur la dépendance du Sri Lanka à l’égard de la Chine.[53] « La chine », a-t-elle dit dans une interview à Bloomberg news, « a été une source d’argent facile, pour des projets improductifs ».[54] Elle a ensuite ajouté dans une autre interview au magazine The Federal, « nous connaissons les tensions régionales et la sensibilité de l’Inde sur sa sécurité. Or, notre location géographique à un impact sur celle-ci. Nous devons en tenir compte ».[55] Autant dire, il faut que le Sri Lanka en toute indépendance serve de supplétif à l’Inde si des conflits devaient venir avec la Chine.
S. Jaishankar est un diplomate de haute volée. Il sait peser ses mots. Il est intéressant de noter qu’il a bien évidemment réaffirmé le soutien de l’Inde au sri Lanka mais ce que l’on a noté c’est qu’il l’a exprimé de manière assez humiliante à l’égard d’Anura en rendant un hommage appuyé et en rencontrant l’ex-président Ranil Wickremesinghe. Il a loué sa fidélité remarquable à la coopération stratégique avec Delhi mais surtout il a voulu rassurer celui-ci sur l’engagement de l’Inde à poursuivre dans cette voie. Cette attitude un brin méprisante vis-à-vis du nouveau président n’est évidemment pas sans signification. A Delhi, on n’oublie pas la résistance armée du JVP contre l’armée de Rajiv Ghandi en 1987 et encore moins l’accusation lancé contre l’Inde au sujet d’une implication directe de ses services secrets, le RAW, dans les attentats terroristes au Sri Lanka d’avril 2019.[56]
Chine, Inde, Etats-Unis, le triangle incontournable
Les relations entre les Etats-Unis, l’Inde et la Chine déterminent directement les enjeux géopolitiques dans la région. Par conséquent ils influencent la politique étrangère de chaque gouvernement et donc inévitablement celui du Sri Lanka. Il semble que les nouveaux dirigeants à Colombo n’ont pas encore compris cette évidence ou plus simplement ils ne veulent pas la comprendre. Pourtant la parole de S. Jaishankar[57] était destiné au Sri Lanka autant qu’à la Chine et aux Etats-Unis. Y réfléchir à toute son importance dans l’appréciation que l’on porte sur l’évolution du rapport des forces international et donc à la définition d’une politique étrangère a fortiori dans une région aussi stratégique et ou se joue pour une part importante le devenir de l’humanité.
Car on note et depuis un certain temps un refroidissement des relations entre Delhi et Washington surtout après le coup d’état au Bangladesh orchestré par les Étatsuniens et l’inscription de l’Inde par une Commission du Congrès sur la liste noire des états qui ne respectent pas la liberté religieuse. Bien sûr, il faut ajouter que la relation historique de l’Inde avec la Russie marquée par la visite de Narendran Modi à Moscou dès sa récente réélection et symboliquement le même jour de la réunion des chefs d’état de l’OTAN ne fut pas sans provoquer des grincements de dents. Conséquence des sanctions et de la guerre en Ukraine, l’Inde soucieuse de son indépendance s’est exprimé à l’ONU d’une manière qui a fortement déplu à Washington, sans parler du fait que l’Inde est devenue une plate-forme stratégique de raffinage du pétrole russe. Tout cela contribue à un positionnement différent et souverain de la grande nation asiatique sur de nombreux dossiers malgré sa présence au sein de la Quad et sa participation à de récentes manœuvres militaires
Si on ne saurait les idéaliser, il est indiscutable que les relations entre l’Inde et la Chine ont évolué de manière positive en particulier dans la dernière période. Évidemment le pouvoir d’attraction du marché chinois ne laisse personne indifférent pas plus à Delhi qu’ailleurs. Ainsi, on peut vérifier les progrès très positifs des relations commerciales marqués par une plus grande présence d’entreprises chinoises en Inde et le soutien apporté aux transferts de technologies dont Delhi a impérativement besoin afin de combler les désengagements de plusieurs entreprises occidentales. Par ailleurs des solutions ont été trouvées sur les différents frontaliers qui empoisonnaient les relations. Les fréquentes rencontres entre S. Jaishankar et Wang Yi[58] tout comme entre Modi et Xi Jinping ont contribué à créer une autre atmosphère. Bien sur la présence des deux pays au sein des BRICS ou du Forum de Shanghai n’est pas indifférente à ces changements. Cet état d’esprit nouveau devrait encourager Colombo à se saisir de ces opportunités, cela ne semble pas à l’ordre du jour.
En conclusion provisoire.
Il est bien évident qu’il est prématuré de porter un jugement définitif sur l’avenir politique du Sri Lanka. Il y a bien légitimement l’espoir chez une majorité de gens de voir leur pays sortir d’une crise profonde qui n’est pas uniquement social, économique et politique. Le Sri Lanka est un pays à la civilisation millénaire voisine de l’Inde avec laquelle elle partage une longue histoire commune faites de tensions et de conflits mais aussi de combats communs comme celui pour construire ce mouvement des non-alignés pour lequel la contribution de Jawaharlal Nehru et de Sirimavo Bandanaraike fut si important.
Le Sri Lanka a connu trente ans de guerre, son unité et sa cohésion furent menacé par un mouvement séparatiste qui par ailleurs bénéficiait du soutien des pays occidentaux dont l’intérêt est toujours aussi manifeste pour la position stratégique du Sri Lanka au cœur de l’Océan Indien. Cette épreuve a forgé une volonté chez les Sri Lankais, renforcé un attachement très fort à leur indépendance et à leur souveraineté. Par conséquent s’ils vont laisser au nouveau président et à son gouvernement un certain temps d’observation, ceci ne durera pas et cela d’autant que le programme de démantèlement économique et social du FMI/Banque Mondiale va être appliqué rapidement et avec détermination. Les Sri Lankais vont donc faire leur expérience et ils vont en tirer des conséquences. Les choses vont plus vite que prévu et on assiste à un début de prise de conscience, Colombo vient de connaitre ses premières manifestations étudiantes de même que celle des dockers du port. Dans les deux cas, Anura a fait envoyer les forces de l’ordre et les canons à eau.
Par conséquent, Anura Kumara Dissanayake se trompe s’il pense qu’il pourra longtemps abuser son peuple. Il a fait un choix et celui-ci n’est pas un choix de rupture mais de continuité, pire de collaboration étroite avec les intérêts géo stratégiques des USA et leur objectif de guerre imminente avec la Chine.
Sur le plan international, nous traversons une période de risques, de tensions extrêmes mais aussi d’opportunités. Celles-sont à la mesure des enjeux ! Dans la région si les initiatives de la Chine contribuent à ouvrir des perspectives de développement et permettent d’ouvrir d’autres voies que le recours à la conflictualité et à la guerre. Les Etats-Unis vont poursuivre brutalement leur entreprise de refoulement de l’influence de la Chine en cherchant à déstabiliser certains pays les uns après les autres. C’est la mission confiée à certains personnages de l’administration américaine qui se déplacent beaucoup dans la région, comme Donald Lu[59] responsable pour l’Asie centrale et sud du Département d’État qui a joué un rôle déterminant dans la destitution de Imran Khan au Pakistan et plus récemment de Sheik Hasina au Bangladesh deux pays aux relations étroites avec la Chine. Le Sri Lanka est toujours sur la liste des préoccupations américaines et la présence de Liz Allen sous-secrétaire d’état[60] en février 2024 à Colombo a donné une indication supplémentaire sur l’attention toute particulière porté par Washington pour concrétiser les changements prévus. Un journaliste Sri Lankais m’a fait remarquer récemment que Julie Chung l’ambassadrice des États Unis devait être « la femme la plus heureuse du monde ». A ce stade, elle a en effet été à la hauteur de la mission qui lui avait été confié. Mais nous sommes loin de la fin du film ou de la pièce qui se joue sous forme de partie d’échecs dont on pousse les pions.
Alors, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Philippines missionné pour jouer un rôle offensif dans la confrontation à la manière de l’Ukraine, provocations permanentes en mer de Chine du Sud Est et à Taïwan. Qui et où demain Népal, Myanmar, Indonésie certaines républiques d’Asie Centrale et pourquoi pas un jour l’Inde ? La mise en place d’un véritable cordon sanitaire autour de la Chine se poursuit avec la multiplication de bases militaires y compris avec les grossières campagnes médiatiques internationales contre le Xinjiang, le Tibet ou Hong Kong, les manœuvres militaires dans la Baie du Bengale ou à proximité de la Chine et de la Corée du Nord. Les défaites successives des Etats-Unis au Proche Orient ou en Ukraine les conduisent à faire le choix du pire. Le Sri Lanka n’échappera pas à ses enjeux et cela d’autant que l’ile a toujours fait l’objet de convoitise, pour ses richesses comme pour sa position stratégique unique.
Cette situation inédite que connaît le pays va donc tôt ou tard se clarifier, mais cela va exiger que des forces politiques prennent en charge la lutte pour faire échec aux ambitions de l’empire et donc au programme réactionnaire du FMI/Banque Mondiale afin de garantir souveraineté et indépendance, coopération, paix et justice sociale. Ce combat ce n’est évidemment pas le monde des affaires qui va le mener, ni la vieille classe politicienne totalement discréditée, ni bien sur le JVP/NPP quant à la gauche hier si influente et prestigieuse elle doit elle aussi tirer les leçons et les conséquences de cette longue période de l’histoire du Sri Lanka qui vient de s’achever.
Le monde change vite, tout particulièrement dans cette région ou les Etats-Unis cherchent à faire échec aux alliances anti hégémoniques que les peuples nouent. Le Sri Lanka doit prendre part à cette bataille du bon côté de la barricade. Cela va être à son peuple d’en décider.
Jean-Pierre PAGE*
* Ancien responsable du secteur international de la CGT.