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Du progrès au progressisme

Comme la sémantique détermine beaucoup de choses dans la compréhension des enjeux et des rapports sociaux, rappelons que le progressisme désigne une idéologie – comme tout substantif en « -isme » – dérivée de l’idée de progrès. Ainsi de l’égalitarisme, qui est la vision militante et globalisante de l’égalité.

Alors que le progrès et l’égalité devraient relever, anthropologiquement, de processus naturels, raisonnables et mesurés, le progressisme et l’égalitarisme sont l’expression d’une volonté de contrôle politique, social et institutionnel de ces phénomènes. Or, dès lors qu’une autorité centrale s’exerce, la contrainte et l’intérêt privé ont souvent tendance à perturber – dans un sens favorable à cette même autorité – le cours naturel des choses.

D’un point de vue pratique – puisque la politique devrait avant tout en appeler au pragmatisme collectif –, le plein-emploi est sans doute le premier critère observable d’une société réellement inclusive. Avec ses 3 millions de chômeurs officiels, on peut objectivement dire que la France actuelle est en crise et pratique plus ou moins directement l’exclusion au vu de son incapacité à engager professionnellement sa population, malgré les diverses offensives sociétales (tenant donc de l’égalitarisme et non de l’égalité) et migratoires menées par les gouvernements successifs.

Par la transformation du monde du travail ces dernières décennies, avec la généralisation des métiers du secteur tertiaire et de la nouvelle bureaucratie numérique liés à la dématérialisation et la déshumanisation des tâches, les compétences attendues ne sont plus les mêmes, s’éloignant toujours plus du savoir-faire traditionnel et de sa noblesse fonctionnelle, basés sur la notion de mérite et le service rendu à la collectivité.

Si l’on peut se féliciter, au nom de l’égalité des chances, que la société inclusive contemporaine soit parvenue dans une certaine mesure à garantir un emploi à ceux qui, victimes de préjugés discriminatoires (origine géographique, apparence physique, état de santé, parcours scolaire, etc.), en étaient jusque-là injustement écartés, ce sont les dérives provocatrices d’un progressisme fanatique qui ont fait de ces avancées sociales une lutte partisane aujourd’hui dépourvue de raison et de morale. D’où la nécessité de « savoir dire stop » lorsque les objectifs du progrès ont été collectivement atteints ; tout le travail du politique consistant précisément à maintenir cet équilibre critique sans céder à l’excès, à la surenchère idéologique et la pression communautaire associative – pour ne pas dire « corruption ».

Car tout être normalement constitué, c’est-à-dire doté d’un minimum d’empathie, ne peut qu’approuver la protection des plus vulnérables et des moins favorisés ; chacun souhaitant, au-delà des différences, voir son prochain libre et épanoui, c’est évident. Cependant, lorsque la tolérance – mélange d’empathie naturelle et d’éducation – ne suffit plus et que des lobbies agressifs – minorités extrémistes de minorités – entendent dicter leur loi par la violence représentative et le chantage à l’intolérance, l’on passe de l’inclusion légitime à la normalisation forcée, en un glissement malsain permis par un pouvoir politico-médiatique qui pratique grossièrement l’art de diviser pour mieux régner.

Ces dernières années, la légalisation du mariage homosexuel – baptisé suivant le syntagme publicitaire « mariage pour tous » – aura sans doute été la percée la plus significative de cette surenchère égalitaire, s’imposant comme une mesure idéologique forte en contresens alors qu’en France le PACS permettait déjà largement, dans la discrétion administrative, la reconnaissance officielle d’une union entre deux personnes de même sexe (partant du principe communément admis en Occident que les couples homosexuels peuvent prétendre à un tel droit). Précisons qu’il ne s’agit pas ici de remettre en question cette légalisation, mais de nous interroger quant à la distinction fondamentale entre une politique basée sur des priorités réelles et majoritaires (accès à l’emploi, au logement, à la culture et aux sports...), et une pseudo-politique basée sur des priorités artificielles et minoritaires relevant de la vie privée, intime, des citoyens.

Normaliser la marginalité en pensant la rendre plus respectable, voilà le raisonnement déficient et sans doute contre-productif de ceux qui, s’engageant par opportunisme ou par manque de vision dans la course aveugle à l’égalité, ne veulent admettre le précipice en bout de chemin : mariage pour tous, PMA/GPA pour tous, transidentité et changement de genre, éducation à la sexualité dans les écoles... puis le saut ou la marche arrière (cette seconde option étant choisie par certains pays, notamment scandinaves, pionniers en matière de « droits LGBT+ », au vu des perturbations sociales qu’un progressisme aveugle avait amenées). Dans son égocentrisme pathologique encouragé par la religion de la consommation, l’adulte en vient à oublier la question essentielle, instinctuelle, de la pérennité de l’espèce : a-t-on pensé aux enfants ? La question du modèle éducatif étant ici fondamentale.

Il y a en effet dans cette parodie de progrès une contradiction majeure, la marginalité – qu’elle résulte d’un choix ou tienne de l’état de fait – ne pouvant par définition être placée idéologiquement au même niveau d’acceptation que la norme, si toutefois l’on entend assurer la paix sociale et le bon fonctionnement des institutions ; sans parler de lois naturelles, ce sont là les lois primaires du nombre qui prévalent, et les statistiques devraient régulièrement nous le rappeler. L’on pourrait même dire que nous sommes entrés depuis quelques années dans une nouvelle phase de la dénaturation du progrès, qu’on appellera « néoprogressisme » (un courant centré sur la reconnaissance des minorités sexuelles), le progressisme originel ayant cédé aux pressions communautaires et trahissant par là sa mission universaliste qui vise à résoudre les inégalités de masse, en premier lieu celles liées au statut social et à la fortune de l’individu.

Quoi qu’il en soit, le respect est ici le maître-mot. Seulement, comment l’appliquer sereinement alors que le pouvoir politico-médiatique en place, avec ses lois d’exception et sa police de la pensée, ne cesse de provoquer la majorité ? Si encore la démocratie du XXIe siècle permettait à la majorité de déloger l’autorité illégitime responsable de la division du peuple, les minorités, à la place qui est la leur – c’est-à-dire celle que l’humilité et le discernement moyens exigent –, en seraient d’autant plus respectées. Mais de la démocratie il ne reste aujourd’hui manifestement que le nom...

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Croire que la révolution sociale soit concevable... sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu’une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l’impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale !

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.

Lénine
dans "Bilan d’une discussion sur le droit des nations", 1916,
Oeuvres tome 22

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