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De quoi Barbenheimer est-il le nom ?

Nous venons de vivre un phénomène médiatique (et non cinématographique) énorme : tous les écrans saturés par deux films en apparence très différents, mais tous deux étasuniens, Barbie et Oppenheimer ; cela veut forcément dire quelque chose. Pourtant, on cherche encore les articles stimulants sur ce sujet. Pourquoi ? Et quel symbole peut-on lire sous ce blitzkrieg médiatique ?

Pour Barbie, la réponse à la première question paraît claire : on est simplement stupéfié, médusé ; par quel bout prendre un film aussi imbécile et une telle arnaque (deux heures de placement de produit) ? « Les cons, ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnaît » : hélas, on n’en est plus là. Il faut être futé, au contraire, pour comprendre qu’à partir d’un certain degré, la connerie réduit l’adversaire au silence : comment argumenter contre Barbie, si on ne veut pas répéter des évidences qui risqueraient d’apparaître comme de fastidieux poncifs ?

Bien sûr, Oppenheimer est un autre cas de figure : là, on a affaire à un film sérieux (3 heures !), d’un réalisateur dont on vante l’intelligence, Christopher Nolan. Mais, là non plus, on ne trouve guère d’angle d’attaque pertinent, et les critiques se limitent le plus souvent à des aspects secondaires. Curieusement, même les critiques le plus à gauche prennent le film au sérieux au premier degré, celui des discussions entre scientifiques menés par un Cillian Murphy zombifié (on le verrait bien aussi comme un vampire mis au régime veggie). Je n’ai trouvé qu’un article (“ Oppenheimer, une question de propagande ? ” de Gennaro Scala) qui parte de l’évidence, à savoir que l’industrie cinématographique hollywoodienne et donc mondiale est une entreprise de propagande ; mais de quoi Oppenheimer se fait-il le propagandiste, d’après lui ? Il préconiserait un équilibre de la Terreur plutôt qu’un usage unilatéral de la bombe : il serait pourtant étonnant qu’on produise un film institutionnel étasunien pour conseiller simplement et gentiment de ne pas tuer massivement, et de ne pas risquer de détruire la Terre – le bon sens ne semble pas la chose du monde la mieux partagée chez les dirigeants occidentaux.

C’est ici que peut nous aider un livre qui devrait être la Bible de tout critique s’occupant de films étasuniens : Le complexe du loup-garou, de Denis Duclos, tant ses thèses se voient systématiquement confirmées par toute la production étasunienne et, en particulier, par ce curieux double constitué par Barbie et Oppenheimer. Selon Duclos, la culture anglo-saxonne est hantée par la peur, le mal et la mort (et c’est aux EU que cette culture a trouvé les éléments les plus favorables à son développement) : la société est sentie comme fragile, au point que sa survie est compromise par les individus déviants et violents, les berserks (1). Son seul salut face à cette menace est de mettre en place un pouvoir répressif encore plus violent (le Léviathan de Hobbes), capable d’étouffer toute pulsion criminelle ; c’est ainsi que la société étasunienne oscille sans fin entre le monde sauvage des serial killers et le monde gentillet et infantile de Disney, tous deux inséparables : plus le loup-garou fait peur, plus on a besoin de se rassurer ; mais, inversement, le monde parallèle à l’eau de rose ne peut être désirable que par opposition à l’horreur.

Ainsi, Barbie et Oppenheimer ne sont que les deux faces d’une même médaille, Docteur Jekyll et Mr Hyde. On peut même dire qu’ils se partagent le travail : Barbie endort (ou hystérise) les spectatrices (car le néo-féminisme aboutit forcément à une logique de gynécée, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre), Oppenheimer vise à convaincre les spectateurs qu’ils se montrent intelligents et responsables, en acceptant la bombe (le cinéma EU ne remet jamais en cause l’histoire étasunienne : ici comme dans Apocalypse Now, on s’étend sur les problèmes de conscience du coupable au lieu d’adopter le point de vue des victimes). Autrement dit, avec ces deux films, les Étasuniens ont mis en œuvre, simultanément, leurs deux stratégies, le soft power et le hard power. L’aspect vraiment signifiant d’Oppenheimer, ce ne sont pas ses discussions diffuses, mais sa date de sortie, en pleine guerre contre la Russie en Ukraine, et alors que les BRICS s’organisent ; son message est clair : même si vous n’êtes pas convaincu par la futile poupée rose (consommation compulsive et politiquement correct), vous avez intérêt à serrer les rangs derrière les EU, sinon vous vous retrouverez peut-être sous les ruines de la nouvelle Dresde ou Hiroshima.

Une annonce incroyable est venue confirmer cette solidarité entre les deux films : on va produire une sorte de synthèse de ces deux-là, un Barbenheimer où les Barbies vont construire leur propre bombe, pour liquider l’oppression patriarcale ! Les inoffensives poupées rose bonbon cachent en fait de redoutables guerrières, armées jusqu’aux dents (c’est la réversibilité si fréquente dans les films EU entre criminel et policier), et le néo-féminisme hystérique montre son vrai visage : l’arme de prédilection du soft power au service du hard power.

Ce qui est étonnant, c’est que le pouvoir médiatique n’essaie même plus de cacher son jeu : il nous estime sans doute assez anesthésiés pour ne pas réagir à une telle énormité. Ou il estime que cacher son jeu serait moins efficace que d’accentuer le bombardement médiatique et de bloquer toutes les issues.

(1) (LGS) : guerrier prix d’une fureur sacrée, par extension : fou furieux.

URL de cet article 38909
   
Roberto Saviano. Gomorra. Dans l’empire de la camorra. Gallimard, 2007.
Bernard GENSANE
Il n’est pas inutile, dans le contexte de la crise du capitalisme qui affecte les peuples aujourd’hui, de revenir sur le livre de Roberto Saviano. Napolitain lui-même, Saviano, dont on sait qu’il fait désormais l’objet d’un contrat de mort, a trouvé dans son ouvrage la bonne distance pour parler de la mafia napolitaine. Il l’observe quasiment de l’intérieur pour décrire ses méfaits (je ne reviendrai pas ici sur la violence inouïe des moeurs mafieuses, des impensables tortures corporelles, (…)
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Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales.

P.Barnevick, ancien président de la multinationale ABB.

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