Mariela Castro a de qui tenir. Fille du révolutionnaire et ancien président Raùl Castro, elle a visiblement hérité de son oncle, Fidel, une verve inépuisable. Directrice du Centre d’éducation sexuelle et de développement humain (Cedesex) et députée, la féministe est engagée de longue date pour les droits LGBT et contre les violences de genre. Elle explique comment, depuis la présidence de Barack Obama, la politique étrangère états-unienne se tourne vers des causes progressistes afin d’étendre son hégémonie. En 2020, la Fondation Nationale pour la Démocratie [la NED, National Endowment for Democratie], directement liée à la CIA, a financé 42 programmes contre la Grande Île dont certains concernent directement les militants antiracistes, féministes et LGBT.
La lutte féministe est, selon vous, l’un des fronts que l’impérialisme tente de diviser. De quelle manière ?
Mariela Castro : Dès ses débuts, la lutte pour la libération des femmes a été attaquée par le patriarcat et le capitalisme, comme c’est le cas de l’ensemble des luttes populaires. On ne peut pas annuler d’un trait de plume l’oppression structurelle et symbolique subie pendant des siècles. Les oppresseurs sont sans cesse à la recherche de mécanismes pour imposer leur pouvoir. La Révolution d’Octobre a démontré que, sans changement de système sociopolitique, il est impossible d’éliminer les causes de la discrimination et de l’exclusion sociale. À travers l’Histoire, la division a toujours été l’arme des oppresseurs et le néolibéralisme s’est donné les moyens de mener une guerre idéologique et médiatique en ce sens. Ils ont essayé de banaliser la lutte pour les droits des femmes en la circonscrivant à des réformes comme le droit de vote. Mais la femme a continué d’être exploitée.
Y-a-t-il, à Cuba, des tentatives de mise en concurrence des identités afin de nuire au projet révolutionnaire ?
Mariela Castro : Les États-Unis, comme d’autres, s’emparent des idées sur le féminisme pour attirer les jeunes gens, les artistes et une partie de la classe ouvrière et discréditer les institutions révolutionnaires. Ils ont divisé le féminisme en plusieurs fractions en expliquant que certaines institutions ne fonctionnaient pas et qu’il était nécessaire de créer d’autres organismes. Ils ont divisé les organisations de lutte contre le racisme, le mouvement LGBT dans le monde et essaient de reproduire ce schéma à Cuba.
LA RÉVOLUTION D’OCTOBRE A DÉMONTRÉ QUE, SANS CHANGEMENT DE SYSTÈME SOCIOPOLITIQUE, IL EST IMPOSSIBLE D’ÉLIMINER LES CAUSES DE LA DISCRIMINATION ET DE L’EXCLUSION SOCIALE.
À travers les réseaux sociaux, les fake news, les militants féministes ou LGBT qui défendent la Révolution sont démonisés. Ils ont été formés ici et ont travaillé avec nous. Certains ont intégré des fondations qui défendent les intérêts des États-Unis, d’autres ont été directement recrutés par la CIA ou des organisations telles que le réseau Open Society Foundations (créé par le milliardaire états-unien George Soros en 1979 – NDLR). L’un des mécanismes réside dans le paiement de bourses d’études afin qu’ils mènent la bataille dans le monde académique. Ils gagnent de l’argent et vivent grâce à cela. Ce sont des mercenaires contre leur propre pays.
Quel rôle le nouveau Code de la famille tient-il dans le processus révolutionnaire ?
Mariela Castro : La Fédération des Femmes Cubaines a donné son appui au Code de la Famille de 1975, qui avait déjà été soumis à approbation populaire. Pendant quarante-sept ans, nous avons continué à nous développer dans le domaine juridique et social. L’Académie a continué à apporter des éléments afin de faire évoluer ce code mais aussi la pratique juridique et législative. Certains changements devaient attendre les évolutions de la Constitution. La réforme constitutionnelle fut l’élément le plus important en ce sens.
Cette réforme est issue du travail des syndicats, des organisations de la société civile, des universités et des organisations de quartier. Ces réunions ouvertes étaient l’occasion de mettre l’accent sur tout ce qui ne fonctionnait pas dans la société cubaine et la manière dont nous souhaitions la changer. Cuba est un petit lieu d’expérience socialiste dans un monde capitaliste.
CETTE RÉFORME EST ISSUE DU TRAVAIL DES SYNDICATS, DES ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE, DES UNIVERSITÉS ET DES ORGANISATIONS DE QUARTIER.
Quelles avancées apporte ce code ?
Mariela Castro : Avec la Constitution, le respect de la personne humaine est devenu un principe fondamental. Elle condamne les discriminations de sexe, de genre, de couleur de peau, d’orientation sexuelle, d’identité de genre. Le Code de la Famille a développé les possibilités offertes par la loi fondamentale : concernant les droits sexuels et reproductifs, la protection contre les violences, la protection des enfants, des personnes âgées et en situation de handicap. Il établit le mariage pour tous sans exclusion. Le code reconnaît les maternités et les paternités sans exclusive du fait de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Il renforce le principe d’autonomie progressive des enfants.
Pourquoi ?
Mariela Castro : Dans les années 1960, la CIA et les Églises catholiques de Miami et de La Havane ont organisé l’opération Peter Pan, une campagne contre-révolutionnaire qui assurait que le gouvernement cubain allait enlever des enfants afin de les envoyer en URSS (et déchoir ainsi les parents de leur autorité – NDLR). Aussi incroyable que cela puisse paraître, la petite et la moyenne bourgeoisie ont cru à cette thèse. 14 000 enfants ont alors été envoyés seuls par avion et ont été répartis dans des familles (dans 35 États des États-Unis). Il y a eu beaucoup de souffrance, certains ont été réduits en esclavage, d’autres ont subi des abus sexuels.
LE NÉOLIBÉRALISME S’EMPARE DES IDÉES FÉMINISTES POUR DISCRÉDITER LES INSTITUTIONS RÉVOLUTIONNAIRES.
Une minorité a été bien accueillie mais la majorité n’a jamais pardonné. Après cela, les Américains ont rompu les relations avec Cuba et les familles ont été séparées à jamais. Les enfants sont devenus un instrument du jeu politique. Si, à cette époque, Cuba avait disposé du droit à l’autonomie progressive des enfants, ces derniers auraient pu refuser d’aller aux États-Unis. Ce principe est inclus dans le Code de la Famille. S’il y a un conflit, l’intérêt supérieur des enfants doit être respecté.
Vous avez substitué le principe de responsabilité parentale au principe patriarcal d’autorité parentale. De quoi s’agit-il ?
Mariela Castro : Nous avons perfectionné et facilité le mécanisme de règlement des conflits. Nous reconnaissons le rôle et les droits des grands-parents lorsqu’ils prennent le relais des parents. D’autres familles voulaient enlever les enfants aux parents homosexuels de peur qu’ils constituent de mauvais exemples. Le Code de la Famille les protège, c’est pourquoi nous l’appelons le Code de l’amour. Celui qui protège tous les liens d’affection, les familles qui se soutiennent dans les liens d’amour plus que dans les liens de sang. Faire un enfant ne donne pas de droits immuables, contrairement à la contribution à son épanouissement et au respect qu’on lui apporte.
LE CODE DE LA FAMILLE ÉTABLIT LE MARIAGE POUR TOUS, PROTÈGE LES DROITS DES PARENTS HOMOSEXUELS ET DES ENFANTS.
Ce principe a été attaqué par l’Église catholique de la même manière que le mariage pour tous. Plusieurs campagnes ont été menées et financées depuis Miami. Il y a même des Églises qui ont « vendu la foi », c’est-à-dire qu’elles ont rémunéré des personnes dans le besoin afin qu’elles se prononcent contre le projet. Plusieurs groupes mercenaires ont également été actifs durant cette période. Ils ont fait de la paternité des personnes LGBT un prétexte pour attaquer la Révolution Cubaine, car nous n’obligeons personne à se marier à l’église. Il y a aussi eu des camarades au sein du Parti Communiste qui s’y sont opposés du fait de leurs préjugés.
Qu’en est-il de la GPA solidaire ?
Mariela Castro : Elle concerne les familles qui bénéficient du programme de reproduction assistée du Ministère de la Santé Publique. Des familles demandent parfois à ce qu’un autre membre puisse les aider à avoir un enfant sans exercice de pouvoir et sans que l’argent n’entre en jeu. Le Code inclut la famille mais aussi les amis proches pour lesquels on peut démontrer légalement qu’il n’y a aucun enjeu de pouvoir.
Comment Cuba se prépare-t-elle au vieillissement de sa population ?
Mariela Castro : Nous avons introduit une disposition permettant de reconnaître le rôle des aidants avec la possibilité que l’État leur verse un salaire. Malgré l’avancée des droits des femmes, la division sociale du travail persiste. Les études sociologiques montrent qu’en présence de personnes âgées, de malades ou de handicapés, ce sont les femmes qui s’arrêtent. Dans l’imaginaire social de la masculinité hégémonique, l’homme est la personne qui doit supporter économiquement la famille. La femme l’accepte au prétexte que l’homme se sentirait dévalorisé par le travail domestique. Or, si des femmes dotées d’un haut niveau professionnel s’arrêtent, la société perd un potentiel significatif.
Les besoins ne sont pas satisfaits en termes de crèches et de maisons de retraite. Les municipalités ont identifié le nombre d’établissements dont elles auraient besoin. Les grands-parents y sont amenés le matin et, en rentrant du travail, la famille vient les chercher. On essaie de maintenir le lien familial. Cela fait partie des dispositions du Code de la Famille, qui prévoit la responsabilité envers les grands-parents. La maltraitance exclut de fait les enfants de l’héritage. C’est une stratégie nationale pour la prévention et l’attention aux autres. Le père n’est plus le seul responsable et, en cela, nous rompons avec l’héritage de la colonisation espagnole.
Publié le Samedi 18 février 2023 dans L’Humanité Magazine par Lina Sankari.
Transmis par Cuba Coopération.