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Quel avenir pour le dollar en tant que monnaie de facturation du pétrole ? Igor Tomberg.





RIA Novosti, 27 juin 2006.


Pour notre pays qui partage ces derniers temps avec l’Arabie saoudite le leadership du commerce du pétrole, le problème de la définition du prix du brut et celui du règlement des livraisons de cet hydrocarbure sont très sensibles. C’est que la Russie n’a pas les moyens d’influer sur le coût de son propre pétrole qu’elle vend sur le marché international.


L’actuel marché pétrolier mondial est ainsi fait que la majeure partie des bénéfices va non pas à celui qui produit le pétrole mais à celui qui le vend au consommateur final. Et il ne s’agit pas des sociétés russes (ou irakiennes, ou iraniennes). Le prix de la marque russe Urals est fixé à Londres et à New York (à l’International Petroleum Exchange et au New York Mercantile Exchange). Les cotes boursières sont très loin du coût réel de la marchandise, elles dépendent de toutes sortes de facteurs spéculatifs et subjectifs si nombreux qu’il est ridicule d’affirmer que les cotes boursières sont un indicateur précis.

Une autre particularité substantielle du marché pétrolier est constituée par la monnaie de facturation. Selon la tradition établie, les cotes sont libellées en dollars américains. La marchandise peut être payée en n’importe quelle monnaie mais le prix est toujours fixé en dollars. Dans cette situation, les vendeurs et les acheteurs préfèrent les règlements en dollars pour éviter les frais de conversion. Ce système de cotation et de règlement des livraisons de brut (et de la plupart des autres matières premières principales) est, dans une mesure considérable, à l’origine de la position du dollar US en tant que monnaie de réserve mondiale.

Les changements survenus ces derniers temps dans le rapport des forces sur le marché pétrolier, l’énorme déficit budgétaire et commercial des Etats-Unis et la croissance du rôle de la monnaie unique européenne ont provoqué une série de tentatives de revoir ce système commercial. Ces tentatives ont sérieusement modifié la politique mondiale. Ainsi, les médias ne se lassent pas d’affirmer que les Etats-Unis ont attaqué l’Irak dès que Saddam Hussein eut demandé que les règlements des livraisons dans le cadre du programme Pétrole contre nourriture se fassent en euros et non plus en dollars américains. En septembre 2000, il avait annoncé que l’Irak n’avait plus l’intention d’accepter de dollars en échange de pétrole et ordonné de convertir en euros les 10 milliards de dollars inscrits sur le compte géré par l’ONU. "Ce choix a décidé du sort de l’Irak, affirme William Clark, expert en sécurité et auteur d’un ouvrage sur l’économie du marché pétrolier. C’était une décision politique qui rapportait en raison d’une baisse constante du cours du dollar. Elle est devenue le dernier argument lors de la prise de la décision d’envahir l’Irak. Lorsque les marines américains sont entrés à Bagdad, le brut irakien a recommencé à être réglé en dollars".

Il n’est pas certain qu’il n’y aura plus de guerre pour la stabilité du dollar. En 2006 l’Iran a annoncé son intention d’ouvrir une bourse du pétrole où le produit serait coté en euros. L’annonce de la nouvelle a mis sur les dents les milieux pétroliers, américains en premier lieu. Aujourd’hui la bourse iranienne a toutes les chances de devenir un digne concurrent des deux marchés existants : plus d’un tiers des exportations de brut iranien est destiné à l’Europe. La situation géographique du pays à proximité immédiate de grands importateurs de pétrole comme la Chine, l’Inde et l’Europe détermine l’importance stratégique de l’Iran en tant que fournisseur mondial. Les réserves pétrolières extractibles de l’Iran sont estimées à 130 milliards de tonnes, soit 10% des réserves mondiales.

L’idée de vendre du brut en euros est accueillie positivement par les producteurs latino-américains. Le président vénézuélien Hugo Chavez et les compagnies pétrolières russes et chinoises, celle des pays du golfe Persique la soutiennent volontiers. Téhéran aussi déclare depuis trois ans déjà son désir d’être réglé en euros pour le pétrole qu’il vend à l’Europe.

On comprend que le lancement de la facturation du pétrole en euros met en péril l’existence du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale mais l’effet du passage de l’Iran au règlement en euros semble être exagéré. La monnaie de cotation du pétrole n’a pas d’importance parce qu’elle n’influe pas sur la monnaie des règlements.

Dans le cas de l’Iran il s’agit d’une bourse. Mais les cotes boursières ne sont qu’un indicateur. En bourse il ne se vend que très peu de pétrole. Qui plus est, en bourse sont principalement négociés des contrats et non pas des livraisons réelles tandis que le cours du dollar peut incontestablement subir l’influence d’un passage massif aux règlements en une autre monnaie, par exemple. Par conséquent, ce passage à une autre monnaie entre fournisseurs et clients décidera de la monnaie qui sera celle de réserve, et non pas le lancement d’une bourse où le pétrole serait coté en euros. Dans le cas de l’Irak, décrit plus haut, il pouvait être question de règlements en euros de quantités de brut considérables, ce qui pouvait avoir un impact négatif sur le rôle monopoliste du dollar, sans compter le fait que cela pouvait créer un précédent indésirable pour les Etats-Unis.

Pourtant, à l’heure actuelle aucune menace perceptible pour le dollar en tant que monnaie unique du contrat pétrolier n’est en vue : 60% à 70% des opérations d’exportation dans le monde sont effectuées en dollars, près de 60% des réserves de changes de l’ensemble des pays du monde sont constituées en dollars, 80% des opérations sur le marché monétaire mondial sont réalisées en dollars, et 70% des crédits bancaires sont accordés en dollars. Les principaux financiers russes sont eux aussi, aujourd’hui, sceptiques sur l’idée d’un remplacement du dollar dans le commerce du pétrole.

L’ancien chef de la Banque centrale de Russie, aujourd’hui président du conseil d’administration de Ioukos, Viktor Guerachtchenko, affirme : "Si l’on vend du pétrole, on doit miser sur le dollar. Je pense qu’avant dix ans personne ne se risquera à coter le pétrole en euros, en roubles, en yuans ou dans une autre monnaie sur le marché mondial. Le prix sera toujours en dollars. Compte tenu du niveau économique des Etats-Unis, de son ampleur. Il n’y a que la Chine qui peut les presser".

Le directeur du Service fédéral des marchés financiers, Oleg Viouguine, évoque l’intervention de certains facteurs objectifs. "En ce qui concerne le pétrole, on sait qu’il est coté en dollars et qu’il n’y a pas de cotation en euros. C’est pourquoi tout contrat de livraison de pétrole, même s’il est conclu en euros, en appellera aux cotations en dollars des marchés pétroliers. Si un système se met en marche où le pétrole est coté en euros et qu’il s’agit d’un marché liquide assez important, des contrats en euros verront le jour à coup sûr", estime-t-il.

Les experts russes "font mousser" depuis plus d’un an l’idée de la nécessité de créer les conditions d’une participation de la Russie à la formation des prix du pétrole sur le marché mondial. Cette nécessité devient de plus en plus pressante à la lumière des changements globaux en cours sur le marché monétaire et financier mondial. La fin de la réforme des institutions financières mondiales - FMI et BIRD - que de nombreux analystes ont tendance à appeler la réforme de Bretton Woods n’est pas bien loin. Et le problème de la réforme du système de formation des prix sur le marché pétrolier mondial sera porté à l’ordre du jour comme un point important d’une telle restructuration.

Ces derniers temps, l’idée d’une participation à la formation des prix du pétrole bénéficie d’un soutien pratique des autorités russes, dans le cadre, il est vrai, d’un objectif plus ample, celui de la convertibilité du rouble afin d’en faire une monnaie pour les règlements internationaux. Dans le cadre de ce programme, le président Vladimir Poutine a proposé, dans son message annuel à l’Assemblée fédérale du 25 avril 2006, d’augmenter sur le territoire national la vente en bourse des principaux produits d’exportation russes (pétrole, gaz et autres) réglés en roubles. Cette idée doit inciter les principaux consommateurs de matières énergétiques russes à constituer des épargnes en roubles dont ils auront besoin pour acheter des produits sur les places russes. Ainsi, la monnaie russe commencera à être demandée et cotée en bourse à l’étranger comme c’est aujourd’hui le cas du dollar et de l’euro, deux monnaies avec lesquelles la Russie paie ses importations de marchandises et de services.

La proposition du président, si elle est réalisée, augmentera le poids du rouble sur le marché mondial. Mais un tel marché ne saurait être créé par décret. Par tradition, le commerce du pétrole est concentré à Londres et à New York. Les tentatives de l’Irak et de l’Iran (peut-être aussi du Venezuela à l’avenir) de coter le brut en euros n’ont pas modifié la balance entre l’offre et la demande. Ces pays ne sont pas devenus des centres de commerce et de formation des prix. Le pétrole continue d’être coté sur le marché mondial en dollars et c’est la cote des marques du Texas de l’Ouest (WTI) et de la marque Brent qui sont les indicateurs de son prix.

Dans le même temps, l’adhésion de la Russie au "club des réformateurs" du marché pétrolier mondial confirme une nouvelle fois la tendance stable à la révision du système actuel de cotation et de règlement sur ce marché. Finalement, cette tendance pourrait faire apparaître une ou plusieurs nouvelles monnaies de facturation qui secoueront le monopole actuel du dollar qui ne semble plus inébranlable.

Igor Tomberg, Centre d’études énergétiques, pour RIA Novosti.


 Source : RIA Novosti http://fr.rian.ru



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