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Renforcer le CDI, pas le « réformer », par L. Garrouste, M. Husson, C. Jacquin et H. Wilno.


Juin 2006 - ( Projet (non accepté) de tribune pour Libération ).


Les ingénieurs « éclairés » du social hantent à nouveau les colonnes des journaux et les antichambres des ministères. Certains prétendent déjà tirer le bilan du mouvement anti-CPE en « osant un New Deal à la française », à l’instar de Dominique Méda et Thierry Pech dans Libération du 20 avril dernier. Ils y reprennent l’antienne du « contrat unique » destiné à assurer le « caractère équitable d’une politique de flexibilité » et dont « l’ensemble des modalités pratiques resteraient à définir avec les partenaires sociaux ». Ils sont prêts, dans ces conditions, à accepter un « surcroît de flexibilité ».

Au fil d’incessantes modifications, le droit du travail a introduit toujours plus de flexibilité dans les relations de travail. Cette déréglementation permanente a eu pour effet de rendre son application de moins en moins contrôlable, et il est donc de moins en moins appliqué. Les entreprises peuvent, sans trop de difficultés, gérer en toute illégalité un volant permanent d’intérimaires et de CDD, ou procéder à des licenciements pour motif personnel de plus en plus nombreux (3/4 du total en 2003). Une bonne partie d’entre eux sont manifestement illicites et permettent de licencier un salarié pour une faute imaginaire ; et, même s’il gagne aux prud’hommes, il n’obtiendra qu’exceptionnellement sa réintégration dans l’entreprise. Le sous-emploi massif s’étend aussi aux 1,2 million de salariés, pour l’essentiel des femmes, qui sont contraints au temps partiel.

A cette insécurité juridique qui les frappe de plein fouet - alors que les employeurs en sont beaucoup mieux protégés - les salariés souffrent d’un trop-plein de flexibilité, comme le montre la détérioration des conditions de travail et l’explosion des maladies professionnelles révélées par les statistiques récentes.

C’est bien à cette situation d’ensemble qu’il s’agit de répondre. Or, plus de sécurité, c’est forcément moins de flexibilité. Cela passe par un contrat de travail à durée indéterminée pour tous, renforcé et non allégé comme on nous le propose. Il faut d’abord que ce contrat soit unique, ce qui implique la suppression des CDD et des contrats de chantier. Les pics d’activité pourraient être gérés par un recours à l’intérim, les intérimaires ayant le statut de salariés en CDI de l’entreprise d’intérim, selon un dispositif qui existe déjà partiellement dans d’autres pays européens.

La mise en place de ce contrat unique ne doit pas s’accompagner d’une limitation des garanties actuellement liées au CDI, qui serait assortie d’un « filet de sécurité » prévoyant un droit plus ou moins hypothétique à la formation et au reclassement, ou une légère augmentation des indemnités légales de licenciement à la charge des finances publiques. Ce que veulent les partisans d’un tel contrat unique, c’est en réalité pouvoir licencier sans motif, même s’ils baptisent « sécurité sociale professionnelle » ce projet dévoyé. Echanger la liberté de licencier contre un filet de sécurité à grosses mailles : tel est le marché de dupes que l’on nous prépare. Et c’est exactement ce qui a été rejeté par l’immense majorité de la population avec le CPE.

Face aux licenciements, nous proposons un dispositif qui repose sur trois principes. Premier principe : en cas de difficulté économique réelle - qui doit pouvoir être vérifiée tant par les salariés que par l’administration ou le juge - le contrat de travail doit être maintenu avec les droits et revenus qui y sont associés tant qu’une solution d’intégration dans un autre emploi satisfaisante pour le salarié n’a pas été dégagée. Cela implique, deuxième principe, une obligation de reclassement de résultat qui serait mise en oeuvre en « escalier » : d’abord au niveau de l’entreprise puis, à défaut, du groupe ou de la branche professionnelle concernée, voire, en cas de difficultés généralisées à une branche, au niveau du patronat en tant qu’entité collective. Ce dispositif reposerait, troisième principe, sur des fonds de mutualisation de branche et interprofessionnels, financés par une cotisation patronale exclusive. Les employeurs sont après tout les seuls responsables de la gestion des entreprises et des dégâts engendrés par la concurrence et c’est à eux d’en assumer les conséquences sociales. C’est déjà le cas en matière d’accidents du travail, et cela devrait l’être aussi pour ces « accidents sociaux » que constituent les suppressions d’emplois.

Vous augmentez le coût du travail, nous dira-t-on. Certes ! Mais ce surcoût pourrait être compensé par une moindre distribution de revenus financiers, qui constituent une composante du prix de vente au même titre que les salaires. Comment peut-on sérieusement discuter d’une « nouvelle donne » sans remettre en cause l’extraordinaire « rigidité » dont font preuve les dividendes ?

Un « New Deal » progressiste suppose des remises en cause de grande ampleur et c’est pourquoi un tel chantier ne saurait aboutir par la seule concertation avec les « partenaires sociaux ». Les congés payés, la Sécurité sociale, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise sont nés parce que les salariés s’étaient mis en mouvement. Un tel objectif suppose aussi - et on retrouve ici le vote du 29 mai 2005 - de ne pas s’accommoder du mode libéral de la construction européenne.

En moins d’un an, les salariés - le « peuple » - se sont emparés du débat constitutionnel européen, puis se sont mobilisés contre le CPE, infligeant par deux fois une cinglante défaite aux élites libérales. Dans les deux cas, ils ont clairement signifié qu’ils refusaient de prendre des vessies pour des lanternes et jeté les bases d’une véritable perspective de transformation sociale.

Laurent Garrouste (juriste du travail, membre de la Fondation Copernic), Michel Husson (économiste, membre de la Fondation Copernic), Claude Jacquin (expert auprès des comités d’entreprise), Henri Wilno (économiste), auteurs de Supprimer les licenciements, éditions Syllepse, 2006.


 Source : http://hussonet.free.fr



A LIRE : Retrait du CPE/CNE = défense du CDI et reconquête d’un droit protecteur des salariés, par CGT - Inspecteurs du Travail.


Pourquoi les 35 h ont elles eu une application inégalitaire ? Et comment y remédier ? par Gérard Filoche.




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