On a du mal à le croire. Le 11 septembre 1937, deux attentats ont secoué la ville de Paris. Deux explosions ont déchiré l’atmosphère. L’une d’elles a provoqué l’effondrement d’un immeuble.
Une revue datant de 1937, envoyée à ALM (Aujourd’hui Le Maroc) par l’archéologue Robert Letan, a des allures fantastiques. Il s’agit du numéro du 17 septembre 1937 de « Miroir du monde ». Sur la couverture de cette revue, on lit le titre suivant : « Attentats terroristes dans la nuit du 11 septembre ».
L’image qui orne cette couverture est impressionnante. Elle montre des pompiers alignés devant une façade béante. La grande échelle des pompiers est dressée. Elle crache de l’eau sur un bâtiment embrasé. Cela a des allures de déjà vu. Un déjà vu, qui s’est produit bien après. Car en plus de la coïncidence des dates, tout ou presque, évoque dans cette revue les attentats de notre 11 septembre : Les débris, les pompiers, les quelques objets éparpillés dans la rue et surtout l’émotion.
L’un de ces deux attentats est une répétition, au sens théâtral, événemeniel de l’Histoire, une répétition aux moyens limités, bien entendu. Karl Marx a écrit : « Hegel a dit que tout se répète au moins deux fois, mais il a oublié d’ajouter que les choses revêtent la deuxième fois l’aspect d’une farce ».
La farce est une composante tragique de nos 11 septembre. Une tragédie au sens fort du mot qui appelle pitié et compassion. C’est ce sentiment qui a dominé lorsque les images des attentats de notre 11 septembre ont défilé durant des jours, provoquant hébétement et incrédulité. L’émotion consécutive au choc a été telle que tous les commentaires ont emboîté le pas à la compassion et à l’identification avec les victimes. Dans un éditorial du journal « Le Monde », on pouvait même lire : « nous sommes tous Américains ! »
L’événement probablement le plus filmé dans l’histoire des médias a paralysé le sens de l’analyse.Notre sympathie pour les victimes nous aveuglait sur le sens de ces attentats. On absorbait tout ce que les Américains nous donnaient. Or, c’est ce même matraquage d’images et d’émotions que l’on s’est remis à revoir depuis le 11 septembre 2002. Le spectateur est encore une fois devenu un réceptacle destiné à absorber tout ce qu’on veut bien lui servir.
Au lieu de la rediffusion des images du 11 septembre, c’est du sens que nous attendons : L’analyse de ce qui s’est produit. Au total, les attentats du 11 septembre auront fait près de 2800 morts. L’on sait que les morts de l’Occident ont plus d’intérêt que ceux des autres pays. Des milliers de victimes tombent en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud sans que les Occidentaux, maîtres de l’exploitation des images, ne s’en émeuvent. L’émotion qu’ils n’ont pas caché pour les victimes du World Trade Center et du Pentagone est discriminatoire envers les autres morts du monde. Sa réactualisation, cette année n’a pas manqué de provoquer un sentiment de rejet chez les populations du Sud. Le sens profond de ce qui est arrivé réside peut-être dans les disparités énormes entre un Nord riche et lettré et un Sud pauvre, majoritairement analphabète. Ce Sud est en droit de réclamer la même intensité dans l’émotion à l’endroit de ses morts. Sa population est aussi en droit de résister à la déferlante émotive qu’on ne veut pas lui épargner.
En ce sens, La lecture de la revue de 1937 est très instructive. Le ton d’indignation de ses rédacteurs semble aujourd’hui désuet : « Les auteurs de cet abominable crime, flétri avec indignation par tous les partis politiques sans exception, ont cherché à semer un vent de haine, à un moment où les efforts du gouvernement tendent à la paix sociale ». L’attentat avait visé le siège la Confédération générale du Patronat français. Cet acte portait en soi un sens… Celui de notre 11 septembre doit en avoir un aussi. Le ton de l’émotion prend vite les rides du visage grimé d’un clown. La phrase de Marx se vérifie encore. Seule la quête du sens résiste aux prophètes des farces.