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Un silence de mort : Les journalistes qui se sont moqués d’Assange n’ont rien à dire sur les plans de la CIA pour le tuer (FAIR)

Yahoo ! News (26/9/21) a publié un article qui fait l’effet d’une bombe et qui détaille les "plans de guerre secrets de la Central Intelligence Agency américaine contre WikiLeaks", y compris les complots clandestins visant à tuer ou à kidnapper l’éditeur Julian Assange alors qu’il était réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres.

À la suite de la publication par WikiLeaks des fichiers Vault 7 en 2017 - la plus grande fuite de l’histoire de la CIA, qui a révélé comment les agences de renseignement américaines et britanniques pouvaient pirater des appareils ménagers - le gouvernement américain a désigné WikiLeaks comme un "service de renseignement hostile non étatique" (The Hill, 13/04/17), ce qui lui a fourni une couverture juridique pour cibler l’organisation comme s’il s’agissait d’une agence d’espionnage ennemie.

Dans ce contexte, l’administration de Donald Trump aurait demandé des " ébauches " ou des " options " sur la façon de tuer Assange, selon la révélation de Yahoo ! (écrite par Zach Dorfman, Sean D. Naylor et Michael Isikoff), tandis que la CIA élaborait des plans pour le kidnapper. (Assange a été expulsé de l’ambassade en 2019 et se trouve depuis lors dans une prison britannique, luttant contre une demande d’extradition vers les États-Unis pour faire face à des accusations d’espionnage. (FAIR.org, 13/11/20)

Peu après la publication, l’ancien directeur de la CIA Mike Pompeo (Yahoo ! News, 29/9/21) a semblé confirmer les conclusions du rapport, déclarant que les anciens responsables du renseignement américain qui ont parlé à Yahoo ! "devraient tous être poursuivis pour avoir parlé d’une activité classifiée au sein de la CIA."

Une indifférence macabre

On pourrait penser que des plans secrets pour le meurtre sanctionné par l’État sur le sol britannique d’un journaliste primé devraient faire l’objet d’une couverture médiatique intense.

La nouvelle, cependant, a été accueillie par les médias occidentaux de l’élite avec une indifférence macabre - une condamnation accablante d’une industrie qui condamne fébrilement les attaques contre la liberté de la presse dans les États ennemis officiels.

BBC News, l’un des organes de presse les plus lus au monde, semble n’avoir couvert l’histoire qu’une seule fois, dans la section en langue somalienne de son site web (Media Lens sur Twitter, 30/09/21).

Ni le New York Times ni le Washington Post, deux des plus grands organes de presse du monde, n’ont publié d’article sur Assange depuis juillet 2021.

À son crédit, depuis que l’histoire a éclaté le 26 septembre, le Guardian a fait deux reportages sur la conspiration menée par la CIA pour tuer ou kidnapper Assange. Mais pour donner une perspective, au cours de la semaine qui a suivi l’annonce de l’empoisonnement d’Alexei Navalny, figure de l’opposition russe, par le gouvernement russe, le Guardian a publié 16 articles distincts sur la question, y compris des reportages vidéo et des articles d’opinion.

De même, une recherche Nexis dans les journaux britanniques pour le mot "Navalny" donne 288 résultats pour la période du 20 au 25 août 2020. La même recherche pour "Assange" entre le 26 septembre et le 1er octobre 2021 ne donne que 29 résultats, dont une exception notable, un article de Patrick Cockburn dans The Independent (1/10/21).

Une assistance cruciale

Comme c’est souvent le cas lorsque les services de renseignement occidentaux sont dans l’embarras, les médias indépendants ont apporté un assistance cruciale dans un contexte d’indifférence effrayante. Aaron Maté, de Grayzone (YouTube, 30/09/21), a ainsi réalisé un entretien rigoureux avec l’un des auteurs du rapport, Michael Isikoff.

En effet, le Grayzone (14/5/20) a été le premier média à fournir des preuves d’une proposition liée à la CIA visant à "kidnapper ou empoisonner Assange" en mai 2020. L’histoire, cependant, a été presque universellement ignorée, ce qui suggère que, comme l’a écrit Joe Lauria dans Consortium News (2/10/21), "jusqu’à ce que quelque chose apparaisse dans les médias mainstream, cela ne s’est pas produit."

Une chose dont on ne peut pas accuser les grands médias à propos d’Assange, cependant, c’est l’incohérence. Après qu’un témoin clé dans l’affaire du ministère de la Justice contre l’éditeur ait admis avoir fourni un faux témoignage à l’accusation américaine, un détail qui devrait normalement démolir une affaire, les médias institutionnels ont réagi en ignorant presque entièrement l’histoire. Comme Alan MacLeod l’a écrit pour FAIR.org (2/7/21) :

L’uniformité totale avec laquelle les médias commerciaux ont traité cette dernière nouvelle qui fait l’effet d’une bombe soulève encore plus de préoccupations sur la façon dont ils sont fondamentalement imbriqués et alignés avec les intérêts du gouvernement américain.

Même après qu’il a été révélé que la société de sécurité UC Global qui a ciblé Assange avait également espionné des journalistes du Washington Post et du New York Times, aucun des deux médias n’a protesté (Grayzone, 18/09/20).

Le plus remarquable est peut-être que la juge britannique Vanessa Baraitser s’est appuyée sur un rapport falsifié de CNN (15/07/19) pour justifier l’opération d’espionnage de la CIA contre Assange (Grayzone, 01/05/21). Aujourd’hui, le site Web de CNN ne contient aucune information sur les plans de l’agence pour tuer ou kidnapper Assange.

Le silence ambiant s’est étendu à l’industrie des ONG. Amnesty International, qui a refusé en 2019 de considérer Assange comme un prisonnier de conscience, n’a rien dit des dernières révélations. De même, Index on Censorship, qui se décrit comme "la voix gloable de la liberté d’expression", n’a pas réagi.

Le rejet d’Assange par les médias institutionnels confirme le cadre décrit par Edward Herman et Noam Chomsky, qui distingue les dissidents politiques "dignes" et "indignes", Assange faisant absolument partie des derniers.

La seule barrière est l’orgueil

Les circonstances actuelles deviennent encore plus déplorables si l’on considère les journalistes commerciaux qui, avec arrogance, ont minimisé les inquiétudes d’Assange pour sa propre sécurité, voire s’en sont réjouis.

James Ball, du Guardian (10/1/18), a publié un article désormais tristement célèbre, intitulé "La seule chose qui empêche Julian Assange de quitter l’ambassade d’Équateur est l’orgueil". "Le fondateur de WikiLeaks ne risque pas d’être poursuivi aux États-Unis", affirmait avec assurance le sous-titre. La chronique concluait :

Assange ne veut pas être piégé dans l’ambassade d’Équateur, et ses hôtes ne veulent pas qu’il y soit. Leur problème est que ce qui le retient prisonnier n’est pas tant les actions iniques des puissances mondiales que l’orgueil.

Dans un article ultérieur (29/03/18), Ball insiste sur le fait qu’Assange "devrait sortir de l’ambassade les mains en l’air".

Ball, au moins, a écrit quelque chose sur les dernières révélations, mais son article dans le London Times (03/10/21) reste typiquement méprisant envers Assange.

Marina Hyde, du Guardian (19/5/17), avait adopté un point de vue similaire. Sous le titre "La morale de l’histoire d’Assange ? Il suffit d’attendre suffisamment longtemps pour que les problèmes disparaissent", Hyde écrivait que "Capitaine WikiLeaks finira par sortir de sa fausse prison". Plus de quatre ans plus tard, Assange se trouve dans la prison de Belmarsh, "la chose la plus proche de Guantánamo au Royaume-Uni", selon la commission des affaires étrangères de la Chambre des Communes. Hyde n’a rien dit des plans très réels visant à l’assassiner ou à le kidnapper.

Dans la même veine, la journaliste Suzanne Moore - qui s’était déjà publiquement moquée d’Assange à plusieurs reprises - a écrit dans le New Statesman (12/04/19) après l’arrestation d’Assange :

Nous nous ennuyons tous à mourir avec le Brexit et voilà qu’un gnome à l’air dément est sorti de l’ambassade d’Équateur par la police secrète de l’État profond. Ou la "Met" [diminutif de « Metropolitan Police » - NdT], comme les appellent les gens normaux.

Moore, lauréate du prix Orwell pour le journalisme en 2019, n’était pas la première de ses collègues à ridiculiser WikiLeaks et ses partisans comme étant paranoïaques face à un appareil de sécurité étatique de plus en plus puissant. Une chronique de Nick Cohen, du Guardian (23/06/12), proposait, comme "définition de la paranoïa", les "partisans de Julian Assange" :

Les partisans d’Assange ne nous disent pas comment les Américains pourraient poursuivre le divulgateur incontinent. La démocratie américaine est coupable de nombreux crimes et corruptions. Mais le premier amendement de la constitution américaine est la meilleure défense de la liberté d’expression jamais écrite. L’American Civil Liberties Union pense qu’il serait inconstitutionnel qu’un juge punisse Assange.

Et, de toute façon, "la Grande-Bretagne a un traité d’extradition notoirement laxiste avec les États-Unis."

Aveuglés par la propagande

Il est donc peu surprenant que The Guardian, parmi d’autres organes de presse, ait refusé de publier les propos du rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Nils Melzer, qui a écrit en juin 2019 :

En fin de compte, il m’est apparu que j’avais été aveuglé par la propagande, et qu’Assange avait été systématiquement calomnié pour détourner l’attention des crimes qu’il a exposés. Une fois qu’il avait été déshumanisé par l’isolement, le ridicule et la honte, tout comme les sorcières qu’on brûlait sur le bûcher, il était facile de le priver de ses droits les plus fondamentaux sans provoquer l’indignation de l’opinion publique mondiale.

L’affaire Assange démontre une fois de plus que lorsque les reportages erronés sont en faveur de la politique étrangère des États-Unis et du Royaume-Uni, les normes rédactionnelles sont mises de côté et les défaillances journalistiques ne donnent lieu à aucune responsabilité.

Il est donc important de se souvenir des journalistes qui ont regardé, montrant du doigt, riant, confiants dans le fait que leur travail n’aurait jamais l’impact, ni le risque, de WikiLeaks - et qui n’ont rien dit alors que le droit à une presse libre était aboli en plein jour.

John McEvoy

Traduction "J’adore le métier mais je déteste la profession’ par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

»» https://fair.org/home/deathly-silen...
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Dès 2008, deux ans après le lancement de la plateforme WikiLeaks, Stefania Maurizi commence à s’intéresser au travail de l’équipe qui entoure Julian Assange. Elle a passé plus d’une décennie à enquêter les crimes d’État, sur la répression journalistique, sur les bavures militaires, et sur la destruction méthodique d’une organisation qui se bat pour la transparence et la liberté de l’information. Une liberté mise à mal après la diffusion de centaines de milliers de documents classifiés. Les (…)
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