Initiative Communiste – Comment le PRCF apprécie-t-il l’évolution de la situation internationale à la suite de l’avènement de Joseph Biden ?
Georges Gastaud – L’avènement de Biden, dont Roussel, plus soucieux de coups médiatiques que d’analyses marxistes (quel gros mot !), a cru bon d’encenser la politique économique, ne signifie nullement un tournant vers la détente internationale, bien au contraire. En gros, Trump représentait et représente encore des secteurs du grand capital étasunien qui veulent recentrer la domination impériale de Washington sur l’hémisphère américain et sur le “made in America” industriel et agricole, bel et bien ravagé par des décennies de mondialisation néolibérale. À la clé, ce furent les pressions maximales (nullement allégées par Biden) de Trump dirigées contre Cuba et le Venezuela, le coup d’État sous influence en Bolivie, le bras de fer permanent avec la Chine dans le Pacifique, le soutien débridé aux faucons israéliens en Palestine, mais aussi le très relatif désengagement étasunien en Europe et la brouille permanente affichée par Trump à l’encontre de l’impérialisme germano-européen – ce dernier étant accusé par Trump, non sans raisons d’ailleurs, d’avoir tenté d’envahir le marché nord-américain en violant les accords monétaires inter-impérialistes fixant les rôles respectifs mondial et régional du dollar et de l’euro.
Biden et son parti « démocrate » représentent plutôt des secteurs de l’impérialisme yanqui qui veulent réaffirmer leur domination planétaire menacée par la montée des B.R.I.C.S. (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), par le non-alignement outrecuidant de la Russie (sortie jusqu’ici militairement victorieuse des affrontements géopolitiques indirects en Ukraine et en Syrie...) et par la montée économique et politique irrépressible de la Chine populaire.
Ce tournant euro- mondialiste de l’impérialisme étasunien amorcé par Biden signifie la relance maximale de l’O.T.A.N., une course aux armements insensée, analogue, voire supérieure en ses proportions, à celle des années trente et quatre-vingts du XXème siècle. Ce tournant euro-atlantique et germano-américain implique aussi la vassalisation accrue de l’U.E., qui se définit elle-même comme le « partenaire stratégique de l’O.T.A.N. », l’accentuation du réarmement allemand, l’inféodation programmée de la future “armée européenne” à l’Alliance atlantique.
Concrètement cela se traduit par des provocations incessantes de la Marine étasunienne, flanquée de ses vassales anglaise et française, en mer de Chine ou en mer Noire (on en est aux tirs de semonce), et une marche accentuée vers la guerre impérialiste (“froide” pour le moment) avec la Russie et la Chine, même si le poids militaire et nucléaire non négligeable de Pékin et de Moscou impose à Biden et Cie une certaine prudence dans les rythmes de l’affrontement, avec des phases subalternes de détente, de régulation et de négociations. Inutile de dire que cette politique d’affrontement géopolitique visant à obtenir, comme ce fut le cas au début des années 1980 la capitulation politique (Gorbatchev...) des régimes politiques russe et chinois au prix d’une menace militaire globalisée, comporte une dimension proprement exterministe : il est clair en effet qu’un affrontement militaire global aboutirait à notre époque à la pan- destruction de l’humanité, voire à l’extinction de toute forme de vie tant soit peu complexe sur Terre. Au passage, on mesure l’extrême hypocrisie des Euro-Écologistes « verts » (E.E.L.V.) et la frivolité politique de tous ceux qui ont pitoyablement cautionné E.E.L.V. lors des élections régionales récentes en se plaçant à la remorque des Karima Deli, Julien Bayou et Cie : ces écolos de guerre froide feignent en effet de combattre le réchauffement climatique, mais ils ignorent sciemment le risque très élevé d’”hiver nucléaire”, probablement suivi d’un emballement du réchauffement climatique, que comporterait une guerre nucléaire mondialisée. De même, ces Verts virant au kaki combattent à boulets rouges le nucléaire civil et E.D.F., mais ils alimentent en permanence la russophobie, la sinophobie, l’antisoviétisme à retardement et tout ce qui peut nourrir la course aux armes de destruction massive, armes nucléaires incluses. Pour nous au contraire, le combat environnemental est inséparable de la défense de la paix mondiale dans une perspective clairement anticapitaliste et anti-impérialiste.
Un mot encore sur le devenir de l’impérialisme français. Déstabilisé et affaibli centralement par les politiques euro-oligarchiques qui ont ravagé le « produire en France » depuis quarante ans, l’impérialisme français est à la ramasse dans toute son ancienne zone de domination africaine et proche-orientale. Massivement rejeté, voire vomi par les peuples de l’Afrique francophone (la langue française et la Francophonie étant par ailleurs abandonnées à elles-mêmes), impuissant à préserver du naufrage absolu son ancienne néo-colonie du Liban, piteusement défait et déconsidéré en Syrie où l’armée nationale syrienne a défait les protégés de Washington, d’Ankara, de Paris et de Riyad, harcelé sur toutes ses marches terrestres et maritimes par l’expansionnisme turc d’un Receipt Erdogan parrainé par l’OTAN, l’impérialisme français déclinant mais pas moins agressif tente de plus en plus, sous l’égide de Macron, d’européaniser et d’« otaniser » la Françafrique en difficulté (un peu comme il l’avait fait dans les années cinquante après la défaite de Dien Bien Phu, en passant le relais de la néo-colonisation aux Américains). On vient de voir le total changement de pied de Macron qui a brusquement mis fin à l’opération Barkane pour lui substituer une forme moins coûteuse et plus euro-atlantique de quadrillage de l’Ouest africain.
Sans rancune aucune à l’égard des suzerains américain et allemand qui ont pourtant laissé Paris totalement seule face à Ankara lors des accrochages maritimes franco-turcs récents en Méditerranée orientale et au large de la Libye, Macron a décidé, sans le moindre débat parlementaire, de redimensionner totalement la politique militaire française dans la perspective avouée d’un « conflit de haute intensité » : en clair, il s’agit de redéployer l’effort militaire français vers une guerre possible entre le bloc euro-atlantique et la Russie. C’est sur cette base qu’il faut interpréter le remplacement subit du général Lecointre par le général légionnaire Burckardt à la tête de l’état-major français. Non seulement ce dernier a mis à profit un “durcissement de l’entraînement”, mais cap est mis vers une subordination de plus en plus poussée de l’armée française aux campagnes de l’OTAN, pour une inféodation de plus en plus marquée de la « Françafrique » en repli partiel sur la « Franceurope » (armée européenne arrimée à l’OTAN) et sur la « Françallemagne » ; en effet, Berlin ne se gêne plus pour exiger publiquement que la France cède à l’U.E., faux nez de la nouvelle Allemagne impériale “réunifiée”, son siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. C’est aussi la rupture avouée de Paris avec la doctrine gaulliste de la dissuasion nucléaire puisque désormais, la force de frappe française est censée couvrir l’ensemble du sous-continent européen et plus seulement, comme c’était initialement le cas, les atteintes au territoire national.
Conclusion pratique : il nous faut de plus en plus défendre la paix mondiale, accentuer la dimension anti-impérialiste de notre combat, souligner la dimension anti-exterministe de la formule castriste « la (les) patrie(es) ou la mort, le socialisme ou mourir ». Cela implique de combattre du même élan ce que j’appellerai la « politique des cédilles impérialistes » : « Françafrique », « Françallemagne », « Franceurope », « Françamérique », voire « Françarabie » car il faudra aussi, tôt ou tard, briser les liens malsains de dépendance que l’oligarchie « française » a tressés avec les pétromonarchies, ces fourriers mondiaux du terrorisme islamiste. À la place, il faudra qu’émerge une « politique des traits d’union » associant à égalité une France nouvelle marchant au socialisme, aux pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie, et bien entendu, d’Europe. Cela suppose de rompre avec l’« économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » (Maastricht) pour établir enfin une coopération égalitaire tous azimuts entre pays souverains sur fond de marche au socialisme dans notre pays, et si possible, ailleurs.
Le sombre tableau que je viens de brosser serait cependant erroné et désespérant si l’on omettait de voir que, comme le disait Mao, « là où il y a oppression, il y aura résistance » : bref, si l’on oubliait ce que Hegel appelait le « patient travail du négatif » et l’existence incontournable de la contradiction dialectique. Si l’impérialisme, quintessence d’un capitalisme mondial de plus en plus réactionnaire, pourrissant et fascisant, était si omnipotent que veut le faire croire son arrogance actuelle, il n’aurait pas besoin d’encourir le risque insensé de l’extermination nucléaire pour prix exorbitant du maintien de son hégémonie planétaire. Comme le disait plaisamment Einstein : « j’ignore avec quelles armes se mènera la troisième guerre mondiale, mais je sais déjà avec quelles armes se mènera la quatrième : avec des pierres et des bâtons ».
Or regardons les choses objectivement : malgré les énormes moyens (coups d’État et tentatives d’allumer de pseudo-guerres civiles sous influence de Managua à La Paz en passant par Caracas) investis par Washington pour déstabiliser Cuba, le Venezuela, la Bolivie et l’ALBA, ceux-ci sont toujours debout et les forces de gauche, fût-ce de manière contradictoire tant que des partis marxistes-léninistes ne dirigent pas les processus anti-impérialistes, repartent à l’offensive en Amérique latine.
Par ailleurs, chacun voit bien que l’idéologie néolibérale est sortie gravement affaiblie de la pandémie, tant les résultats médicaux des États-Unis, du Royaume-Uni, du Brésil et de l’Inde ont été désastreux, alors que Cuba donnait l’exemple de l’efficacité sanitaire du socialisme et que la Chine sortait la première de la pandémie au point que les cérémonies récentes du 100e anniversaire du PC chinois ont donné l’image d’une force tranquille s’affirmant à l’échelle de l’histoire et appelant toute l’humanité à construire une « destinée commune ».
Ajoutons à cela que malgré les moyens déployés pour écraser les Palestiniens, la jeunesse de Gaza a montré à nouveau que l’on ne réduit pas à l’esclavage des hommes et des femmes déterminés à défendre leur dignité « quoi qu’il en coûte ». De même, les rébellions de masse des jeunes tunisiens et algériens continuent de défier la répression. Quant au peuple russe, que les dirigeants occidentaux récompensent fort mal d’avoir joué le rôle principal dans la défaite de Hitler, il exprime massivement dans chaque sondage l’idée que le socialisme réellement existant était, expérience faite des deux systèmes sociaux historiquement concurrents, et malgré les lacunes et insuffisances de la première expérience socialiste historique de l’histoire, qualitativement et humainement supérieur au capitalisme.
La conclusion de tout cela est que l’on ne saurait éternellement contenir par la violence armée et par le bourrage de crâne médiatique cette évidence : l’irrépressible socialisation croissante des forces productives à l’époque de la mondialisation des échanges supporte de moins en moins l’appropriation privée criminelle des moyens de production et des richesses mondiales par une minorité toujours plus étroite d’États prédateurs et de richissimes oligarques irresponsables. En un mot, demeure prophétique la phrase par laquelle Georges Dimitrov concluait ses interventions au VIIème congrès de l’Internationale communiste : « les contre-révolutions sont des parenthèses de l’histoire, l’avenir reste aux révolutionnaires ».
Initiative Communiste – Quelle te semble être la configuration politique à l’issue des élections régionales et départementales ?
Georges Gastaud – Avant de parler des régionales, qui ne sont qu’un symptôme et qu’un épiphénomène, il faut constater que notre pays est actuellement tenaillé par deux processus ultraréactionnaires complémentaires. D’une part, par l’euro- dislocation de la France et de la République ex-« une et indivisible » : elle se traduit :
économiquement, par la suite sans fin des euro-privatisations (SNCF, EDF, ADP...) et des euro-délocalisations (fin de la grande industrie métallurgique en France avec les fusions monopolistiques transcontinentales annoncées de Renault, PSA, etc.),
financièrement, par l’asservissement total de la France au moyen du « grand emprunt européen », avec pour première “contrepartie” de ce grand emprunt accepté par Merkel la reprise de la contre-réforme des retraites et la diminution drastique des indemnités chômage,
administrativement, par le « pacte girondin » cher à Macron et par la mise à mort doucereuse des communes de France, des départements issus de la Révolution jacobine et de l’idée même de territoire national : « métropolisation » des communes rurales et ouvrières, grandes régions à l’allemande, Communauté européenne d’Alsace, euro-département de Moselle, marche de fait de la Corse, voire de la Bretagne des Le Drian et autre Bolloré, vers le séparatisme régionaliste, mise en cause du français comme langue officielle commune de la nation par la Loi Mollac votée par les élus P.C.F., Verts et P.S., etc.,
socialement, par l’éradication en cours des conquis de 1945 (poursuite de la casse des statuts et des conventions collectives, poursuite de la paupérisation et de la précarisation massives des couches populaires et d’une part grandissante des couches moyennes, y compris de nombre de petits et moyens entrepreneurs),
culturellement, par la relégation systématique du français, encore « langue de la République » au titre de la Constitution, au profit du tout-anglais (communication interne et externe des grandes entreprises basculée au tout-globish, anglais devenant la seule langue d’usage des institutions européennes et érigé, par un simple décret de la sous-ministre Dominique Vidal, en langue officielle bis de l’Université) et par la destruction de ce pilier de la République française – fût-elle bourgeoise ! – qu’était l’Éducation nationale, notamment du bac national, premier grade universitaire, sans oublier le dépeçage blanquérien du lycée à la française et la démolition en cours des disciplines scolaires, maths, philo, etc.
Le second processus « en marche » est celui d’une fascisation, désormais galopante : empilement débridé de lois liberticides, stigmatisation obsédante des travailleurs musulmans accusés de « séparatisme » (alors que le pouvoir macroniste ferme les yeux sur, voire accompagne, le séparatisme régionaliste bien réel des élites bourgeoises en Alsace, Bretagne, Corse, Moselle, etc.). Il faut aussi évoquer l’accumulation, à l’instigation de la feuille extrémiste “Valeurs actuelles“, de « tribunes » émanant de hauts gradés factieux rêvant d’écraser la gauche et de quadriller les quartiers populaires, la honteuse manifestation policière organisée sous les fenêtres de l’Assemblée nationale en violation ouverte de la séparation des pouvoirs (avec la caution d’un ministre violant cette dernière – et avec la présence honteuse des “gens de gauche” Jadot, Faure, Hidalgo et Roussel...
Disons clairement qu’à ce stade, le refus du mot fascisation par certains milieux d’extrême gauche devient insupportable d’aveuglement, de pédantisme pseudo-marxiste et d’irresponsabilité militante. Le B.A.-BA de la lutte antifascisation consiste au minimum à nommer un chat un chat ! Bien évidemment, la fascisation, ce processus de dégénérescence de la démocratie bourgeoise en période de crise ouverte du consentement populaire, n’est pas – ou du moins n’est pas encore ! – le fascisme proprement dit ; mais elle en crée chaque jour davantage les conditions politiques, si l’on veut bien se souvenir que, selon la définition précise qu’en avait donné l’Internationale communiste en 1935, le fascisme est la dictature ouverte des milieux oligarchiques les plus réactionnaires brisant par la violence d’État les organisations du mouvement ouvrier et de la démocratie petite-bourgeoise, le tout sur fond de préparation à la guerre impérialiste. Bien évidemment, les modalités de la fascisation diffèrent nécessairement d’un pays à l’autre et d’une époque à la suivante ; mais son essence de classe impérialiste demeure une : la liquidation des libertés démocratiques, l’écrasement du syndicalisme de résistance sociale et le passage en force accéléré, au besoin par la force armée militaro-policière, des mesures antisociales du grand capital cherchant à restaurer ses taux de profit sans cesse rabotés par l’évolution même du capitalisme.
Bien évidemment, les deux processus d’euro-dislocation de la France et de fascisation sont solidaires : comment notre peuple pourrait-il en effet consentir à se laisser détruire par une « construction » euro-atlantique qu’il a lui-même refusée par son Non clair et net à la constitution supranationale de 2005 ? Dès lors, l’accentuation à marche forcée par les « élites » bourgeoises de l’intégration euro-atlantique ne peut que provoquer le dissentiment de masse de la population, notamment celui de la classe ouvrière et des couches populaires qui font, en réalité, tourner le pays. Et cela se traduit inévitablement par la montée en flèche de cette abstention prétendument « inexplicable » et « incivique » – en réalité, sourdement citoyenne et potentiellement insurrectionnelle – que l’on mesure à chaque élection européenne, qui a battu tous les records lors des Régionales et dont le poids influera sur la légitimité même des élections présidentielle et législatives de 2022. Rappelons que déjà 57% des électeurs inscrits avaient boycotté de fait le second tour des législatives 2017, les députés n’étant alors élus que par 46% des électeurs. Notons par ex. que Laurent Pietrazsewski, le « Monsieur Retraites » du Gouvernement Macron, a obtenu moins de 6% des inscrits aux Régionales des Hauts de France : LE PEUPLE NE CONSENT PLUS aux contre-réformes, c’est un fait majeur dont les communistes doivent prendre la mesure et tirer toutes les conséquences sur le terrain sociopolitique et “culturel” !
u fond, pour user d’une image passablement glauque, j’en conviens (mais c’est la réalité qui est sale et il faut la regarder en face !), mais tristement juste, les conjurés du Parti Maastrichtien Unique, ce PMU prétotalitaire faussement pluriel et toujours perdant pour le peuple qui s’étend du RN euro-rallié au PS et à EELV en passant par les L.R. et par LREM., ne cessent de violer en réunion “Marianne” (c’est-à-dire la France populaire et républicaine). La réponse de cette dernière, qui se débat continûment et qui ne consent pas à son viol permanent par le néo-“P.M.U.”, ni a fortiori à son exécution à petit feu et à son euro-écartèlement, est tantôt ce nouveau « cri sourd du pays qu’on enchaîne » de l’abstention citoyenne de masse, notamment de l’abstention ouvrière, tantôt le cri franc, clair, tonitruant, salutaire, des Gilets jaunes et/ou des syndicalistes de classe défendant les acquis du CNR contre le lâche abandon des états-majors syndicaux même pas capables d’exiger la démission des Blanquer, des Darmanin et autres Le Maire, ces despotiques proconsuls de l’U.E. qui tenaillent le peuple français. Sachons voir les signes de pré-insurrection civique et populaire derrière le masque “incivique” de l”indifférence française » dénoncée par les bien- pensants du “Monde“. Souvenons-nous qu’en avril 1968, l’éditorialiste du même journal titrait niaisement “la France s’ennuie”... Tant pis pour eux si ces Marie- Antoinette médiatiques ne voient rien venir, pas plus que Louis Capet, dit Louis XVI, n’a vu venir le 14 juillet 1789 et qu’il n’en a compris à temps la portée révolutionnaire !
Il faut dire aussi quelques mots sur le dispositif, lui aussi en crise grave voire explosive, de la domination politico- idéologique bourgeoise, et plus largement, de ce que Gramsci appelait l’« hégémonie culturelle ». D’une part, les forces macronistes représentatives du « bloc bourgeois » ne représentent plus, au sortir des régionales, qu’une infime portion de l’électorat global, que l’on se rapporte aux suffrages exprimés ou, pire encore, aux électeurs inscrits. Le R.N. lepéniste désormais rallié à l’euro et à Schengen est également en lourd recul, ce qui serait pleinement positif si cela n’ouvrait pas indirectement un espace politique au dangereux Zemmour, ce semeur de guerre de religions et de « choc des civilisations ». Le faux « duel » et vrai duo de la droite maastrichtienne classique (LR) et de l’euro- gauche plurielle, qui associe ou non selon les moments le PS maastrichtien aux euro-« communistes » du PCF-PGE. et aux antijacobins d’EELV, semble renaître de ses cendres quand on se fie à la réélection des présidents de région sortants par cette partie sagement conformiste et relativement âgée et aisée des électeurs qui va encore voter. Mais quand on regarde le nombre des abstentionnistes et la grève massive du vote à laquelle se sont livrés les électeurs ouvriers et jeunes, le duopole maastrichtien vraie droite/fausse « gauche » demeure, et de loin, incapable de représenter la masse du peuple – quand bien même leurs tenants (Jadot, Faure, Roussel...) se félicitent à qui mieux mieux des résultats obtenus. En réalité, l’ancrage populaire de l’euro-gauche rose-« rouge » pâle-verte a vécu, érodé et détruit par les politiques antipopulaires à répétition des sociaux- maastrichtiens Mitterrand, Jospin et autre Hollande-Valls flanqués ou pas de « ministres communistes ».
Terminons par une analyse des forces se situant, au moins en paroles, à la « gauche de la gauche ». En badigeonnant de rouge leurs professions de foi et en les ornant de l’emblème ouvrier et paysan renié par le PCF, les euro-trotskistes de LO ont refait quelque peu leurs forces, du moins en pourcentage des exprimés.
Les positionnements respectifs de LFI et du PCFont été, eux, carrément illisibles. Comment se présenter à la présidentielle comme des forces indépendantes du PS, tout en « suçant la roue » du PS et/ou d’EELV à ces régionales à l’occasion desquelles se jouait concrètement le pouvoir local ? En particulier, la subordination du PCF au PS et aux Verts était dénuée de dignité, voire d’instinct de survie, sachant que, au Parlement européen, les Verts et les « socialistes » ont voté, en septembre 2019, la résolution scélérate cautionnant l’interdiction des partis communistes des pays de l’Est et appelant à interdire l’emblème ouvrier et paysan de Kiev à Lisbonne ; il est vrai que l’entrée en fonction de F. Roussel au secrétariat général du P.C.F. a coïncidé avec l’abandon officiel de la faucille et du marteau par ce parti, la grande masse des militants validant de fait ce nouvel abandon. Résultat : le P.C.F. que certains voudraient, pour mieux fuir leur devoir pressant de reconstruction d’un parti communiste digne de ce nom, voir « à l’offensive » (« P.C.F. is back ! » comme l’a dit Roussel en cédant platement au tout-globish conformiste), a perdu son dernier département, le Val de Marne, et c’est d’autant plus triste que le P.R.C.F., nullement irresponsable sur le plan électoral, avait appelé les électeurs du 94 à préserver cet ultime vestige de feue la « ceinture rouge » de Paris.
Quant à LFI, elle s’est littéralement effondrée électoralement et Jean-Luc Mélenchon, qui semble de plus en plus naviguer à vue, est en graves difficultés, son agressivité verbale envers ses concurrents de la gauche traditionnelle (non moins agressifs à son égard) ne pouvant compenser le fait qu’il refuse désormais d’évoquer, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse, l’idée d’un Frexit progressiste (« l’U.E., on la change ou on la quitte », disait encore Jean Luc Mélenchon en 2017) : quel gâchis au regard de la belle performance mélenchonienne de 2017 ! De fait, les Clémentine Autain, Manon Aubry et autres partisans de l’euro-réformisme tout prêts à rallier une nouvelle gauche plurielle, comme on l’a vu à Paris, semblent avoir durablement supplanté dans la direction de LFI les éléments souverainistes de gauche ; ce qui signifie aussi un choix de classe délétère en faveur des électeurs bobos des grandes villes au détriment de la classe ouvrière martyrisée par l’Union Européenne. Une classe ouvrière sans laquelle pourtant aucun candidat réellement progressiste ne saurait accéder au second tour de la présidentielle ni, a fortiori, la gagner et, la gagnant, faire quelque chose de cette victoire. Nous regrettons cette évolution de LFI, qui n’était pas fatale et que nous avons tout fait pour conjurer.
Initiative Communiste – Quels sont alors les points d’appui sociopolitiques dont disposent la classe ouvrière, le monde du travail, la jeunesse populaire, les républicains patriotes, antifascistes et antiracistes pour stopper la fascisation et conjurer l’euro-dislocation « en marche » du pays ?
Georges Gastaud – Malgré l’apparence, ces points d’appui sont importants et la grande bourgeoisie le sait bien, elle qui n’est pas prête d’oublier, ni le Non de classe de 2005 (80% des ouvriers, 65% des employés, 65% des 18-25 ans avaient alors voté Non au TCE), ni le soulèvement spontané des Gilets jaunes s’attaquant frontalement aux « lieux de pouvoir », Élysée en tête, ni les luttes dures menées en 2019, juste avant la pandémie, par les syndicalistes de classe en dépit des états-majors syndicaux corsetés par la Confédération Européenne des Syndicats (pro-Maastricht), ni l’énorme ultime coup de semonce que constitue, à un an de la présidentielle, l’abstention têtue des 2/3 de l’électorat, de 4/5èmes des ouvriers et de 85% des 18/25 ans qui n’attendent plus rien des partis officiels.
out d’abord, et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’oligarchie maastrichtienne acquise au « modèle » anglo-saxon veut liquider la France indépendante, l’imaginaire de notre peuple continue d’être habité par la symbolique de la Révolution française et par celui de la Commune, en particulier par cet article du préambule de la Constitution de l’An I, rédigé par Robespierre et que le PRCF fut le premier à exhumer en mai 2007, lors de l’avènement de Sarkozy : « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour toute portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Souvenons-nous des Gilets jaunes arborant le drapeau tricolore sur les Champs- Élysées et chantant le refrain insurrectionnel de la Marseillaise en novembre-décembre 2018 avec le projet afficher d’ « aller chercher chez lui » Macron et son équipe de nouveaux Muscadins.
La « grande explication » entre le peuple français, avec en son centre le monde du travail, et l’oligarchie n’a pas encore eu pleinement lieu en France : elle est devant nous.
Selon la manière dont les nouvelles forces d’avant-garde seront, ou non, capables de l’organiser et de lui donner un sens progressiste, cet affrontement de classes historique peut enclencher une seconde Révolution française qui, dans les conditions présentes, ne saurait être que patriotique (rupture avec l’UE), antifasciste (abrogation des lois liberticides, émergence d’une démocratie populaire participative) et tendanciellement socialiste : les communistes qui écrivirent le programme du CNR intitulé “Les Jours heureux” parlaient déjà en 1944 de « mettre le monde du travail au centre de la vie nationale », une aspiration de masse qui, poussée à son terme, signifierait le socialisme pour la France. Si, en revanche, l’avant-garde ne se reconstituait pas à temps avec en son cœur un nouveau parti communiste de combat, un syndicalisme de classe offensif et une large Convergence Nationale des Résistances, il en résulterait un saut qualitatif fascisant aussi déshonorant pour notre peuple que mortifère pour la nation...
Ce que nous-mêmes, qui sommes tous des syndicalistes de lutte actifs, chômeurs ou retraités, pouvons d’ores et déjà recenser au sujet des outils réellement ou potentiellement à la disposition des militants populaires, c’est d’abord que, désormais, nos amis du Front syndical de classe ne sont plus seuls à militer pour que les syndicalistes de classe, notamment ceux de la CGT, osent se coordonner publiquement indépendamment des appareils euro-formatés qui n’ont amené que des défaites depuis le recentrage euro-réformiste de la Centrale sous l’égide des Viannet, Thibault et Le Paon. Désormais, un Laurent Brun, dirigeant de la Fédération nationale cheminote de la CGT, un Cédric Liechti, secrétaire général de la CGT-Énergie de Paris et figure de proue de la résistance à l’euro-privatisation d’E.D.F., un Olivier Mateu, secrétaire de la CGT-13, un Jean-Pierre Page, ex-dirigeant du secteur international de la CGT, sans compter plusieurs U.L. ou U.D.-CGT de Tourcoing au Val-de- Marne qui se sont réaffiliées à la FSM (fédération syndicale mondiale), appellent, chacun à partir de sa réflexion et de sa pratique propre, à construire d’une manière ou d’une autre ce “tous ensemble en même temps” auquel le PRCF n’a cessé d’inviter depuis la création du Pôle en 2004. Cela suscite aussitôt la réaction de secteurs qui se qualifient eux-mêmes de « réformistes » dans un texte courageusement anonyme du 23 juin 2021 qui, tout en se réclamant de la « démocratie » – ben voyons ! –, somment Philippe Martinez de purger la CGT de ses éléments combatifs. L’enjeu de classes est énorme, de même que les conséquences pour l’avenir de la Nation : il s’agit de faire place nette pour l’hégémonie totale de la CES sur le mouvement syndical français, d’accentuer le rapprochement délétère de la CGT avec la CFDT jaunâtre (dont le président, le briseur de grève Laurent Berger, préside aussi la CES, preuve de l’attention extrême que l’oligarchie européenne accorde à la mise au pas du syndicalisme de lutte français) et de faciliter le « saut fédéral européen » voulu par Macron tout en restant les bras ballants devant la mise à mort des acquis gagnés par la CGT d’hier au prix du sang. Bien entendu, ces appels des chasseurs de sorcières « réformistes » à purger la CGT de ses militants rouges sont inquiétants : on peut même dire que cette chasse aux sorcières pseudo-syndicale, qui fait écho au néo-maccarthysme du Parlement européen, porte objectivement une dimension social-fascisante. Mais comme on peut compter sur les syndicalistes de classe pour ne pas se laisser intimider et comme notre pays possède par ailleurs une longue histoire de résistance et de résurgence du syndicalisme de classe[1], il se pourrait fort que cet appel indigne à la purge anti-Rouges totalement contraire à la culture du syndicalisme français se retourne contre ses instigateurs, sous-traitants de l’euro-réformisme supranational. Souvenons-nous qu’au dernier congrès de la CGT, les partisans de la FSM ont mis par deux fois en minorité la direction confédérale en lui imposant d’inscrire ce sigle dans la résolution d’orientation. Souvenons-nous que sur le terrain des luttes réelles, le seul qui compte en dernière instance, les euro-réformistes institutionnalisés compromis dans le “dialogue social” bidon de Macron pèsent peu alors que les syndicalistes de classe avant tout présents sur le terrain. L’essentiel est alors que les syndicalistes de classe s’unissent, qu’ils fassent front ensemble, qu’ils osent proposer ensemble une plate-forme revendicative unificatrice et une stratégie de lutte menant au « tous ensemble en même temps » en rejetant les diversions réactionnaires tendant à opposer les militants syndicaux aux militants politiques de la classe ouvrière (les Croizat, Paul, Thorez, qui apportèrent au monde du travail ses plus belles avancées étaient à la fois cartés au PCF, alors marxiste-léniniste, et à la C.G.T., alors “de classe et de masse” !).
Dans cet esprit, la commission Luttes du P.R.C.F., dans laquelle dialoguent des syndicalistes de divers secteurs, a mis en débat l’idée d’une grande manifestation de combat nationale à Paris dès la rentrée prochaine pour unir dans une seule protestation ce que nous appelons les quatre refus :
refus, suspension sine die et abrogation des euro-privatisations en cours ou annoncées ; –
refus des euro-délocalisations et des plans de licenciement (aéroports, Air France, Renault, Peugeot, Airbus, Bridgestone...) ;
refus des contre-réformes maastrichtiennes (lycée, bac, Université, hôpitaux, O.N.F., etc.) ;
refus des mesures liberticides (type « loi de Sécurité globale »), tout en exigeant offensivement le relèvement substantiel des revenus du travail et la taxation des profits capitalistes. Ce serait aussi l’occasion d’inviter à la fois les Gilets jaunes et les militants politiques progressistes à manifester ensemble sur le mot d’ordre : « Macron, le MEDEF et l’UE détruisent notre pays et nos acquis : ensemble bloquons leurs profits ! », de manière à fédérer les résistances en évitant le ruineux et défaitiste « chacun pour soi séparément » et les « journées d’action » saute-mouton qui ne servent qu’à épuiser la résistance tout en accroissant le découragement général.
Sur le plan politique, le PRCF interpelle les militants progressistes qui liront le présent entretien. Face à l’euro- dislocation et à la fascisation galopantes du pays, sachant que l’union des euro-gauches n’est qu’une variante rosie de la « construction » européenne et que le « souverainisme » à la Dupont-Aignan n’est qu’un rabatteur du RN comme on l’a vu en 2017, quelle autre perspective politique digne de ce nom reste-t-il objectivement, ne serait-ce que « par élimination », aux véritables progressistes que cette « Alternative rouge et tricolore » que porte, avec le PRCF et les JRCF en pleine dynamique, notre camarade Fadi Kassem avec en son cœur le Frexit progressiste, la nationalisation démocratique des secteurs-clés de l’économie, l’émergence d’une démocratie populaire participative de masse, la perspective affichée du socialisme pour notre pays ? Cette alternative patriotique et internationaliste à la fois est évidemment censurée par les médias ; mais si elle continue de croître dans le pays, si enfin les vrais communistes, les véritables progressistes, les syndicalistes de lutte lui apportent leur appui, fût-il critique et propositionnel, au lieu de se réfugier dans une posture de spectateurs attendant que l’Alternative soit parfaitement dessinée pour s’engager personnellement, alors oui, notre peuple reprendra l’offensive et surprendra le monde comme il sut le faire par le passé. De même les « coups médiatiques » d’un Roussel ne trouvant rien de mieux à faire que, tel jour, de moquer des soviets, tel autre jour de railler les kolkhozes, le lendemain de tourner en dérision le centralisme démocratique (« ô manière subtile de ramper devant la bourgeoisie ! », aurait dit Lénine !), voire de cautionner sans honte les “syndicats” policiers ultraréactionnaires ou de déléguer à MM. les préfets le soin de trier entre les bons et les mauvais sans-papiers[2], prouvent désormais que le devoir de reconstruire à temps un parti de combat capable de briser la fascisation et l’euro-dislocation s’impose à tout vrai communiste, à tout antifasciste sincère, comme une tâche d’honneur. Avec ses moyens encore limités mais son enthousiasme intact et sa transition générationnelle dynamiquement lancée au sein de sa direction nationale, le PRCF continuera de prendre ses responsabilités dans cette direction.
Georges GASTAUD
[1] En 1920, les dirigeants réformistes traîtres de la C.G.T., dirigée par Belin, futur ministre du Travail de Pétain, et Jouhaux, avaient exclu du syndicat, avec l’appui peu discret du patronat et du gouvernement bourgeois procédant à des licenciements massifs dans les chemins de fer, les militants de ce qui allait devenir la C.G.T.U. : or, dès 1936, la C.G.T. se réunifiait sous l’égide des éléments révolutionnaires emmenés par Gaston Monmousseau, Pierre Sémard, Jean-Pierre Timbaud, Ambroise Croizat et autre Benoît Frachon...
[2] Comme si les Manouchian, Epstein et autre Roger Landini, qui furent les fers de lance F.T.P.-M.O.I de la libération de la France, n’avaient pas été en leur temps des « clandestins » !